T'inquiètes, j'mords que sur demande. Ft Lucas & William

L'Directeur aurait pu m'virer d'son bahut, mais non, il m'condamne à l'isolement comme un putain d'criminel. Mais bordel il était où pour punir l'autre tache quand moi j'me faisais tabasser ? J'comprends pas c'monde. J'comprends pas leur sens d'la justice. Celui avec l'plus de thune gagne forcément à la fin ? Ça doit être un truc comme ça. Les pauvres, ils ont qu'leur poing pour s'défendre et quand ils s'décident à passer à l'attaque, y'a personne pour couvrir leurs arrières et ils finissent en taule. J'crois qu'ça résume bien l'histoire de ma vie. Faudrait vraiment qu'j'fasse gaffe. Parce que j'préférerais m'tailler les veines que r'tourner en prison.

J'fume cigarette sur cigarette pour m'détendre, mais ça m'détend pas du tout. J'ai envie d'cogner. C'connard de Tonton Tom m'a pas laissé sortir pour aller au gymnase. Il fait un super gardien dès qu'il s'agit d'm'empêcher de faire des trucs. En plus il a passé deux heures à m'fixer pendant que j'mangeais (pas), comme si ça allait m'faire finir mon assiette plus vite. Il m'gonfle. Cette situation m'gonfle.
J'soupire, en plus j'étais censé bosser ce soir.

La porte s'ouvre, j'prépare une flopée d'excuses pour qu'mon geôlier m'laisse sortir, mais c'est pas lui qui entre. Mon coloc. J'm'empresse d'ouvrir les fenêtres. J'avais oublié qu'j'dormais pas tout seul et j'ai pas trop envie qu'il aille s'plaindre au directeur qu'je fume dans la piaule.

"Salut, j'suis Icare. J'espère qu'la cigarette te gêne pas..."

Même si c'est l'cas, j'm'en fous un peu, mais j'éviterais d'le faire en sa présence.

"J'ai eu l'temps de choisir mon lit, donc j'te laisse l'autre... "

J'lui souris.

"Par contre, j'te préviens qu'j'ai un tuteur un poil envahissant. Donc te bile pas si l'surveillant entre ici sans frapper, juste pour m'traiter de p'tit branleur. C'est notre façon à nous d'communiquer. Fais juste gaffe à pas t'changer à ce moment-là, j'ai toujours pas réussi à déterminer s'il aimait les meufs, les mecs, ou les otaries..."

Je n'avais pas le meilleur colloc de chambre, il paraissait que c'était un type bizarre et pété, maaaais... Après tout ce serait une expérience humaine sympa ! Et j'adorais les expériences humaines sympas. Pour peu qu'elles ne soient pas violentes envers ma personne. Je poussai la porte après avoir pris une profonde inspiration. L'inspiration de l'aventure. La chambre sentait déjà le tabac. Bon. Je fumais de temps en temps, cool ! Je m'y ferai. J'entrai avec un grand sourire. Comment il s'appelait déjà, lui ? Ah oui. Icare ! Je m'approchai de lui et lui tendis la main avec un grand sourire. Bah ? C'était pas ainsi qu'on se présentait en société ?

« Salut ! Moi c'est Lucas. T'inquiète, je fume un peu alors pas de malaise. »

Il restait le lit superposé comme Icare avait prit l'autre. Je jetai mon sac sur la couchette du bas. Ca supposait donc qu'on avait un troisième colocataire. Ca allait être animé cette année dans la chambre ! Mais bon, cool. J'enlevai mes chaussures et les envoyai à l'autre bout de la pièce, près du bureau qui serai le mien et me jetai sur le matelas, les bras derrière la tête, avant de jeter un coup d'oeil à Icare. Ah ouais ? Son oncle était surveillant ? Duuuur pour lui. Je n'aurais pas aimé être à sa place. Avoir un tonton tout le temps sur le dos... Mais ça supposait qu'au moins quelqu'un s'inquiétait pour lui, même si c'était pour le fliquer. Je lui fis un clin d'oeil.

« Au moins quelqu'un s'inquiète pour toi. C'est relou mais y'a pas de quoi se plaindre. Je suppose que fumer et mater des films jusqu'à 2h du matin ce sera pas possible si ton cher oncle vient souvent te fliquer. Dure loi de la vie. Je dois avoir un mauvais karma, ça expliquerait tout...»

Je levai mes jambes pour poser les pieds sur les barres en métal au-dessus de ma tête. Je soupirai doucement. Je n'aimais pas beaucoup l'internat. Je n'étais pas contre la rencontre et la sociabilité mais ma tranquillité me manquait déjà. Je n'aurais pas beaucoup le temps d'écrire, ici... Surtout que l'année promettait d'être assez animée.

« On est censé avoir un autre coloc, c'est ça l'histoire ? » demandai-je en pointant du doigt la couchette au-dessus de moi. « Et donc ton oncle c'est le mec qui a l'air de sortir d'un camp militaire ? »

C'qui me convient. J'préfère me retrouver avec lui plutôt qu'avec l'autre connard d'Isidore. Ou n'importe quel membre de l'équipe de foot maintenant qu'j'y pense. J'le regarde s'installer comme chez lui. J'lui souris. Il a un air gentiment perché qui l'rend mignon... Et facile à manipuler si j'ai besoin d'me trouver un alibi pour échapper à Tonton Tom. Une aubaine c'te coloc !

"J'crois que dans l'cas présent, on peut dire que c'est moi qui ai un mauvais karma. T'es un dommage collatéral. Mais t'inquiète, y'a peu de chances pour qu'il te prenne la tête. En fait, il te laissera sûrement faire c'que tu veux, juste pour m'emmerder. Le seul truc qui pourrait bien gâcher ta vie, c'est l'réveil bruyant à 7h du mat' parce que j'suis un gros dormeur."

J'imagine très bien tonton Tom venir jouer du clairon au p'tit matin pour m'faire tomber du lit. Il n'est pas méchant, juste un peu con. Quelque part, j'aime bien ça. C'est l'premier adulte qui s'occupe de moi pour de vrai. Comme s'il avait quelque chose à foutre. Je cherche un peu la merde avec lui, par principe, pour marquer l'coup, mais au fond, j'suis content que quelqu'un se soucie d'moi. Lulu a raison. Pas d'quoi se plaindre.
J'sors du tabac de ma poche et j'me roule une cigarette.

"Ouais, mon gentil tonton, celui qui sort d'un putain d'camp militaire, m'a dit qu'c'était le Grand Brûlé plus jeune que nous. Il s'appelle William. J'pense que t'aurais pas pu rêver meilleurs coloc', Lulu. L'handicapé et l'cas social !"

J'glisse la cigarette entre mes lèvres et je l'allume.

"Mais t'as du bol, parce que j'suis clairement pas aussi tordu que c'qu'on peut raconter. Même si J'ai passé trois mois en maison de correction l'an dernier... Et même si j'ai bien défoncé la gueule d'un autre élève y'a quelques jours... C'est du passé, j'suis un homme neuf désormais !"

J'm'assois en tailleur sur mon lit. J'prends une taffe. J'voulais juste voir sa réaction. J'suis jamais méchant sans raison, et j'suis absolument pas taré. L'maquillage et les fringues noires, ça me correspond pas tant que ça, mais ça me donne un sentiment d'appartenance à un groupe. J'fais des concerts de Metal, j'rencontre des gens adorables qui essaient juste de s'cacher derrière une grosse carapace... Et puis, ça fait peur aux idiots.
J'lui souris. Il n'a pas l'air effrayé.

"Comme on va d'voir cohabiter, j'peux te poser une question ? Et va falloir répondre sincèrement, t'es plutôt Bruce Wayne ou Tony Stark ? Attention, Lulu, réfléchis bien, parce que ça peut carrément changer toute notre relation."

Franc parlé, il n'avait pas l'air trop bête. Plus important encore : ce n'était pas un de ces débiles de l'équipe de foot. Là, l'année aurait été vraiment longue. Du genre à faire des crasses et sans doute à s'essayer au viol. Ouais. Y'avait toujours des viols à l'internat. Les joies de partager des chambres avec des adolescents qui ne savaient pas où rediriger leurs pulsions. Enfin, lui il n'avait pas l'air comme ça et si son oncle venait nous fliquer.... Boaf. Le seul point négatif. Ca ne devait vraiment pas être terrible d'être surveillé comme ça presque toute la journée. L'angoisse. J'étais pas mécontent, moi, de me tirer de ma famille pendant la semaine. J'y serais même volontiers resté le week-end ici. Pour ce que ma famille s'occupait de moi, de toute façon. Je m'allongeai sur le matelas et passai mes bras derrière ma tête en levant les pieds pour essayer de toucher la couchette du haut.

« Pas d'chance pour ton oncle. Tant que je peux manger des chips et mater des films discretos, je m'en fout. On verra... La vie n'est qu'un épais mystère, imprévisible et changeante. »

En maison de correction, hein ? Je tournai la tête vers lui et le détaillai. Vu comme ça, il avait pas l'air bien méchant. Je ne me faisais donc pas trop de souci pour ma petite gueule. De toute façon, j'étais pas le genre à faire des embrouilles avec les gens. J'étais un peu curieux, oui, mais la baston très peu pour moi. J'étais ni très vif, ni très musclé. Je préférais rester derrière mes carnets et écrire des trucs, prendre des notes, retranscrire les histoires des gens. Voilà ce qui me passionnait. Les jeux de rôles, et les aventures. Un jour, je me casserai en voyage avec un sac à dos et je rencontrerai des cultures toutes différentes. J'en parlerai. Et je serai heureux.
Bientôt. Un d'ces quatre.

« Cool ! Un type intéressant j'suis sûr. Il va se faire pourrir ici, le pauvre. Il aurait mieux fait de continuer les cours par correspondance. Enfin bon, je pourrai lui poser deux trois questions. J'me demande si c'est douloureux de se faire cramer la gueule. Sûrement que oui... Tu crois qu'il est aveugle du coup ? T'imagine un peu, sentir tes globes oculaires fondre ? Herk. Et du coup c'était comment la maison de correction ? Y'a des types violents ? Ils sont là-bas pour quoi ? Et toi, t'étais là bas pour quoi ? T'avais pas été très sage ? »

Je me retournai sur le ventre pour le regarder avec une certaine forme de curiosité.

« Tony Stark. il est beaucoup plus fun et en plus il bricole lui-même ses armures avec que Bruce, il a besoin de Lucius Fox. Mais toi je paris que t'es du genre Bruce Wayne, un peu sombre et violent. Ouais ! J'en suis sûr. »

Pas sûr que Tonton Tom soit OK avec ça. Il m'a l'air un peu rigide sur le règlement, le rangement, les horaires... Sérieux, il a forcément fait l'armée. Ou alors c'est un tueur psychopathe. Dans les deux cas, j'm'en fous. Ça le rend juste méga chiant. Mais ça anime mes soirées.
Je tire sur ma cigarette.

Il est complètement taré.

"T'es un grand malade." J'dois reconnaître qu'il a piqué ma curiosité cela dit. Qu'est-ce que ça fait de sentir sa peau fondre ? J'préfère ne pas savoir. "Il n'est pas aveugle... Et t'as raison, ça ne va pas être facile pour lui ici. Personne n'aime les types différents."

Ça sonne vraiment trop bizarre sa fascination pour les globes oculaires qui fondent et les maisons de correction. Mais en même temps, j'suis qui pour juger de son étrangeté ? Ma vie est un roman donc j'ai vu pire.

"Euh... Disons que les mecs ne sont pas là-bas pour avoir câliné trop fort des ours en peluche quoi." J'lui souris, un peu mystérieux. "J'ai tué un type. J'lui ai planté une bouteille de bière dans l'oeil. J'ai pas fait exprès hein... Ou p't-être que si."

De toute façon, vaut mieux pas avoir la vraie version. Elle est vachement moins glamour. Quand on n'a pas de famille, et qu'on fait le trottoir, on est considéré comme de la mauvaise graine, alors... L'bon côté, c'est que j'ai appris à me défendre là-bas. À la dure, mais je ne regrette pas. De toute façon, chaque expérience en dehors d'cette foutue communauté est bonne. Je n'ai plus l'impression d'être enfermé dans une cage. J'fais plein d'erreurs, mais je vis.

"Ah Tony Stark, putain... Lulu. Ça commençait si bien entre nous ! Il est super prétentieux Tony Stark, il sauve des gens pour pouvoir frimer devant les médias. C'est un connard. Bruce Wayne, c'est le seul vrai héros dont le monde a besoin."

J'ai toujours caché des Batman dans ma chambre quand j'vivais toujours avec mes parents. J'pouvais pas me passer de ça. C'était ma seule source de plaisir. Chaque fois, ma mère finissait par les trouver, les brûler et me punir. Chaque fois j'en ramenais de nouveau. Chez Tonton Tom, j'ai au moins l'avantage de ne plus avoir besoin de les cacher.

"T'as vraiment apporté de quoi mater des films ? ... J'en connais pas beaucoup." Parce que la plupart sont diaboliques. "On pourra s'faire des soirées films avec Willy le Borgne, notre troisième coloc ! J'suis content d'me retrouver avec vous. Vous avez l'air moins con que les joueurs de foot !"