Je n'ai pas le temps pour... Ft Chris

Je ne sais pas si l'absence de l'ombre paternel dans mon dos, ou la tranquillité de la bibliothèque mais cette ambiance m'avait manqué. Il n'existe rien de plus relaxant que de se plonger dans un gros livre de biologie tout en écoutant du Mozart et n'être dérangé par personne. Absolument personne.
Des mains se posent devant mes yeux. J'enlève mes écouteurs.

"Devine qui c'est ?
- Natacha ?
- Comment tu l'as su ?
Natacha s'installe à côté de moi sans y avoir été invitée. Merde. Je devais l'aider pour un devoir en géographie...
- Ton parfum.
- C'est vrai ? Tu aimes mon parfum ?
Elle ne cesse de cligner des yeux, est-ce qu'elle aurait un problème ?
- Je n'ai pas dit cela.
Visiblement déçue par ma réponse, elle secoue la tête et sort son devoir.
- Bon, j'reviens dans une heure mon chou ?
- Je n'ai pas proposé de faire ton devoir, Natacha. J'ai proposé de t'aider à le faire, ce qui signifie que ta présence est requise.
- Ouais c'est exactement pareil, j'te file cinq livres si tu le fais.
Je soupire.
- Je ne veux pas de ton argent...
- Parfait. Alors à tout à l'heure, Matty !"

Pourquoi je me retrouve toujours dans cette situation ? Est-ce que je suis trop gentil ? Je lis le sujet de son devoir. Ce n'est pas très compliqué mais ce n'est visiblement pas aujourd'hui que j'aurais l'occasion d'étudier mes cours. Je vais chercher les livres nécessaires à la dissertation de Natacha et je me rassoie. Je termine en un peu moins d'une heure. Natacha me rejoint avec un grand sourire.

"Tu as fini ?
- Oui mais ce n'est pas...
Elle tend la main.
- Ma copie, Matty."

Inutile de parlementer. Je lui tends sa copie, mais ce n'est pas elle qui l'attrape en premier...

Juste à temps, j'interceptais la copie d'un devoir de géographie si l'on en croyait les cartes coloriées. Je fis tourner les pages de la copie double entre mes doigts et sifflai.

« Bah alors, Nat-Nat, on a laissé son savoir vivre à la maison ? Quand mon frère fait l'honneur à quelqu'un de l'aider dans sa scolarité, le minimum c'est de lui baiser les pieds. Alors agenouille-toi...  »

Elle me dévisagea comme si j'étais complètement fou.

« Rends-moi ma copie, crétin ! »
« Ta copie ? Ce n'est pas la tienne mais celle de Mat tant que tu ne l'as pas acheté. Allez. Donne-lui cinquante livres. »
« Ca va pas ou quoi ? Il était d'accord pour m'aider ! »
« Pour t'aider, pas pour recevoir des ordres ni pour faire ton travail à ta place. Et puis quiconque exploite mon frère me doit une part aussi, c'est le partage familial. Donc cinquante livres. Vingt-cinq pour lui. Vingt-cinq pour moi. »
« Hors de question ! »
« Ah bon …. Bah tant mieux parce que j'avais très envie de faire un test ! »

Je sortis un briquet de ma poche et mis le feu à la copie double en plein milieu de la bibliothèque. Des exclamations s'élevèrent autour de nous alors que je lançai la copie enflammée dans les airs. La documentaliste poussa un cri strident et j'attrapai le bras de mon frère, ainsi que son sac.

« Allez, cours frangin, cours ! »

Je l'entraînai à ma suite par la sortie de secours et nous descendîmes en courant par l'escalier de service. J'étais en train d'éclater de rire : pas facile de courir en même temps. Arrivés dans un coin tranquille je repris mon souffle.

« Pfiooouh heureusement que je fais du sport pour garder la forme hein ! Tu devrais apprendre à dire non à ces pouffes qui profitent de toi. Tu t'en rends compte, au moins, p'tit frangin ? »

Je suis heureux qu'il soit là. Il ne faut pas croire, j'aime sincèrement aider les autres, mais je sais aussi lorsqu'ils profitent de moi. Le seul problème, c'est que je suis incapable de dire non. Je ne peux pas m'empêcher d'être gentil, parce qu'au fond, j'ai la sensation qu'ils en ont besoin. C'est inexplicable. Et sans doute stupide.
Je secoue la tête en entendant les remarques de Chris... Il ne sait pas s'arrêter. Mais c'est sa façon à lui de me sauver des importuns.

"Chris..."

Évidemment, je n'ai pas le temps d'intervenir. Chris met le feu à la copie de Natacha dans la Bibliothèque du lycée... Et il m'entraîne avec lui. Quel idiot ! Par la force des choses, je le suis en courant. En espérant ne pas finir dans le bureau du Directeur pour cela... Et lui, il rit.

"Mais enfin, Chris, pourquoi as-tu fait cela ?! On risque d'avoir des problèmes et si j'ai la moindre tache dans mon dossier scolaire par ta faute, je te jure que je te tue !"

Si je ne peux pas intégrer une grande école... Qu'est-ce que je ferai ? Et qu'est-ce qu'il fera lui si je ne trouve pas de travail ? Réfléchit-il à cela ? Non, bien sûr que non. Il ne réfléchit pas.

"Tu es le Roi des idiots... Mais merci."

Je lui souris... Chris fait partie de ces gens à qui il est impossible d'en vouloir très longtemps. Il énerve en permanence mais sa joie de vivre nous empêche de le détester. Je prends le temps de remettre ma veste et mon sac sur mes épaules.

"Bien sûr que je m'en rends compte, et à chaque fois, je me dis "Aujourd'hui, tu refuses" ... Mais... Je n'y parviens pas. C'est peut-être moi le roi des idiots... J'aimerais être moins... Plus comme toi. Non, ce n'est pas ce que je voulais dire..."

Merde. Il ne va plus jamais me lâcher après cette phrase... Je le pense évidemment mais, Chris est la dernière personne à qui je devrais l'avouer. J'essaie de changer de sujet.

"Puisque tu m'as bêtement, mais gentiment tiré de cette situation, je consens à faire une activité qui te ferait plaisir ce soir."

Bien sûr, monsieur Parfait devait faire sa petite crise de panique. Et si mon dossier est pourri, et si je ne suis pas pris dans une école prestigieuse, et si je n'ai pas de A, et si gnagnagna... Il ne savait vraiment pas se détendre. Je pris une profonde inspiration, lui montrant la technique et le geste, puis relâchai ma respiration. Zen, petit frère. Inspire, expire. Personne ne saurait qu'il était responsable. Comme d'habitude, j'allais tout prendre, il n'avait pas à s'inquiéter outre mesure. Moi, les mots et les avertissements, je les collectionnais. Je ne m'en faisais vraiment pas pour ça. Son image à lui serait intacte. Je lui tapotai l'épaule avec un sourire bienveillant.

« Faut vraiment penser à te détendre, frangin. T'as pas mis le feu à la bibliothèque et moi non plus. C'était qu'un petit bout de papier ridicule, pas de quoi en faire un drame. Et puis t'inquiète pas, tu sais très bien que je vais pas te dénoncer et tout le monde sait que ces brillantes idées ne viennent que de moi. Toi t'as ta belle petite image, t'inquiète ils vont rien noter dans ton dossier. Tu l'auras, ton entrée à l'école. Mais faudrait vraiment que tu respires un peu sinon tu vas faire un burn out avant d'entrer dans le monde professionnel. Et tu vas avoir des rides avant d'être vieux.»

Un peu plus.... Comme moi ? Un large sourire s'afficha sur mes lèvres. Malgré ses vaines protestations. Je passai un bras autour de ses épaules. Alors comme ça mon petit frère d'amour rêvait secrètement d'être comme moi ? Pas étonnant, j'étais un tel modèle de beauté et de sagesse. Je me mis en marche avec lui pour rejoindre la cours du lycée.

« Ah je te comprends, mon cher petit frère. Je suis si séduisant, si drôle ... Qui ne rêve pas, en secret, de me ressembler ? Tu n'as pas à être gêné, c'est normal ! Mais tu as une chance que d'autres n'ont pas : tu es mon petit frère préféré, mon petit frère adoré, alors je vais exhausser tes prières car il n'y a rien que je ne te donnerai pas. » je lui fis un clin d'oeil et déboutonnai les premiers boutons de sa chemise. J'essayais de lui donner l'air cool et il gâchait tout.

Je savais bien qu'il s'en mordait déjà les doigts. Mais qu'il ne s'inquiète pas trop, je ne comptais pas lui faire faire tout et n'importe quoi.

« Ce soir, nous irons donc faire un tour sur la Tamise pour tes premières leçons. Il faudra peut-être prévoir un gilet de sauvetage...» dis-je après mûre réflexion. On allait faire un peu de Jet Boating, un truc que j'avais découvert cet été et dont mon frère se devait de connaître la couleur. A son petit air, je fis un sourire. « T'inquiète pas, va, même après ça tu seras toujours aussi parfait. »

Je lui fis un bisou sur la joue. De toute façon, il n'y avait rien qu'il pouvait me refuser avec mes supers arguments de frère adorable. Je lui fis un petit signe de la main après lui avoir donné une heure pour se rejoindre et lui fis un signe de cœur avec les doigts.

Le soir-même, je l'attendais au lieu du rendez-vous. Je savais qu'il ne serait pas en retard. Ce n'était pas son genre.

« Alors, t'as ton gilet de sauvetage ? »

Je suis zen. À peu près. Ne comprend-t-il pas que si je fais cela, c'est aussi pour lui ? Je soupire... Il a raison, personne ne m'imaginerait commettre le moindre faux pas. Mais, je n'ai pas non plus envie qu'il entache son dossier scolaire à cause de moi. J'ai l'impression que c'est ce qu'il a toujours fait. Lorsque je ne peux pas me débrouiller tout seul, il arrive et ... Il règle tout, à sa façon. Il passe pour un idiot, ou un emmerdeur, mais il s'en fiche. Il fait le bien autour de lui, il rend les gens heureux. Il ne se rend même pas compte qu'il est mon héros.

Je lève les yeux au ciel en le laissant me prendre par les épaules. Il ne peut pas s'empêcher de tout prendre à la légère et de se moquer. Il déboutonne ma chemise avec un air un peu trop amusé sur les lèvres. Je déteste cette sensation d'être débraillé en public. Je suis juste... Un peu maniaque.

"Tu es vraiment ... Insupportable, Chris."

Un gilet de sauvetage ? La Tamise ? Sérieusement ? Je ne lui laisse presque jamais l'occasion de passer du temps avec moi, et au lieu de choisir une activité simple comme un cinéma, il m'emmène dans des endroits étranges.... Ou alors c'est une blague. Impossible de faire la différence avec lui.

"Je viendrai."

Le soir venu, je ne peux pas me défiler. Je le lui ai promis. J'arrive pile à l'heure, comme d'habitude. Je fronce les sourcils.

"Mais, tu ne plaisantais pas pour les gilets de sauvetage ?

J'aurais dû me douter qu'il ne prévoyait pas de faire du pédalo ou une promenade au bord de la Tamise.

"Tu sais que j'ai le mal de mer, n'est-ce pas ? Tu as vraiment prévu une activité sur un bateau ? Nous aurions simplement pu aller dans une salle d'arcade ou un bar à strip-tease si vraiment tu voulais me dépayser, mais non, il faut toujours que tu choisisses quelque chose d'original... Et cette fois, sur l'eau."

Je soupire. Cela dit, je n'aurais pas aimé aller dans un bar à strip-tease non plus. Mais au moins, j'aurais eu les deux pieds sur la terre ferme. Bizarrement, je n'ai pas envie de le décevoir. Je lui ai promis que je passerais du temps avec lui, ce serait injuste de refuser sous prétexte que j'aurais la nausée... Et plus si affinité.

"Étant donné que je me suis engagé, ce ne serait pas correct de ne pas t'accompagner, je m'approche de l'enseigne de Jet Boating, attends, c'est payant, non ? Avec quel argent tu prévois de... Oh."

Chris, ou l'art de m'inviter mais de toujours me laisser payer. Je lui souris et nous prend deux tickets. Il sait que ça ne me gêne pas de lui offrir ce dont il a besoin. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, Chris est loin d'être exigeant... Et puis, c'est à moitié l'argent de notre père, alors c'est un juste retour des choses.

"Sache que si je dois vomir, je m'assurerais que ce soit sur toi, Chris."

Je fis un petit sourire en coin à mon cher petit frère. Je n'allais pas profiter d'une soirée avec lui pour l'emmener dans un club de strip-tease ou jouer à des jeux avec lui. Non. Je voulais qu'on vive des sensations fortes. Qu'on se procure un instant de liberté. De la joie, de l'ivresse... Il allait peut-être quitter toutes ses pensées perpétuelles qui le tenaient attachés à sa raison. Ça lui ferait du bien de se lâcher, de se focaliser sur autres choses que ses études et les attentes de notre père. Franchement, je ne comprenais pas pourquoi il s'accrochait à ce vieux con... Mais c'était notre père, après tout. Ça devait jouer, ça, non ? Mouais. Pour moi il n'était rien d'autre que notre géniteur, je n'éprouvais plus d'affection pour lui, pas plus qu'il n'en éprouvait encore pour moi. Donnant donnant.
Je donnai un tape sur le dos de mon frère.

« T'inquiète pas, va. C'est parce que tu réfléchis trop que t'as le mal de mer ! »

Je lui fis un autre sourire avant de l'entraîner vers les quais où les Jet Boat nous attendaient pour une soirée de folie. Je fis un grand sourire à Matthew. Evidemment que c'était à lui de payer, je n'avais jamais une thunes. Cela le dérangeait-il ? Oooooh il pouvait bien me payer un petit tour pour la soirée ! Et je savais qu'il s'agissait de l'argent que notre bon vieux père lui donnait. Disons qu'il s'agissait aussi de mon argent de poche, quelque part ? Je lui tirai la langue, l'air dégoûté.

« Si tu n'arrêtes pas de penser que tu vas vomir, tu vas forcément vomir ! T'inquiète pas, ça va être drôle. Et puis, promis, ça ne va pas vite tout le temps. Et la Tamise et moins agitée que la mer, promis ! »

Il prit nos tickets et on alla s'installer à bord. Je passai un bras autour de ses épaules pour prendre un selfie. Ce n'était pas tous les jours que mon frère et moi faisions quelque chose ensemble. Cette soirée était à marquer avec une pierre blanche. Je lui ébouriffai les cheveux.

« Et après on ira où tu veux pour compenser ce calvaire. Tu sais, ... Un... Pote à moi possède un bateau. On en a fait des soirées dessus cet été ! »

En règle générale, les gens connaissaient mon goût pour les hommes. Mais je n'arrivais pas vraiment à en parler à Matthew. Pourtant, il devait savoir. Et je n'en avais pas honte... Mais... Quelque part, j'avais peur qu'il trouve ça encore plus bizarre que le reste de mon attitude. Je tournai les yeux vers l'eau. Je n'étais pas du genre à être gêné facilement, pourtant. Et je n'allais pas dire à mon petit frère que je sortais à mi temps - que je couchais - avec notre professeur de littérature... La tête qu'il aurait tiré... C'était presque tentant, en fait. Mais j'avais promis à Mathieu. Seul Ben était au courant.

Les autres clients montèrent à bord avec nous, au fur et à mesure, avant que le moteur ne démarre. Je posai ma main sur celle de mon frère et lui fis un clin d'oeil. Le bateau démarra, au début doucement, puis il prit de l'allure sur une partie de la Tamise qui s'élargissait.

« WOUHOOOOOOU !! »

D'être ici, et de l'écouter dire que le mal de mer n'est que dans ma tête. Je n'aurais jamais dû accepter. Si notre père l'apprend... Chris ne comprend pas... Parce qu'ils ne se sont jamais appréciés, même avant la tragédie... Mais j'ai toujours aimé notre père. Il est stricte, et froid mais je sais qu'il a un coeur. Seule maman était capable de le faire sourire, de le forcer à passer du temps avec nous, de l'attendrir au sujet de Chris. Quand elle était là, tout était différent, Chris l'a peut-être oublié, mais pas moi. Je regrette la façon dont les choses se sont passées. Je regrette qu'ils ne soient pas capables de trouver un terrain d'entente. Je regrette qu'on ne puisse plus être une famille...

"D'accord, d'accord."

Je le suis dans l'embarcation avec nos tickets. Évidemment, il prend une photo. Je secoue la tête. Un ... Pote ? Amusant comme il peut être pudique avec moi, alors que j'entends des conversations franchement crues au lycée quand il ne me sait pas dans les parages. Je me fiche de sa sexualité. Elle ne regarde que lui. Tout comme la mienne ne regarde que moi. Je suis heureux qu'il s'assume.

"Tu peux me parler librement, si tu le souhaites. Je ne te trouve ni anormal, ni bizarre. Enfin si, tu es bizarre, mais pas à cause de ta sexualité. Au contraire, c'est sans doute la seule chose qui soit normale chez toi. Sans vouloir te vexer, évidemment."

Je lui souris. Le bateau démarre. Si au début, je trouve ça très désagréable... Je dois reconnaître qu'en fait... C'est plutôt amusant. Bon, je préférerais faire du saut en parachute, parce que l'eau, ce n'est pas trop mon élément mais... J'aime bien. Et Chris a l'air de s'éclater. C'est ce qui me fait le plus plaisir. J'ai toujours eu plus de mal à me réjouir pour moi... À me laisser aller. Chris est gentil de vouloir m'aider mais je ne suis pas... Je ne peux pas...

Le bateau retourne au bord des quais et s'arrête. Nous descendons avec Chris.

"Bon d'accord, c'était sympa, et je n'ai pas eu le mal de mer. Donc, je peux presque dire que tu avais raison."

Je croise les bras.

"Maintenant que je peux choisir notre activité... Je meurs de faim, et je suis certain que toi aussi, puisque tu meurs tout le temps de faim. Je t'invite à manger un incroyable kebab, juste au bout de la rue là."

Je lui souris et nous nous rendons là-bas. Je prends les deux plus gros menus disponibles et nous nous installons à une table à l'extérieur, avec notre repas.

"On devrait faire ça... Plus souvent." Je mange une frite. "Enfin, pas ça, spécifiquement, mais sortir tous les deux. J'aime bien passer du temps avec mon grand-frère..." Je baisse les yeux, un peu gênés... "Si tu me promets de ne le dire à personne... Je crois que j'aimerais bien voir un spectacle de cabaret transformiste."