[FLASHBACK] Promis, je te ferai voir la vie en rose. Ft Chris ♥

Je ne veux pas être sage, poli, bien habillé. C'est trop facile. Trop facile d'avoir l'air d'une famille parfaite. Trop facile de me cogner toujours là où ça ne se voit pas, et de me déguiser en pingouin pour le cacher. Trop facile de me détester à la maison, mais de m'aimer dehors.

"Jeune homme, je peux savoir ce qu'il vous a pris ? J'ai passé vingt minutes à vous coiffer !
- Je ne me suis pas reconnu dans la glace alors j'ai eu peur, pardon Nora.
La gouvernante secoue la tête, mais elle ne cherche pas à me rhabiller convenablement. Elle sait que ça ne sert à rien.
- Votre père ne va pas être content.  
- Il n'est jamais content.
Elle sourit et me tend la main. Je passe devant elle sans la prendre.
- Pourquoi je dois aller avec eux ? Je les connais pas ces gens !
Nous rejoignons l'entrée.
- Je ne les connais pas, me corrige-t-elle, Monsieur Keenan est un excellent ami de votre père, il se doit d'être présent, et vous, vous vous comportez en bon fils en le soutenant dans cette épreuve."

Je n'ose pas en rajouter. Pas avec elle. Rien n'est de sa faute. Elle m'ouvre la porte. Ian est déjà dans la voiture, avec sa mère. Je déteste les sorties avec eux. C'est comme jouer dans un film qui dure trop longtemps. On devient des acteurs et on raconte une histoire qui n'a rien à voir avec la réalité. Bizarrement, dans mon film, je ne reçois jamais de lettre de Poudlard, et je ne rencontre pas de vampire. Mon film
Je m'approche de la Mercedes noire, mon père m'arrête.

"Qu'est-ce que c'est que cette tenue ?
J'hausse les épaules.
- Je suis pas encore habitué à tous ces vêtements trop strictes.
Il s'agenouille à ma hauteur.
- Je pense que tu commences à comprendre les règles désormais, donc si tu me fais honte aujourd'hui, la punition sera bien pire que tout ce que tu as pu connaître jusqu'à présent. Est-ce que c'est clair ?
- Oui.
- Parfait. Monte dans cette voiture, et je t'interdis de prononcer le moindre mot.
- Pourquoi est-ce que je viens alors ?
Loin de s'émouvoir de la provocation, il se relève et remet sa cravate en place.
- Tu es mon fils, tu fais bonne figure. Grimpe."

Le cimetière me met mal à l'aise. Je n'aime pas les enterrements. Ma mère me manque, c'est trop récent. Nous nous installons relativement près de la famille. Je ne pensais pas que mon père pouvait avoir des amis, mais il serre l'homme qui a perdu sa femme dans ses bras. Je m'assois à ma place en regardant les deux garçons à côté d'eux. Le plus petit pleure. Forcément. Je ne me souviens pas avoir pleuré pour maman. J'étais triste. Mais en la voyant dans son cercueil, ce que j'ai ressenti c'est... De la solitude. Est-ce qu'eux aussi ils se sentent abandonnés ?
Mon père vient s'asseoir à côté de moi. La messe commence. Le prêtre s'arrête enfin de parler et le père jette une poignée de terre dans la tombe. Ses fils font pareil. Le plus grand a l'air d'avoir mon âge. Je croise son regard. Lui aussi, il est seul maintenant. Je profite d'un moment d'inattention de mon père pour m'échapper. Ses menaces de punition ne me font pas peur, contrairement à ce qu'il croit. La peur, c'est pour les faibles.

J'escalade la statue d'une Vierge Marie et m'assois sur le sommet de sa tête. Ce que je m'apprête à faire est sans doute stupide, en tout cas, les adultes ne seront pas contents, mais moi, à la place des deux fils de la défunte, j'aurais aimé qu'on essaie de me remonter le moral. J'aurais aimé qu'on me dise que tout irait bien, même si c'était un mensonge. Alors d'un coup, pendant un silence pesant...

"Somewhere over the rainbow, way up high and the dream that you dream of once in a lullaby..."

Les deux garçons se tournent vers moi, je leur souris en chantant. Mon père ne parvient à me faire descendre qu'à la fin de la chanson. Il est en colère, mais ne veut pas provoquer d'esclandre devant tout le monde. Il se contente de s'excuser pour moi auprès des invités. Il m'attrape par la manche et me ramène à la voiture.

"La réception se déroule chez James et il serait inconvenant que je n'y sois pas, mais sache que ce petit incident se paiera, Benjamin. Comme d'habitude, tu m'as humilié en public. Ta mère ne t'a donc pas appris à rester à ta place ?
- Je voulais leur rendre le sourire.
- C'est ridicule. Monte dans la voiture. Tu feras des excuses à James dès notre arrivée et tu n'auras pas intérêt à commettre un autre faux pas."

Arrivés chez les Keenan, mon père me traîne directement face au fameux James.

"Dépêche-toi de t'excuser, Benjamin.
Je me mords la lèvre en regardant Monsieur Keenan.
- Je m'excuse, monsieur.
- Bien. Maintenant, tu t'assois là et tu ne bouges plus."

J'obéis à contre-coeur en croisant les bras sur ma poitrine. Ils s'éloignent tous les deux et je leur tire la langue en leur faisant des doigts d'honneur. Gros cons. Je voulais juste être gentil...

Notre père, Matthew et moi. Et pourquoi faire ? Notre mère ne nous verrait pas, de toute façon. Elle n'en avait plus rien à faire de savoir qu'on était bien habillé, qu'on mangeait correctement et qu'on dormait sur nos deux oreilles. Ce qui n'était pas le cas de Matthew. Il passait son temps à pleurer. Je lui avais proposé de dormir avec moi. Il trouvait du repos, là, blotti contre moi sous la couverture. Il n'y avait plus de maman pour mettre une veilleuse dans sa chambre. Plus de maman pour le border et lui faire un bisou sur le front. Plus de maman pour sourire et nous proposer d'aller jouer au parc. Il n'y avait jamais vraiment eu de maman puisqu'elle nous avait abandonné. Je la déteste. Matthew ne savait pas vraiment. Moi si. Elle s'était suicidée. Et ça voulait dire que, la mort, elle l'avait attendu de pieds fermes. Elle ne nous avait pas abandonné par accident. Elle était partie de son plein gré. Et je la détestais.

J'enlevai la cravate que notre nounou avait mis autour de mon cou et la laissa sur le siège passager alors qu'on descendait pour aller au cimetière. Il y avait beaucoup de monde. Bien plus de monde que maman en connaissait sûrement. Le visage fermé, j'esquivais les bises et observai les dames et les messieurs venir présenter leurs condoléances. Je supposai qu'ils étaient désolés pour nous. Je ne voyais pas pourquoi. Ils n'avaient pas assez de problèmes pour être désolés des nôtres ? Je leur lançai des regards mauvais. Et Matthew se remit à pleurer quand quelqu'un lui parla de notre mère. Quelle gourde, cette vieille bique. Je pris la main de mon frère dans la mienne et le tirai un peu à l'écart de la foule. Je lui fis un petit sourire, même si je n'en avais pas envie.

« On va devoir écouter un long discours ennuyeux, après, alors... » je lui donnai des petits bonbons et posai un doigt sur mes lèvres pour qu'il ne dise rien à personne. Il essuya ses yeux et en mangea un pour se réconforter.

Je pris sa main libre et le ramenai vers notre père. Je ne comprenais pas tout ce qui se passait autour de nous. Tous ces gens que je n'avais jamais vu et qui avaient l'air si tristes. Mais s'ils ne la connaissaient pas, pourquoi être si touchés par sa mort ? Et surtout, pourquoi cette mort les rendait-elle tristes ? Moi, je n'étais pas triste. J'étais en colère. Je ne voulais pas la revoir. On nous avait expliqué qu'on pourrait mais pourquoi ? Ce n'était qu'un visage. Elle n'était plus là. Ca ne servait à rien de dire au revoir à quelqu'un qui ne pourrait pas répondre. La messe fut longue. Matthew pleurait de temps en temps mais mangeait les bonbons que je lui avais donné. Je regardai le prêtre. Il avait l'air bête. Comme tout le monde. Il ne faisait pas trop tâche dans le décor, finalement.
Mon regard croisa celui d'un autre enfant de mon âge. Il était avec sa famille. Son père, sans doute, et son frère peut-être. Je regardai à nouveau le trou où avait été mis le cercueil avec le corps de ma mère à l'intérieur. Au revoir. Je serrai la main de mon frère dans la mienne. Pourquoi est-ce que je ressentais ce pincement au cœur alors que je ne l'aimais plus ? Parce que je comprenais que je ne reverrai jamais son sourire, peut-être. Qu'elle ne me donnerait plus un cookie en cachette, le soir. Que je ne l'entendrait plus parler au téléphone ou raconter des histoires à Matthew, dans la chambre à côté de la mienne. Que plus personne ne prendrait soin de moi. Que j'étais seul. Je posai les yeux sur mon petit frère. Non, pas tout à fait seul. Mais il ne comprenait pas tout.

Alors que le prêtre avait laissé un blanc dans son discours pour permettre à l'assemblée de se recueillir, une voix claire s'éleva d'une statue. Je redressai la tête pour voir le garçon de tout à l'heure. Qui chantait. Je le regardai, surpris. Tout le monde avait l'air si choqué... Je souris. Il était drôle, lui ! Il ne pleurait pas, comme tous les autres. Il chantait. Et tout le monde murmurait. Alors je ris. Il avait l'air si fier, là-haut.
Arès cet incident, l'enterrement se déroula normalement. Le pauvre, il allait sûrement se faire gronder. Notre mère fut enterrée. Elle n'était plus qu'un monticule de terre. Matthew pleura. Encore. On resta quelques instants avant de repartir jusque chez nous. Tous les autres allaient venir manger et nous présenter encore leurs condoléances. Ça ne servait vraiment à rien, tout ça.

En arrivant à la maison, je voulus monter dans ma chambre mais une altercation attira mon attention. C'était le garçon qui avait chanté. Curieux, je regardais la scène. Il présenta ses excuses à mon père et fut obligé de rester assis. Le pauvre, ça allait être long ! Tout le monde en avait pour des heures à manger et s'engraisser. Je descendis les quelques marches que j'avais gravi et vins m'asseoir à côté de lui.

« Hé. Tu veux un bonbon ? » lui proposai-je en lui tendant le dernier du paquet. « Je m'appelle Chris. » j'aurais aimé lui sourire, comme je le faisais avant. J'étais toujours plein d'entrain elle me disait, ma mère. Mais je n'y arrivais plus. Elle l'avait pris, cet entrain. « C'était drôle, à l'enterrement. Mieux que tous ces gens, là, qui pleurent sans raison et qui viennent manger gratuitement. »

Je lui tirai doucement la manche.

« Viens dans ma chambre. »

Je me levai pour qu'il me suive en haut.

Intrigué, je le regarde. Je ne suis pas très à l'aise avec les enfants de mon âge. Avec personne en fait. Je fais semblant que tout va bien. Que je suis le gamin sans le sou qui a eu du bol et qui ne le méritait pas. Ça ne change rien. Je n'ai même pas besoin d'ouvrir la bouche pour que les autres se fassent une idée sur ce que je suis. Mes anciens amis ne me parlent plus. Les gamins de riches de ma nouvelle école me détestent. La solitude est devenue ma meilleure amie.

Je secoue la tête. Je n'aime pas trop les bonbons. Mais c'est gentil. Je lui souris. Au moins lui, il n'est pas vexé et il ne me demande pas de m'excuser. J'hésite à le suivre. Désobéir à mon père, de toute façon je l'ai déjà fait, et peut-être que Chris a besoin de compagnie. Il est triste et il a la sensation que son monde vient de s'écrouler. Je me lève et je le suis en haut, jusqu'à sa chambre.

"Je m'appelle Ben."

Je m'assois sur son lit. Sa chambre ressemble à la mienne. Elle est froide. J'ai l'impression que dans toutes les maisons de riches, c'est pareil. C'est beau de l'extérieur, ça vaut très cher, mais quand tu vis à l'intérieur, tu sais que c'est vide, creux, dépourvu d'âme.

"Ma maman aussi est morte. Comme la tienne. Elle m'a laissé avec le Diable et elle s'est envolée pour le Paradis. Ça fait plus mal que n'importe quel coup d'être abandonné par celle en qui tu avais le plus confiance. "

Je ne devrais peut-être pas lui dire ça, mais je ne peux pas lui remonter le moral sur ce sujet-là. Ma maman me manque tout le temps depuis deux ans. Lui dire le contraire, ça aurait été un mensonge.

"Ça ne sert à rien d'être triste. Je t'ai déjà vu à l'école, et tu souris tout le temps. Il ne faut pas que tu arrêtes de le faire. Tu ne veux quand même pas passer toute une vie à être malheureux ? Tu ressemblerais à tous ces adultes nuls qui font la gueule tous les jours alors que tu avais l'air bien plus intéressant !"

C'est facile à dire. Peut-être qu'il va me jeter hors de sa chambre et m'insulter en disant que je ne comprends rien. Je ne comprends sans doute pas grand chose, mais j'ai peur du jour où je n'aurais plus envie de sourire... Plus envie de me battre et de vivre. Nos mères ont abandonné, mais pourquoi nous devrions faire la même chose ?

"Je ne connais qu'une seule façon pour ne pas y penser... Mais je te préviens tout de suite, je ne suis pas une très bonne fréquentation et ton père sera fâché si tu décides de m'accompagner."

Je lui souris et je sors un petit sachet de poil à gratter de ma poche.

"On pourrait peut-être en verser sur la nourriture de tous ces gens qui connaissaient à peine ta maman et qui veulent juste profiter du buffet ?"