On récolte ce que l'on sème. || Ft. Ben Anderson

Comme d'habitude. L'on m'avait saisi si brutalement par le bras que mon sac de cours était tombé par terre, éparpillant mes cahiers sur le sol. Saisi par le col par l'un des joueurs de foot (Bradley, le défenseur droit), je pouvais à peine respirer. Ma tête avait heurté le mur derrière moi, et cela suffisait à me faire voir des étoiles. J'entendis des menaces et l'un de ses acolyte (Jeremy, un attaquant) brandit sous mon nez une bombe de peinture rouge. Je fis immédiatement le lien. Deux jours auparavant, avec Ben et sa petite blague. Ce qui m'avait alors traversé l'esprit était en train de se produire. Pourquoi ne m'en étonnais-je pas ? Je levai les yeux au ciel et lâchai un soupir. J'aurais pu dénoncer Ben. Cela n'aurait rien eu d'étonnant. Personne n'aurait été surpris et peut-être m'en serai simplement sorti avec un petit coup de poing en guise d'avertissement. Mais William Thomas n'était pas une balance. Et puis, à quoi bon ? A quoi bon pointer du doigt ? Je me contentai donc de dire avec un petit sourire :

« Quoi, vous n'aimez pas le rouge ? »

Ma tête heurta à nouveau le mur, à cause du coup de poing. La main qui me tenait me relâcha et je glissai au sol. Mes jambes fébriles me lâchèrent aussitôt et je m'effondrai comme un tas de chiffon ridicule. Je grognai, à cause de la douleur. S'en suivit un nouveau coup. Plus fort. Un coup de pied. Dans mon ventre. Je me roulai en boule par réflexe, essayant de durcir mon corps comme une carapace.

L'on me tira par les cheveux pour que je redressa la tête et l'on m'arracha mon masque, dévoilant la partie brûlée de mon visage. Cela leur permettait-il de me déshumaniser ? De se sentir moins coupables de me brutaliser ? Du coin de l’œil, j'aperçus Damon, les bras croisés, qui regardait la scène sans rien dire. Il attendait que ses petits camarades se défoulent et n'interviendrait qu'au dernier moment. N'est-ce pas ? Lorsqu'un deuxième coup de poing me heurta le visage, je sentis un liquide chaud se mettre à couler de mon nez et une vive douleur remonter jusque dans mon crâne. Je grimaçai et ma tête retomba contre mes bras. Je protégeai mon visage au mieux. Il fallait simplement attendre. Attendre que les minutes passent.

Sans doute pour côtoyer John, qui fait un binôme de chimie tout à fait remarquable... Et mater le joli petit cul de Candy debout juste devant moi. Elle a attaché sa blouse de façon à ce que je ne puisse pas louper le string qui dépasse de son pantalon chaque fois qu'elle se penche sur ses tubes à essais.

"Je ne doute pas que les atouts de notre camarade t'intéressent autrement que les atomes moléculaires, mais laisser tes yeux se balader sur la feuille d'exercice ne leur fera aucun mal, je te l'assure. "

Candy pouffe de rire. Je me tourne vers le seul homme capable de me détourner d'un aussi beau fessier. Je lui souris. Il n'imagine pas le pouvoir qu'il a sur moi, et si j'étais plus malin, je ne lui en laisserais pas autant. Je n'ai pas le temps de reprendre notre exercice, la sonnerie retentit. John soupire. Je range mes affaires pendant que le professeur nous demande de terminer les comptes-rendus d'expérience chez nous.

"Je m'excuse de ne pas avoir très attentif, nous n'avons qu'à nous retrouver ce soir pour terminer ce devoir ?"

Il hoche la tête. De toute façon, réponse positive ou négative, il sait que je viendrais. Je lui fais un clin d'oeil avant de quitter la salle de cours à la suite de Candy. C'était clairement une invitation, et je ne rate jamais une occasion. Je rattrape le demoiselle dans la cour. Celle-ci me donne son numéro de téléphone sans attendre. Je lui promets de l'appeler. Ce que je ne manquerais pas de faire.

Je me dirige vers le fond de la cour. Prêt à sauter par-dessus le grillage et à sécher les cours suivants avec Chris, mais un regroupement m'interpelle. Ils portent tous les blousons de l'équipe de foot, et ils se déchaînent sur un élève au sol.
Je m'approche. Damon est à l'écart. Il ne se salit pas les mains. Comme tous les grands dirigeants. Quel connard. Étrangement, je crois reconnaître le gamin qui leur sert de punching-ball.

"Je peux savoir ce que vous foutez ?"

William. Évidemment, c'est de ma faute. Je m'étais promis de ne pas me sentir coupable. C'est loupé. Je fais un pas vers lui, mais Damon intervient. Pourquoi cela ne m'étonne pas ?

"Bravo, Damon. Tu fais tabasser un gamin incapable de se défendre par des gorilles décérébrés qui font deux fois sa taille. Quelle bravoure. Je te félicite, tu as gagné le Trophée du plus grand des connards. Heureux ? Tu vas pouvoir te branler en songeant à ce moment de toute-puissance ce soir. Quelle journée bien remplie."

Je me tourne vers les australopithèques qui lui servent d'amis.

"Lâchez-le bande de débiles. C'est moi le coupable."

Les coups cessèrent un instant. Je pus respirer plus correctement, presque tenté de ramper loin de ce regroupement mais je n'avais pas encore perdu toute ma fierté. Et puis j'avais mal. Je relevai juste un bras pour apercevoir la silhouette de Ben, près d'un Damon toujours aussi tranquille. ll regardait Ben avec un petit sourire en coin. Je ne vis pas exactement la scène, ni ne compris tout ce qu'ils étaient en train de se dire mais deux joueurs de foot commencèrent à vouloir le frapper, lui aussi. Mais Ben se défendit. Damon finit par bouger et leva la main pour que ses hommes cessent toute action à l'encontre de Ben. Ce qu'ils firent, les braves petit toutous. Damon posa une main sur l'épaule de Ben, comme pour le calmer de manière amicale :

« Tu vois, Ben, les autres finissent toujours par payer à ta place. Mais je suppose que ça ne te pose pas de problème. »

Il s'approcha alors et s'agenouilla devant moi. Sa main se posa sur ma joue blessée par les flammes et il pencha la tête sur le côté avec un petit air navré. Puis il se redressa avant de faire signa à ses hommes de repartir. L'un de mes donna un dernier petit coup de pied, car il aurait été trop bête de relâcher cette pulsion autre part, et, enfin, le petit groupe disparut. Je relâchai ma respiration tandis que Damon se redressait.

« Mon pauvre William, je crois bien que tu viens de payer l'addition qu'a laissé ce cher Ben sur le comptoir avant de partir comme un voleur. J'espère que tu ne lui en voudras pas trop pour ça. » il me fit un clin d’œil avant de s'arrêter devant Ben. Je ne le vis pas, mais je savais très bien qu'il lui souriait. Puis il passa son chemin avant de disparaître à l'angle du mur.

Une fois en sécurité, je roulai sur le côté et posai ma main sur mon masque avant d'aller m'asseoir contre le mur. Ces idiots m'avait donné des coups de poing au visage. Ils n'étaient décidément pas très futés. Ne savaient-ils pas que, pur être efficace et discret, il valait mieux attaquer des endroits que les autres ne pouvaient pas voir ? Enfin... Sans doute voulaient-ils marquer leur territoire.
Je levai le regard sur Ben. Il était encore là... Bien sûr. Et il devait se sentir coupable, au moins un peu. Je fis un petit geste de la main pour l'inciter à partir.

« Va, va, je te déleste du poids de la culpabilité même si je suis très touché par cette sollicitude. »

Je rêverais de lui exploser la tronche sur le goudron... Et de l'embrasser. Ces sentiments sont tellement contradictoires que je ne sais plus quoi penser. Ses chiens fidèles cessent d'attaquer Willy et s'approchent de moi. Mais, c'est tout de suite moins facile de s'en prendre à quelqu'un qui sait se défendre. J'esquive les deux premiers coups avant d'en mettre un dans le ventre de Bradley. Damon intervient, puisque ça risque de dégénérer. Il pose sa main sur mon épaule, et Seigneur, qu'il est difficile de me retenir de lui briser un doigt.

"Va te faire foutre, Damon."

Il s'approche de William, comme un putain de parrain désolé. Damon tourne le film de sa vie en permanence. Il joue son rôle de Roi de la pègre lycéenne à la perfection. Il ne peut s'empêcher de me sourire avant de s'éloigner avec sa bande de sbires sans cervelle.

J'aurais sincèrement aimé ne rien ressentir en voyant William mais, c'est plus fort que moi. Si je me souciais un tout petit peu plus des conséquences de mes actes, nous n'en serions pas là, n'est-ce pas ? Je suis vraiment un bad boy pitoyable. Je lui souris.

"Qui te dit que je me sens coupable ? Tu n'avais qu'à pas m'accompagner dans ces vestiaires. Tu n'as eu que ce que tu méritais pour avoir suivi ta curiosité plutôt que ta raison."

Je lui tends la main pour l'aider à se lever.

"De toute évidence, tu as l'air d'être le genre de personne qui encaisse bien la douleur... Mais tu fais peine à voir, et je te dis ça en toute amitié, Willy."

Je l'entraîne vers les toilettes les plus proches. D'un regard je fais dégager les deux adolescents qui fument un truc visiblement illégal. Je ferme la porte à clé (puisqu'il se trouve que j'aie en ma possession un trousseau des clés de l'établissement). J'attrape le désinfectant dans mon sac, et j'essuie délicatement son visage. William aurait pu être mignon sans ses cicatrices... Aurais-je osé sortir à sa place, même avec un masque ? Moi qui ai déjà honte des traces que je porte et qui ne se voient pas ? William est courageux, dommage qu'il ait un penchant pour les mauvais garçons.

"C'est amusant, parce que d'habitude, c'est moi qui me retrouve à ta place, et une jolie fille vient passer de la pomade sur mes blessures... Parfois, elle utilise un remède miracle, pour faire disparaître la douleur..."

D'un geste aussi simple qu'étrange, je pose un baiser chaste sur ses lèvres, puis je lui fais un clin d'oeil.

"Malheureusement, je ne suis pas une jolie fille donc je ne suis pas certain que le procédé fonctionne de la même manière, mais ça ne peut pas empirer la situation, n'est-ce pas ?"

Alors je me contentai de hausser les épaules. Il essayait de se dédouaner mais bien sûr qu'il se sentait coupable. Parce qu'il avait bon fond. Et même s'il ne se sentait pas vraiment coupable, il aurait dû. Je lui lançai un petit regard indigné avant de prendre la main qu'il me tendait. Je lâchai un léger soupir. Inutile de préciser que je faisais peine à voir, j'étais déjà au courant... Et j'avais largement connu pire. S'il avait vu le reste de mon corps brûlé. Quand on a connu ce genre de douleur, le reste paraissait assez dérisoire. Je ne fis pas de commentaire à ce sujet et me contentai de sourire, presque énigmatique.

« Tu aurais du laisser ta curiosité au placard toi aussi. »

S'il ne s'était pas approché voir ce qu'il se passait, il ne serait pas tombé sur nous, et n'aurait pas eu d'avantage de problèmes qu'il n'en avait déjà. Et puis, le rôle du chevalier blanc ne lui correspondait pas vraiment, en fait. Je le laissai me guider jusqu'aux toilettes où il ferma la porte à clé. J'étais bien assez focalisé sur mon image dans le miroir pour me demander où il avait bien pu trouver les clés des toilettes. Je faisais, en effet, peine à voir. Le visage rongé par les brûlures et le sang séché sur mon visage. J'allais avoir de jolis bleus par-dessus le marché. Heureusement que le maquillage se vendait bien, de nos jours.
Lorsque Ben déposa son désinfectant contre mes blessures je grimaçai légèrement sous la piqûre que cela me provoqua. Je restai cependant immobile en le regardant faire.

Je me doutais qu'il devait souvent se retrouver dans des situations délicates. Il était du genre impulsif, bagarreur. Les blessures, ça devait le connaître - d'ailleurs tout le monde ne se baladait pas avec des soins dans son sac. Lorsqu'il déposa un baiser sans arrières pensées sur mes lèvres, il capture mon souffle avec lui. Je le regardai, perplexe. Il venait de... De m'embrasser ? Hors de question que je me mette à rougir comme une midinette ! Je gonflai les joues, comme un petit enfant énervé, et fronçai les sourcils.

« Tu crois que tu peux voler de baisers à de jeunes damoiseaux en détresse en toute impunité ? » je lui donnai une petite tape faiblarde sur la main et lui pris le désinfectant pour aller moi-même soigner mes blessures devant le miroir. « Mais c'est vrai, c'est moins douloureux. Tu as peut-être des pouvoirs magiques ! »

Je lui lançai un petit regard amusé à travers le reflet dans le miroir. J'aurais peut-être dû lui en vouloir ? Mais je ne lui en voulais pas. Ce n'était pas sa faute si les autres étaient parfois... Des connards. Je poussai un profond soupir avant de m'asseoir sur le rebord du lavabo.

« Pourquoi est-ce que tu as essayé de me défendre ? »

Comment Damon a pu demander à ses potes de le tabasser ? Ne possède-t-il vraiment pas de coeur ? Tout ça pour quoi ? M'emmerder ? Ça n'a pas de sens... Enfin, peu importe. Je ne peux pas revenir en arrière.
Je souris à mon jeune blessé, qui visiblement ne supporte pas que l'on s'en prenne à sa chaste personne. Ce n'était pas un baiser, c'était... Un pansement contre la douleur. Rien d'ambiguë.

"Je ne vole des baisers qu'aux jeunes damoiseaux en détresse qui me semblent en éprouver le besoin... Et je suis trop charmant pour que les damoiseaux s'en plaignent."

Je le laisse continuer d'appliquer le désinfectant seul.

"Bien sûr que je possède des pouvoirs magiques ! Je fais disparaître la douleur, et je t'ai rendu le sourire alors que tu viens de te faire tabasser par des abrutis ! Je suis un super-héros !"

Enfin, dans ce domaine, Chris me surpasse un peu. Je ne connais personne capable de remonter le moral mieux que lui. C'est un héros sous-estimé... Tant mieux, si d'autres élèves se rendaient compte de son pouvoir anti-dépressif, il n'aurait plus de temps à me consacrer.
J'observe Willy un instant avant de reculer, bras croisés, appuyé contre le mur en face des lavabos.

"Je ne pouvais pas rester sans rien faire alors que tu subissais une injustice, Willy... Tu vois, quand j'étais petit, et que je ne possédais pas encore tout ce potentiel séduction, je n'étais pas très apprécié par mes camarades de classe... Je reconnais que je n'étais pas totalement étranger à cette méchanceté, je cherchais la bagarre, et je n'avais pas la carrure pour la gagner. Un jour, Chris s'est interposé entre moi et un élève plus grand. Il ne s'est pas battu, ce n'est pas dans son tempérament, il s'est contenté de balancer une vanne, qui a fait rire tous les copains du caïd et, plus personne ne s'en est jamais pris à moi. Il a suffi d'une fois, et d'une blague pour que Chris change ma vision de la vie. Alors, bien sûr, je ne suis pas Chris et j'interviens à ma manière, mais au moins, j'essaie de prendre exemple sur lui et de faire quelque chose de bien..."

Mince, c'était long, et beaucoup trop élogieux comme histoire. Si Chris avait entendu ça, il se pavanerait sous mon nez pendant des semaines. Je secoue la tête.

"Mais, ne va pas croire que je me prends pour un preux chevalier. J'adore ma réputation de mauvais garçon. J'adore faire peur aux petits intellos, et séduire les jolies filles. Je pars simplement du principe que tabasser un gosse qui n'a rien fait à trois contre un, ce n'est pas juste... Et puis, si je n'avais pas réagi, qui sait ce qu'aurait fait Damon ? Il aurait peut-être recommencé jusqu'à ce que je m'en préoccupe ?"

Trop charmant ? Où allait-il chercher ça... Je fis un sourire. Oui. C'est vrai. Il était bien trop charmant pour que je songe à rouspéter d'avantage. Et puis, il était le premier à m'embrasser, même s'il ne s'agissait que d'un baiser chaste, simple, banal et sans aucune signification. Bizarrement, ça avait de l'importance pour moi. Comme la preuve irréfutable que tout le monde n'était pas si cruel. Je le savais, mais parfois c'était dur d'en être sûr. J'étais donc heureux qu'il me le rappelle.

« Fais attention, monsieur le super-héros, tu risquerais de ne plus entrer dans tes chaussures et ce serait vraiment bien dommage parce que tes chaussures sont vraiment très belles. » me moquai-je gentiment avant de regarder mes blessures. Ca devrait suffire. Je n'allais pas pouvoir les arranger. Et mon père (du moins l'homme que je considérais comme tel) allait, encore une fois, me demander ce qu'il s'était passé. Heureusement qu'il savait que je ne me battais pas.

Je lâchai un léger soupir avant de regarder Ben me donner quelques explications. Il n'essayait bizarrement pas de se justifier. Je n'étais pas sans savoir que ce fameux Chris et lui étaient inséparables, comme les deux doigts de la main (et plus encore). Je ne connaissais cependant pas leur histoire et fus touché que Ben ait envie de la partager avec moi, qu'il me fasse assez confiance pour ça, pour ne pas en profiter pour exposer ses faiblesses (enfin, de toute façon personne ne me croirait vraiment j'imagine ?). Je lui fis un sourire assez doux. Je n'avais pas mon masque, il n'avait pas le sien - ou du moins pas entièrement. Et c'était plutôt agréable de parler face à face. Je penchai légèrement la tête sur le côté.

« Les mots sont bien plus puissants qu'un coup de poing, ce sont eux qui changent les choses. Ce sont eux qui restent gravés, qui s'ancrent en chacun de nous. Ils peuvent apaiser les maux ou briser des esprits. » acquiesçai-je. « Tu vois que tu es quelqu'un de bien. » j'eus un sourire empli d'une fierté non dissimulée. L'air de dire : je le savais, je te l'avais dit. J'ai toujours raison. La suite me fit seulement hausser les épaules. « A ta guise, on prétend bien ce que l'on veut tant qu'on ne s'en persuade pas trop soi-même. Et puis Damon ne me fait pas vraiment peur... Pas pour moi, en tout cas. C'est plutôt pour toi que j'ai peur, car ce n'est pas mon attention à moi qu'il recherche mais la tienne. Et tout le monde sait que l'attention de Damon est dangereuse. Moi je ne risque que quelques égratignures, mais toi ? Tu risques peut-être ton âme. »

Je sautai à terre et me perchai sur la pointe des pieds, devant lui, pour déposer le même baiser sur se lèvres. Chaste et sans arrière pensée.

La prétention est l'apanage des gamins fortunés qui ne possèdent rien d'autres qu'un joli minois. Sans cela, je devrais me contenter d'être passablement anxieux et introverti, quel ennui.
Je secoue la tête. Je ne suis pas certain d'être d'accord avec lui. Enfin, de mon point de vue, les coups sont restés gravés aussi bien que les mots. Mais ce n'est pas du tout le même contexte.

"C'est amusant, mon entourage n'a de cesse de me mettre en garde contre Damon."

Je maîtrise à peu près la situation... Quand Damon ne décide pas de faire tabasser l'un de mes amis rien que pour m'emmerder. Ce sont les risques lorsque l'on joue avec le diable, n'est-ce pas ? Il sait qu'il ne peut pas s'en prendre à moi, alors, la seule solution, c'est de faire du mal à mes proches. Quelle cruauté. Pour une raison que j'ignore, c'est un mélange de colère et d'excitation qui m'envahit lorsque je pense à lui.

Je tire la langue à Willy, avant d'attraper le masque immaculé qu'il porte tous les jours.

"Je vais te révéler un secret, Willy..."

Je le mets devant mon visage, et je lui souris. Est-ce que la vie est plus facile, caché derrière une véritable façade ? Il suffit de retirer le masque pour redevenir soi-même. C'est un mensonge tangible. Facile. Comme jouer un rôle dans une pièce.

"Ce n'est pas parce que j'ai l'air d'un parfait abruti inconscient et naïf, que j'en suis un. Je ne suis pas aussi fin manipulateur que Damon, c'est une évidence, mais quel serait l'intérêt de jouer contre un adversaire que je suis certain de pouvoir vaincre ?" Je souris et j'enlève le masque. "N'oublie pas que mon domaine, c'est le théâtre. Je ne fais qu'interpréter des personnages dans le film qu'est ma vie, et cela me procure un avantage non négligeable : Personne ne sait qui je suis vraiment, et tout le monde me sous-estime."

C'est une demi-vérité. Chris connait la plupart de mes talents secrets, tandis que John a su déceler certains aspects de ma personnalité. Nous passons trop de temps ensemble. Il a fini par remarquer qu'il m'arrivait de changer de costume. Le Ben lycéen ne sait pas jouer aux échecs, mais peut se révéler un stratège hors pair lorsqu'il se retrouve dans une impasse. Il lui arrive de chercher la bagarre, mais la perd à tous les coups, alors qu'il sait se défendre. Il est exubérant, il aime qu'on le remarque, alors il est méconnaissable dès qu'il décide de passer inaperçu. Contrairement à Damon, je suis un tricheur. Je garde mes atouts dans ma manche jusqu'au dernier moment.

"En sachant cela, comment peux-tu affirmer que je suis quelqu'un de bien ? Tu as, en partie, raison, je ne pense pas être quelqu'un de mauvais, mais je suis égoïste. J'agis pour moi. Dans l'unique but d'en tirer une quelconque satisfaction, sans penser aux conséquences."

J'observe le masque un instant. Je ne suis ni bon. Ni mauvais. Je suis Ben. Aux multiples facettes.

"J'ai une idée, et je te promets qu'elle n'implique aucune plaisanterie !"

Je déverrouille la porte des toilettes, tout en gardant son masque et je l'emmène jusque dans la salle de dessin. Lara m'a toujours laissé carte blanche ici. D'une parce que je couche avec elle, et de deux, parce que je suis son meilleur élève. Je récupère donc la clé du placard à fournitures de peinture. Je sors ce dont j'ai besoin, et je m'installe à une table.

"Tu vois, ton faux visage manque un peu de fantaisie, Willy. Tu es pétillant, et lumineux, tu ne peux pas te contenter de porter un masque blanc. Tu dois montrer au monde ce que tu es vraiment. Choisis des couleurs, et un exemple des motifs que tu aimerais que je dessine. Je te promets de m'appliquer."

« Si tout le monde te met en garde c'est qu'il y a une bonne raison, mais tu le sais déjà très bien. Tu as beaucoup de défauts mais tu n'es pas stupide... A vrai dire, tu fais des choses stupides avec une grande intelligence. Quel talent ! » me moquai-je.

Ben n'était pas idiot, il n'était pas aveugle ni aveuglé. Il savait à quel jeu jouait Damon. Il avait simplement décider de jouer lui aussi, apparemment. Damon agissait comme une drogue sur ceux qui s'approchaient trop près de lui, et certains n'en revenaient jamais, trop dépendants. Si Ben ne revenait pas, ce serait bien dommage. Il avait des défauts - beaucoup de défauts - mais il avait aussi de belles qualités. Après tout, il m'avait secouru et malgré tout ce qu'il pouvait en dire... Il ne l'avait pas fait par égoïsme.

Je le regardai attraper mon masque blanc et le tourner entre ses mains. Je passai les mains derrière mon dos. Il n'avait l'air ni effrayé, ni répugné par mon visage à moitié ravagé. Il n'avait pas hésité à déposer un chaste baiser sur mes lèvres et n'avait pas tressaillis lorsque je l'avais fait en retour, par amusement, par envie, par curiosité. Je penchai légèrement la tête sur le côté.
Des personnages.
Nous en étions tous là, non ? Jouer des rôles ; certains le faisaient pour se démarquer, d'autres pour être acceptés. Pouvions-nous vraiment être honnête avec soi-même ? Avions-nous pleinement conscience de nos actes, de notre vie, et de toutes les influences positives et négatives que nous pouvions avoir sur les autres ?

« ... "car c’est surtout les apparences que le monde met en dehors et habille de formes menteuses. Le monde est un grand comédien ; et, comme le comédien, il reçoit et renvoie tout, il ne conserve rien." » récitai-je en citant Honoré de Balzac dans sa Comédie Humaine.

Et sur ce, je fis quelques petits pas de danse hasardeux, les yeux levés, en pleine réflexion. Moi-même je jouais un rôle. Le petit William étrange, bondissant, enfantin, parfois étrange et mystérieux. C'était mieux que d'être le gars torturé par un passé parti en fumé, en tout cas. La résilience. J'attrapai le main de Ben dans un rire amusé lorsqu'il me demanda sincèrement comment je pouvais penser qu'il était quelqu'un de bien.

« Quelqu'un de mauvais aurait-il avec moi cette conversation ? Tout le monde a des défauts, tout le monde est égoïste car l'altruisme pur et simple n'existe pas. On agit toujours un peu pour soi. C'est comme ça ! Mais est-ce que ça nous empêche d'être quelqu'un de bien ? Et s'il n'y avait pas de bonne personne ? Ni de mauvaise personne ? Seulement... Des gens. Toi, moi, eux tous, qui essayent simplement de vivre et de faire de leur mieux. » je haussai les épaules. « Bienvenue chez les vivants ! Ravi de faire ta connaissance. »

Je lui serrai vigoureusement la main. Il baissa alors les yeux sur mon masque avant de m'entraîner dans une salle de dessin. Je le regardai avec curiosité. Il possédait donc toutes les clés de l'établissement ? Je gloussai avant de me balancer d'avant en arrière sur mes pieds. Je le vis prendre de la peinture et du matériel. Je compris où il voulait en venir et clignai des yeux avant de sourire avec une infinie douceur. Son geste me touchait. Je m'assis sur l'un des tabouret tournant et haussai vaguement les épaules.

« Oh. Je n'y avais jamais pensé auparavant.. C'est peut-être idiot, peut-être classique, mais j'aimerais des fleurs. Les fleurs c'est une renaissance. J'aime les coquelicots. Tu sais qu'ils symbolisent Morphée ? Ils signifient le calme, la tranquillité. On les offres en guise de réconfort pour apaiser les blessures. C'est le repos éternel. Ca, ce serait pour l'ancien moi. Celui que je ne serai plus jamais.  Il y a aussi les Anémones, les fleurs d'Adonis. Tu connais ce mythe ? Adonis est le fils incestueux de Myrrha et du père de celle-ci. Il était si beau que Vénus et Perséphone en tombèrent amoureuses. Il se blessa un jour mortellement à la chasse et Vénus changea son sang en anémone. Ces fleurs fanent vite, rappelant une vie courte et éphémère. J'aime aussi les fleurs de cerisiers, les pétales roses pâles qui fleurissent tous les ans au japon. C'est le symbole du printemps. J'aimerais aussi des gerbera, surtout parce que leur couleur est joyeuse et solaire. Je crois qu'elles signifient d'ailleurs la gaieté et la profondeur des sentiments, la sincérité. »

Je posai ma tête sur mes bras croisés et souris à Ben.