Jouons ensemble... - Ft Damon

Il a très bon goût en matière de voiture. Sa Jaguar est une merveille, et je me suis permis de m'amuser autant que possible avec. J'ai usé les pneus presque jusqu'à la corde, et j'ai profité de mes talents d'artiste pour faire quelques retouches sur sa magnifique carrosserie. Une aussi belle peinture blanche ne pouvait rester immaculée. En espérant qu'il ne m'en veuille pas trop... Quoique non, j'm'en fous en fait.

J'ai décidé de ne pas me montrer trop con avec Damon. C'est pourquoi, je me suis dit que nous pourrions commencer cette semaine par un geste amical et désintéressé. Puisque nous sommes voués à nous côtoyer régulièrement dans les prochains jours, autant que cela se fasse dans une ambiance agréable et détendue.
Garé en bas de son palace cinq étoiles, je descends de la voiture et sonne à sa porte. Bien entendu, ce n'est pas Monsieur Chatterton qui vient m'ouvrir, mais une femme de ménage. Elle me salut brièvement. Je lui offre mon sourire le plus charmant.

"Je viens pour..."

Elle s'écarte pour me laisser entrer et retourne à ses affaires. Je suppose qu'elle doit avoir l'habitude que Damon reçoive de la visite. Je reste dans l'entrée, avant de crier :

"Si Monseigneur Chatterton veut bien se donner la peine de ramener ses jolies petites fesses par ici, je pourrai le conduire au lycée avec un plaisir non dissimulé. J'ai fait l'effort de faire un détour, je ne tolérerai aucun retard."

J'étais en train de siroter un jus d'orange dans la cuisine, un journal ouvert devant moi, lorsque son cri parvint à mes oreilles. Je ne pus m'empêcher de sourire, imaginant fort bien la tête de la vieille femme de ménage en entendant un rustre pareil à la port du manoir. Je pris malgré tout le temps de finir mon verre dans me presser avant de replier le journal et saisir mon sac de cours. Ces derniers temps, Ben était régulièrement venu me chercher avant d'aller au lycée, compte tenu de nos paris au Fight Club. Nus avions passé de charmantes semaines en compagnie l'un de l'autre et j'étais persuadé qu'au fond de lui, il aimait passer du temps avec moi. Qu'il aimait me détester. Il rendait mon quotidien beaucoup plus amusant car il ne connaissait pas de limites sinon celles qu'il s'imposait - et encore. Je voulais parvenir à briser les dernières moralités qui l'empêchait d'agir pleinement. Cependant, il fallait admettre que la loyauté était une qualité rare, ces jours-ci. Et, de la loyauté, Ben en avait malgré tout ce qu'il pouvait bien en dire.

Je m'avançai dans le salon et attrapai ma veste dans le hall d'entrée avant de rejoindre Ben qui était toujours sur le pas de la porte. Je le saluai d'un sourire amusé. Il pouvait clamer ce qu'il voulait, il m'adorait. Et il détestait m'adorer. Tout comme il adorait me détester. L'un et l'autre. Je lui fis un petit clin d’œil.

« Quelle douce mélodie de si bon matin, il n'y a que toi pour pousser une telle chansonnette. Je suis honoré. » je posai une main touchée sur mon cœur avant de passer devant lui et de sortir à l'air libre. Je mis mes lunettes de soleil sur mon nez et tournai la tête dans sa direction. « Désiré va finir par être jaloux, tu me tournes autour depuis cette folle nuit du Fight Club. Il serait grand temps de remettre ... » j'aperçu ma voiture complètement taguée. Oh... « Ca. C'est extrêmement tape à l’œil. Mais le modèle est unique ! » je regardai ma voiture par-dessus mes lunettes avant de tourner autour. Je levai la tête vers Ben. Je n'en attendais pas moins de lui. « C'est plutôt joli ! Félicitations. Tu m'emmènes ? Nous nous arrêterons au Swallow Coffee Shop avant les cours, je t'offre gracieusement le petit déjeuner. Alors, qu'est-ce qu'on dit ? »

J'ouvris la portière côté passager et m'engouffrai dans le véhicule. Merci, Damon, de m'accorder ce petit déjeuner.

Monseigneur Chatterton se fait désirer. Je sais qu'il adore entendre ma voix de si bonne heure, et je sais aussi qu'il adore me faire languir. J'aurais aimé profiter de cet instant pour voler une babiole, mais même moi, dans toute ma stupide impulsivité, il y a des gens à qui je préfère ne pas me frotter. Damon ne s'en offusquerait sans doute pas, mais son père... Qui sait comment cet homme pourrait réagir ? Tant qu'à faire d'énerver une telle pointure, autant que ce soit en faisant quelque chose de spectaculaire.

Je lève les yeux au ciel en le voyant parader, et je le suis dehors. Suis-je aussi énervant ? Je pense que nous sommes à un niveau équivalant sur l'échelle de la prétention, mais c'est en le côtoyant que j'ai réalisé à quel point c'était insupportable. Je ne compte pas changer, mais je l'ai remarqué, c'est déjà un premier pas.

"Ah ! Je suis ravi de constater que tu ne manques pas de goût."

Évidemment qu'il adore la voiture. La voilà unique au monde ! J'aurais dû me douter qu'il le prendrait bien. Chaque fois que je me démène pour l'emmerder, il est ravi. C'est un trait que j'apprécie : toujours faire l'inverse de ce que l'on attend de lui. Ce qui m'énerve d'autant plus. Damon ne peut pas m'apparaître sympathique.

"Tu sais ce que j'admire chez toi ? Cette façon toute particulière que tu as de proposer une sortie. Il est vrai qu'en ne me laissant pas le choix, au moins je ne risque pas de refuser. Alors, merci Damon de m'imposer ce délicieux petit-déjeuner en ta compagnie, et d'avoir la délicatesse de me l'offrir."

Je grimpe dans la Jaguar, côté conducteur et démarre le moteur. Je me dirige vers son Coffee Shop, prêt à passer un agréable moment. Parce que je suis d'excellente humeur, Damon aussi, et que dans un autre univers, nous sommes certainement bons amis.

"Je suis presque sûr que Désiré me remerciera de le soustraire à ta présence. Non pas que je doute de tes qualités en tant que... Meilleur ami, ou amant, ou sexfriend, je ne sais pas vraiment ce que vous êtes l'un pour l'autre, mais ça doit lui faire des vacances."

Je me gare dans le parking de notre destination. J'aurais pu refuser et l'emmener tout droit au lycée, bien sûr. Si je le détestais autant que je le laissais croire, c'est ce que j'aurais fait. Malheureusement, c'est un peu plus compliqué que ça. Je descend de la voiture et entre dans le Coffee Shop. C'est le rendez-vous de tous les gamins aisés du quartier. Ils viennent entre potes, ou réviser avec un ordinateur. C'est le genre d'endroit BCBG qui me met mal à l'aise. C'est le genre d'endroit que Chris et moi ne fréquentons pas.
Nous nous installons à une table.

"La prochaine fois, s'il y a une prochaine fois, je t'inviterais dans des restaurants qui ne sont pas sur Tripadvisor. Tu goûteras à d'excellents plats, originaux et pas chers, sans trop savoir si la personne qui l'a préparé n'a pas craché dedans avant de te l'envoyer. Tu verras, c'est autre chose que tes bons plans de fils privilégié du Roi de la Pègre."

Je lui souris.

"Si je voulais rajouter un peu de piment à cette situation ennuyeuse et prévisible, je te proposerais de piquer un billet de dix livres dans la caisse. Rien qu'un. Avec la possibilité de m'utiliser pour détourner l'attention des serveurs... Mais bien sûr, ce serait vraiment dans le cas où tu ne réussirais pas à m'amuser simplement avec tes traits d'esprit pendant ce rendez-vous."

La serveuse vient prendre la commande à notre table. Je prends un café corsé et un croissant, avant de faire un clin d'oeil à Damon.

Répondis-je à ses remerciements. A dire vrai, je ne lui imposai rien : il avait le choix de me déposer au lycée sans me faire le plaisir d'arrêter la voiture devant le Coffee Shop. Pourtant, c'est ce qu'il fit. S'il me détestait autant qu'il s'évertuait à le dire et à s'en convaincre lui-même, jamais nous ne serions allé prendre un petit déjeuner tous les deux. Car Ben n'avait pas peur de moi, et me refuser quelque chose ne lui faisait pas froid aux yeux. Non. Il voulait simplement passer du temps en ma compagnie et voir ce qu'il en résulterait. Lui et moi n'étions pas différent ; peut-être que c'était ça qui lui faisait peur, qu'il ne voulait pas vraiment admettre.

Je souris face aux quelques regards qui se tournèrent en direction de ma voiture. Certains habitués me connaissaient, et connaissaient surtout la réputation de mon père. Je venais ici régulièrement pour prendre un petit déjeuner avant les cours, le patron adorait me faire des prix d'amis. Alors sortir dans la rue avec une telle excentricité les étonnait ; qu'à cela ne tienne. les regards sur moi ne me dérangeaient pas, quelle que soit leur nature. L'originalité de ma voiture était unique, tout comme je l'étais et tout comme l'était ma relation avec Ben. Pourquoi m'encombrer de frustration et d'agacement pour une chose matérielle ?

Je m'assis à une table et posai mon sac sur la chaise à côté de moi tout en l'écoutant déblatérer. A dire vrai, Désiré et moi n'étions pas jaloux de nos relations respectives. Lui et moi, nous étions liés par l'âme et l'esprit, que cela plaise ou ne plaise pas. C'était un état de fait. Désiré ne pouvait y échapper. Il serait toujours là. Et je serai toujours là. Sauf s'il décidait de me tuer, pour une raison ou pour une autre... Un léger sourire apparut sur mes lèvres alors que je commandai notre petit déjeuner. Café crème, croissants... Pour un peu, nous aurions pu nous croire en France. Un chic gastronomique qu'on ne retrouvait malheureusement pas ici, en Angleterre.
La réflexion de Ben me fit d'autant plus sourire. Que serait un petit déjeuner sans d'alléchantes propositions ?

« Cela donne particulièrement envie, présenté sous cet angle... » commentai-je avec amusement. « Pour revenir sur ce que tu me disais, tu avais le choix de me déposer au lycée malgré ma proposition, je ne t'ai rien imposé du tout. Mais peut-être préfères-tu te croire mon captif ; admettre être venu ici, avec moi, pour le simple plaisir de ma compagnie est si douloureux à admettre ? Tu sais très bien que tu me ressembles trop pour me détester. Et que tu me ressembles trop pour m'aimer. Que nous reste-t-il entre les deux ? »

Sa proposition me surpris. Voilà ce qu'il nous restait, entre l'amour et la haine. Il ne restait que nous. Je joignis mes mains entre elles sur la table et m'approchai légèrement de lui en haussant un sourcil.

« Aurais-tu envie de me réduire au rang de voleur ? Cela me blesse profondément... Mais pourquoi pas. Que représentent dix livres dans la caisse d'un café aussi prestigieux ? Cependant, je ne le ferai pas gratuitement. Il y a toujours une contrepartie, n'est-ce pas ? » L'on nous apporta le petit déjeuner et je plongeai un sucre dans mon café. « Si tu souhaites ardemment me mettre au défi, alors dans ce cas... Disons que cela vaut bien une petite rumeur sur cette charmante fille de 12ème année, Jane, dont la mère vient d'acquérir un post à la mairie. Que se passerait-il si le lycée se mettait à croire que cette charmante jeune fille modèle était en fait une vraie délurée dans les toilettes du lycée. »

Je laissai mes doigts courir sur le dos de sa main et fis un mouvement de langue déplacé à l'intérieur de ma bouche.

Ses mots me blessent. Me poignardent en plein coeur. Moi ? Lui ressembler ? Cela expliquerait pourtant pourquoi je ne le supporte pas... Je me rassure en me disant que je suis bien plus humain qu'il ne le sera jamais, mais force est de constater que nous avons de nombreux traits en commun.

"D'accord. Tu as gagné. J'ai accepté de venir pour le plaisir de ta compagnie. Je suppose que tu ne peux pas le comprendre, parce que tu ne ressens rien, mais je suis fasciné par les sentiments contradictoires que tu éveilles en moi. Je te déteste viscéralement, cela, tu peux en être sûr, mais, lorsque je n'ai pas envie de t'éclater la tête contre un mur, j'entrevois ce que Désiré et Nathanaël apprécient chez toi... Captivant, non ?"

Je lui souris. Un séduisant voleur, à n'en pas douter. L'idée qu'il accepte de participer à mes propositions délirantes me rend joyeux. Les gens sont trop réfléchis. Trop matures. Trop attachés à leur image. Damon sait s'amuser. Il ose tout. Il n'a peur de rien. C'est vrai qu'il me fait penser à moi.
Ah oui. La grosse différence avec moi, c'est que Damon fait les choses par plaisir, mais pas uniquement. Les contreparties, c'est réellement un truc de parrain de la mafia.

Le mime de Damon me fait rire. Je retire ma main de la sienne, tout sourire avant de couper un bout de mon croissant. Je n'ai jamais fait courir de rumeur sur une fille. Je n'en ai jamais eu besoin. Par contre, les rumeurs courent beaucoup sur mon compte. Il ne serait pas difficile de délurer réellement la petite Jane.

"Voler dix livres est anodin. Toi, tu me demandes de détruire la réputation d'une jeune fille innocente. Qui plus est, je suppose que ce n'est pas un hasard si tu choisis la gamine d'une employée de mairie." D'une certaine façon, n'est-ce pas déjà le début de la fin ? Accepter de faire du mal à quelqu'un pour me divertir... "Si tu me laisses la possibilité de coucher réellement avec elle, ce ne sera pas un mensonge, et elle aura au moins pris un peu de plaisir. C'est d'accord."

Je bois une gorgée de mon café. Jouer les enfoirés, c'est dans mes cordes. Je lui souris.

"J'ai eu le temps d'examiner un peu la caisse, et tu ne pourras pas l'ouvrir sans la clé, donc je vais me contenter du joli billet jaune de dix livres qui se trouvent dans le pot à pourboires sur le comptoir. J'ai un peu d'expériences dans le domaine, alors je vais me permettre de te conseiller deux choses : premièrement, essaie d'éloigner la serveuse âgée, je peux détourner son attention si tu le souhaites. Deuxièmement, sois charmant et vif. Elle ne remarquera rien."

Dommage que je ne puisse pas m'émouvoir... Ou tant mieux. Peut-être avais-je une chance inouïe, ou peut-être me manquerait-il toujours quelque chose. Quoiqu'il en soit, je ne me plaignais pas de mon sort, bien au contraire. Je me complaisais dans le rôle que la nature elle-même m'avait attribué et que les hommes appelaient psychopathie. Autant tirer les cartes du jeu étant donné que les choses étaient ainsi faites... Je ne pus m'empêcher de sourire à Ben alors que ma main caressait le dos de la sienne, séducteur ; et je savais que ce geste ne le laissait pas indifférent - en bien ou en mal. J'aurais été curieux de savoir si coucher avec moi l'aurait répugné ou fasciné. Mais je n'étais pas certain d'avoir envie d'incliner notre relation de cette manière, bien qu'il n'y ait jamais aucun problème à se faire du bien. La séduction et le flirt étaient des territoires beaucoup plus excitant que le passage à l'acte, au bout du compte.

Je souris face à ses légères protestations et levai les mains en signe d'innocence.

« Quelqu'un a dit que les challenge devaient être équitables ? Cela étant, j'ai moi-même ma petite réputation. Que diraient les gens s'ils apprenaient que je me mets à voler à l'étalage alors que ma famille est l'une des plus fortuné de la ville... Au final, je suppose que ça revient au même. A la différence que ta réputation à toi ne sera pas entachée du tout, quelles que soient les conséquences. »

Je lui fis un petit sourire en coin. Qui avait le plus à perdre, finalement, à ce petit jeu ? Bien sûr, il me rendrait un fier service mais ce n'était pas son image qui serait en jeu. Oh, je ne disais pas cela par appréhension, crainte, ou peur - trois émotions que je ne ressentais pas, permettant de dépasser chaque limite - je tenais seulement à le lui spécifier.

« Tu as quartiers libres. Coucher avec elle, la séduire, l'inviter au cinéma - il y a toujours des cachotteries dans les sièges du fond. Peu importe, tu es le spécialiste paraît-il. »

Je m'adossai contre ma chaise et jetai un coup d'oeil en direction du comptoir alors qu'il me parlait des pourboires. Charmant, vif. Deux qualités qui me qualifiaient bien. Je reportai mon attention sur Ben et lui fis un clin d’œil pour conclure notre accord. Je bus une gorgée de mon café crème en réfléchissant à une stratégie. Voler était une chose que je n'avais encore jamais faite.

« Tu es ma première fois, j'espère que tu en es honoré... Dans ce cas, je te laisse jouer la comédie auprès de Pam, c'est la serveuse la plus âgée. Elle est responsable. Le reste, je m'en occupe. »

Il y avait d'autres clients mais peu prêtaient attention à ce qui se passaient près du comptoir. Il me suffisait de leur tourner le dos et de leur cacher la vue. Quant à Erik et Ellie, j'en faisais mon affaire. Erik avait un faible pour Ellie qui avait un faible pour moi. Quelle tragédie Grec ! Je m'approchai du comptoir et posai mon coude à côté du pot en question. Je fis un charmant sourire à la jeune femme qui passa ses cheveux derrière son oreille, essayant de prendre un air cool.

« Salut, Damon. »
« Bonjour, Ellie. Tu as un nouveau vernis, non ? »
« Oh, ouais, je suis allée faire les soldes hier. C'est cool que t'ai remarqué ! »

Je lui fis un clin d'oeil sous le regard morose d'Erik. Je le saluai d'un geste de la main alors qu'Ellie repartait faire du café. Il me tourna le dos et partit nettoyer la pièce du fond, comme il le faisait toujours lorsque je m'approchais trop. Peut-être avait-il peur de se montrer grossier avec la clientèle et de perdre son boulot ? Une plainte de ma part aurait suffit.

« Ellie, sweetheart, tu serais un ange si tu allais me chercher un petit brownie à la cuisine. »

Elle me fit un grand sourire et hocha la tête avant de partir dans la cuisine. Je pianotai des doigts sur le comptoir en attendant. Pam était occupée près de Ben. Je glissai ma main dans le pot à pourboire et pris les dix lives désirés par Ben. Je fis glisser le papier dans ma manche et recommençai à pianoter sur le comptoir en attendant mon brownie. Ellie revint et je lui souris avant de prendre ma part de gâteau et de retourner m'asseoir.

« Bonjour Pam, un problème ? »

Monsieur Parfait ne pourrait supporter de voir sa réputation entachée par un petit vol à l'étalage ? Alors que son parrain de père arnaque et vole les habitants de Londres depuis des décennies. Il est aussi voleur que je suis goujat.
Cependant, je comprends. Damon ne ressemble pas à son père. Il peaufine ce masque de bienveillance, cette main de fer dans un gant de velour. Damon respecte les règles de la société, il est calme, mesuré. En apparence, Damon est l'opposé de son père. Tout comme, en apparence, je suis l'opposé du mien. Pourtant, un jour, nous travaillerons avec eux, puis nous les poignarderons. Notre monde est ainsi fait.

Je ne peux pas vraiment lui donner tort. Il a plus à perdre que moi.

"Soit. Je ne me plains pas de ton gage de toute façon, Jane n'est pas dénuée de charme, et puis à notre époque, être une dévergondée n'est plus si grave !"

Je lui offre un immense sourire. S'il savait comme je suis ravi d'être sa première fois, et comme j'espère l'être en de nombreuses autres occasions... Jouer avec Damon est une perspective réjouissante ! Tant de possibilités s'ouvrent à nous ! J'hoche la tête et le laisse s'éloigner. J'appelle la fameuse Pam.

"Je suis navré de vous déranger, mais j'aurais besoin que vous me lisiez la carte. Je n'ai pas mis mes lunettes pour impressionner Damon, sauf que je suis incapable de lire quoique ce soit et j'aimerais profiter du fait qu'il se soit éloigné pour qu'il ne le remarque pas... Vous comprenez, il est si beau, je... Je voudrais lui demander de sortir avec moi... Vous pensez qu'il pourrait s'intéresser à moi ? Je ne suis pas du tout son genre, je le sais bien. Au lycée, il se moque un peu de moi, et il m'oblige à porter son sac, mais il est gentil, il m'invite boire un café ici, c'est qu'il doit bien m'apprécier, non ? Ou alors il fait cela juste pour me narguer... C'est si compliqué les relations sentimentales. Damon est si difficile à comprendre. Un jour il est adorable, le lendemain, il est imbuvable. Vous n'auriez pas des conseils à me donner ? Je sais que je devrais peut-être faire des efforts vestimentaires. À nous voir tous les deux assis-là, on ne pourrait pas croire que je suis du même milieu social que lui ! Mais peut-être que l'apparence n'a aucune importance pour lui ? Peut-être que ce qui compte à ses yeux, c'est la noblesse du coeur, vous voyez ? Ça m'étonnerait cela dit, il ne s'entoure que des plus beaux garçons au lycée, ils sont toujours parfaits, comme dans un boys band ! Forcément, moi à côté, je fais un peu tache, et je ne voudrais surtout pas lui faire honte, il est si beau. Vous avez raison, je ne devrais pas lui avouer mes sentiments, nous ne sommes pas du même monde. Je me ferais du mal. Il vaut mieux que nous restions amis. Ça m'a fait du bien de vous parler, merci madame. Vous êtes vraiment gentille."

Avec mon sourire le plus innocent, je lui tends mon assiette vide, elle la prend, totalement sonnée par le monologue qu'elle vient d'entendre. Damon vient se rasseoir à la table, l'air guilleret. Pam hoche la tête.

"Aucun... Problème, je crois ?
— Absolument aucun, merci Pam de m'avoir écouté, vous êtes une perle, et dans votre métier, c'est assez rare pour le mentionner."

Une fois partie, je reporte mon attention sur mon petit voleur. J'ai pu l'observer du coin de l'oeil, et il s'avère plutôt doué. Dans ce métier, le plus difficile, c'est de parvenir à détourner l'attention. Damon n'a qu'à battre des cils pour faire tomber toutes les demoiselles présentes en pâmoison, et ensuite voler l'argent de la caisse. Le charisme est un atout précieux.

"Je ne pensais pas que tu aurais les couilles de le faire, Damon. Ta réussite insolente me frustre un peu, mais je reconnais que pour une première fois, tu t'es bien débrouillé, Promis, cette histoire ne sortira jamais d'ici. Je ne suis pas ton copain Isidore. Je ne dirai rien..." Je finis mon café. "Personne ne me croirait de toute façon, voire pire encore, on me croirait, et on m'accuserait de t'avoir entraîné sur la mauvaise pente, tel un vil petit diablotin sur ton épaule."

Je me lève, le laisse payer et retourne à la voiture. Deux gamins sont en train de la prendre en photo. Ils chuchotent entre eux en nous voyant arriver puis s'enfuient en courant. Je monte côté conducteur.
Damon ne semble avoir accordé aucune importance à nos réputations respectives. Je suis le fils d'un ministre qui apparaît régulièrement dans la presse à scandale pour ses allers et retours au commissariat. Nos camarades auront vite fait de faire des amalgames devant cette soudaine amitié...

"Tu m'as épaté et je me suis bien amusé... J'ai envie de jouer à un jeu un peu plus personnel et de te poser une question..."

Je démarre le moteur et me mets en route pour le lycée.

"Pourquoi tu as fait tabasser William ? C'est vraiment un point qui me turlupine. À part peut-être apparaître comme le pire des enfoirés à ses yeux, je ne vois pas ce que ça t'a apporté. Tu sais très bien que je suis obsédé par toi et tes petite manigances de Parrain au rabais, tu n'as jamais eu besoin de cogner l'un de mes amis. Pourquoi lui ? Pourquoi maintenant ? Tu t'entraînes pour bien prendre la relève de ton père ?"

Avoir voler dix livres faisait-il de moi un voleur, un voyou ? Aurais-je dû ressentir de l'excitation, de l'appréhension, une forme d'adrénaline ? Pourtant, non. J'étais assis en face de Benjamin, l'air tranquille, comme si rien ne s'était passé, qu'un tel acte était routinier. Et pas de remords. Jamais de remords. Un sentiment qui m'était étranger tant pour moi que pour autrui. Dix livres ne manqueraient à personne. Dix ou vingt. Ou trente, ou quarante. Ce n'était pas ce qui faisait une grande différence dans la vie de quelqu'un. Mais qui étais-je pour pouvoir en juger, moi dont le père était l'un des plus riches et influent homme de la ville ? Il en allait de même pour Ben. Mais lui, éprouvait-il des remords ? Des remords qu'il dissimulait derrière des couches de nonchalance ? En éprouvait-il pour chaque mauvaise action, pour chaque mauvaise décision ?

Ce devait être éreintant.

J'avais, quant à moi, la chance de ne pas m'encombrer de tels artifices. Je savais qu'un tant normal, tout le monde se sentait au moins un peu coupable de se vautrer dans le luxe, de profiter de la vie au dépend de bien d'autres. Mais lorsqu'on est dépourvu de toute empathie, qu'importe. Je m'estimais chanceux, en fin de compte. Je n'avais pas ce genre de préoccupation. Parfois, j'y songeais. J'y songeais pour m'adapter, pour feindre une forme de compassion véridique, sincère, profonde. Mais ce n'était qu'une mascarade amusante. Se fondre dans la masse était un atout majeur, paraître sympathique également.

« Tu devrais pourtant savoir que j'ai les couilles de faire n'importe quoi, sweetheart. Et bien sûr que personne ne te croirait... Un garçon aussi gentil que moi n'irait pas voler le pourboire d'un personnel aussi gentil. Personne ne croirait Isidore non plus, d'ailleurs, ou bien le doute serait rapidement balayé. » balayé par un sourire, une bonne action. J'étais intouchable et je le savais. Et Ben le savait. Et bien d'autres, au lycée, le savaient eux aussi.

Le petit déjeuner se termina rapidement après ça. Je pris ma veste et mon sac, et allai payer note consommation avant de suivre Ben dans ma voiture. Il se remit au volant et j'attachai ma ceinture alors qu'il démarrait. La discussion prit soudain une tournure plus sérieuse et je levai les yeux au ciel.

« Pourquoi, tu es inquiet pour lui ? » je fis un petit sourire en coin. « C'est adorable ! » il avait bel et bien un cœur derrière ses masques. Quel dommage. Mais tant mieux pour lui. « A vrai dire, mes gars ont suivi des rumeurs et j'ai laissé les rumeurs courir. Ca leur faisait plaisir d'avoir un coupable et moi... Je voulais juste te montrer que les actes ont toujours des conséquences. Même si tu le sais déjà très bien, n'est-ce pas ? Ce n'était pas ma décision, mais plutôt la tienne. Tu as saccagé les vestiaires et entraîné William avec toi... Il semblerait qu'on n'est jamais seul à s'enfoncer dans les ténèbres. Ce petit William est formidable, un exemple même de résiliation. C'est sa lumière qui t'attire comme un papillon ? »

Entre Damon qui utilise mes expressions vulgaires, ou le fait qu'il m'appelle Sweetheart. Il me donne l'étrange sensation que je fais désormais partie de son harem. Je suis un peu désappointé.
Personne ne me croirait non. Je suis le vilain de l'histoire. Damon est le gentil. C'est ainsi. Je ne suis même pas sûr que cette idée me dérange. Là où il est coincé dans un monde d'apparence et de règles, je suis libre d'agir à ma guise.

"Ne prononce plus jamais le mot couilles devant moi, Damon. Cela me semble si vulgaire dans ta bouche que j'ai l'impression de t'avoir dévergondé... Alors que c'est impossible, nous savons tous les deux que tu es sans doute bien plus dépravé que je ne le suis, mais ton emballage est plus hermétique."

C'est évidemment la réaction à laquelle je m'attendais. Moqueur. Médisant. Cynique. Insupportable.
Se croit-il si intouchable ? Si parfait ? Pour oser me donner des leçons de morale sans s'imaginer une seconde qu'il en subira les conséquences autant que moi ? Damon est un joueur, il cherche les limites. Il ne me connait pas assez bien, il ne sait pas encore jusqu'où je suis capable d'aller. Je suppose qu'il le découvrira bientôt.

"Crois-tu que je l'ignore ? Mes actes ont toujours eu des conséquences, Damon. Le problème, c'est que j'ai la fâcheuse habitude de ne pas apprendre de mes erreurs. Là où toi, tu ne ressens aucune culpabilité, moi, j'en ressens un peu, sur le moment. De ce fait, si tu voulais refaire mon éducation, cela te forcerait à répéter les leçons encore, et encore, et encore..."

Je n'ajoute pas que c'est sans doute plus épuisant pour le professeur que pour l'élève, puisque mon propre père a fini par perdre patience et par m'accepter telle la mauvaise graine que je suis. Je suis heureux et fier d'être le plus obstiné et le plus stupide dans cette histoire. Quel plaisir.

"Tu vois, si je cherche assez profondément dans mon coeur, je dois pouvoir trouver un peu d'affection pour toi. Rien d'extravagant, ne fanfaronne pas, mais juste assez pour accepter de petit-déjeuner en ta compagnie. En l'honneur de cette toute nouvelle amitié, je te demande de ne plus jamais jouer au Père la Morale avec moi. J'en ai assez d'un. Tu es trop séduisant, et trop mal placé pour me faire la leçon."

Je lui souris joyeusement, et je gare la voiture sur le parking du lycée. Évidemment, celle-ci fait sensation auprès des amis de Damon. Je sors et attrape nos deux sacs.

"Sérieux, Damon, en plus de la lui faire conduire, t'as laissé ce taré colorier sur ta caisse ?
Ce taré ?
— C'est de l'art, du con. Peut-être que si tu n'avais pas une bite à la place du cerveau, tu t'en apercevrais.
— Répète ça, connard ?"

Il en fallait décidément peu pour troubler l'esprit de mon cher petit Benjamin. Mais je prenais bonne note : pour lui, j'étais trop distingué pour parler de manière aussi vulgaire. Intéressant comme les impressions façonnent un personnage et une manière de se comporter. Mais soit, je ne ferai plus siffler ses oreilles de la sorte. Je ris une nouvelle fois avant d'abdiquer :

« Tes désirs sont des ordres, sweetheart. » car je supposai que si "avoir les couilles de" était une expression trop vulgaire, le surnom ne l'avait pas dérangé - auquel cas il ne se serait pas gêné de m'en faire la remarque. « Je serai donc un homme salace mais tout en politesse pour ne pas fâcher tes oreilles délicates. » ponctuai-je d'un clin d’œil.

La discussion sérieuse reprit malgré tout le dessus mais ne me fit pas perdre mon sourire pour autant. J'étais sincèrement curieux de savoir jusqu'où Ben était prêt à se rendre. Quelles limites il allait pulvériser. Je ne doutai pas un instant que notre petit jeu causerait sans doute notre mort, maintenant ou dans quelques années. Trop têtu pour arrêter, tout comme je serai bien trop amusé pour le faire. C'était peut-être sinistre. Une partie d'échec sans fin où s'amoncelleraient les cadavres autour de nous jusqu'à ce que nous nous atteignons enfin. Mais ça me plaisait.

« Ce qui est mignon c'est que tu crois vraiment que j'essaye de te donner une leçon. » je lui adressai un nouveau petit sourire en coin, presque mystérieux.

Je n'étais ni son père ni son éducateur. Je ne cherchais pas à inculquer des leçons à mes fréquentations. Je leur offrais simplement des possibilités. Des choix. Des chemins à emprunter ou à dénigrer. Je n'en dis pas d'avantage, cela ne servait à rien. Peut-être ne comprendrait-il jamais vraiment, peut-être avait-il déjà compris et attendait-il seulement confirmation. Le père de la Moral... Je n'étais pas un parrain de la pègre qui punissait l'un de ses associé un peu trop pernicieux ; j'étais plutôt un guide, comme Virgile au milieu des enfers. Mais essayai-je d'en faire sortir Dante ?
Nous sortîmes de la voiture et il attrapa mon sac. Une journée de plus - la dernière - pour notre premier gage. A peine à l'air libre, les joies hostiles du lycée commencèrent. Je fis un sourire désinvolte à mon "ami" de l'équipe de foot et, bien sûr, Ben ne put s'empêcher d'y répondre. Un soupir inaudible franchit mes lèvres. Certaines choses étaient apparemment incorrigibles, n'est-ce pas ? A peine la phrase répétée, Erick se mit inévitablement à cogner Ben. Mes yeux se posèrent sur eux. Ben allait-il réagir ? J'attendis quelques coups supplémentaires avant de réaliser qu'il ne se défendrait pas. Dommage. Je posai ma main sur l'épaule d'Erick pour qu'il cesse de se couvrir de ridicule.

« Ca suffit, Erick. » ce dernier arrêta aussitôt, prêt à me répliquer une phrase énervée mais je levai les yeux au ciel. « Tu sais, Erick, à force d'être aussi susceptible les gens vont croire que tu essayes de les faire taire parce qu'ils ont raison. Ne leur donne pas l'occasion de te mettre en tort et reste calme. C'est la meilleure des défenses. Par ailleurs, ma voiture est unique et je dois admettre que c'est une bonne chose. Il faut parfois sortir du lot, n'est-ce pas ? »

Je fis un petit signe de tête à Ben pour qu'il nous suive, moi et mes amis, alors qu'il saignait de la lèvre supérieure. Je lui tendis un mouchoir.

« Ce serait quand même dommage que la plaie s'infecte, tu as des lèvres si tentantes. »

Comme tous les ostrogoths dans son genre, il ne sait répondre à la provocation que par la violence. C'est si facile de jouer avec des hommes tels que lui... Un coup dans la mâchoire. Je me mords la lèvre, le goût du sang envahit ma bouche. Je lui fais un clin d'oeil. En colère, il abat son poing une nouvelle fois, dans mon ventre. L'idée de me défendre me traverse l'esprit, mais la situation n'est pas adaptée. Je ne suis pas en danger, et je l'ai bien cherché. Il recommence, en visant le visage. Si je ne m'étais pas autant amusant, j'aurais presque pu trouver cela douloureux. Erick compense en force ce qu'il ne possède pas en cerveau.

Damon intervient. Cher Damon. Est-ce qu'il aime cela ? Ce pouvoir de mâle dominant ? Arrêter n'importe quelle bagarre simplement en levant le bras ou en touchant l'épaule de son camarade ? Damon, le Roi de la cour de récréation. Je me redresse, en essuyant le sang sur mon menton, sourire aux lèvres.
Étonnamment, son conseil n'est pas dénué de bon sens. Le voir évoluer avec ses petits copains me donne une tout autre vision de lui. Bien sûr, son équipe est aussi stupide que je l'imaginais, sauf quelques cas exceptionnels, mais lui... Il feint l'intérêt et la compassion avec un talent surréaliste. Il sait comment remonter le moral à un ami qui vient de faire larguer, il sait éviter les sujets qui fâchent, il sait quand intervenir.
Je suppose qu'il ne lui serait pas difficile d'utiliser ses talents de communication pour obtenir l'effet inverse, faire souffrir quelqu'un rien qu'avec des mots...

"Mes désirs sont des ordres, mes lèvres sont tentantes... Chacune de tes phrases me donne envie de t'embrasser." Je les suis à l'intérieur du lycée, en appliquant son mouchoir sur ma lèvre blessée. "Aucun homme ne devrait être autorisé à posséder un tel potentiel de séduction." Je souris à Damon et, lorsqu'il s'arrête devant son casier, je m'approche de lui, assez près pour... "Et surtout pas un homme qui s'en sert à des fins égoïstes, et machiavéliques..."
Je lui fais un clin d'oeil, et je lui rends les clés de sa voiture.

"Bon cours, Damy. C'est toujours un plaisir de passer du temps en ta compagnie. "