J'aurais dû me douter que je détesterais les adolescents... Ft Years 13

Il y a de la poésie dans le meurtre. C'est une forme d'art, d'expression personnelle, et de savoir-faire. Il faut de la patience, de la concentration, de l'intelligence, de la passion. Contrairement à Thomas, je n'ai jamais vu le côté négatif de ce métier. Tuer a donné un sens à ma vie. Aussi épouvantable que cela puisse paraître. J'aime ce travail. J'ai appris avec le meilleur, et je suis devenu excellent. Je ne changerais tout ceci pour rien au monde.  

Alors pourquoi suis-je en train de corriger des dissertations médiocres sur les Hauts de Hurle-vent ?
Je n'étais pas obligé de m'infliger ça. Pourtant je suis là, en salle des professeurs, avec un café et un stylo rouge et je note des putains de copies... Et je n'ai même pas le Bac... Mais moi au moins, je sais écrire Heathcliff et Catherine Earnshaw sans faire de faute, n'ont-ils même pas ouvert le bouquin ? Ou au moins lu un résumé sur Wikipédia ? C'est ridicule.
Je regarde ma montre. Deux minutes avant la sonnerie. Je range mes affaires, je me lève et je prends les copies. Thomas m'a appris à être rigoureux et méthodique. Je ne suis jamais en retard. Jamais en avance. Je suis toujours pile à l'heure.

Je déverrouille la salle au moment où la sonnerie retentit. J'entre, les élèves me suivent dans un brouhaha désordonné. Ils m'épuisent déjà. J'aimais l'idée de pouvoir vivre plus de quelques mois dans le même pays, accepter ce poste, c'était une bonne opportunité. Une couverture parfaite. Je n'avais pas songé au fait que je haïssais les adolescents plus que toutes autres tranches d'âge.

"Bonjour à tous. J'ai corrigé votre premier devoir de l'année et dans l'ensemble ce n'est pas brillant. Installez-vous pendant que je vous rends vos copies, et sortez le livre que nous allons étudier."

Je pose mon sac sur mon siège, et je passe entre les rangs en distribuant les copies. Je n'ai pas pu m'empêcher de les classer de la moins bonne à la meilleure note - et par ordre alphabétique -, et puisque je ne supporte pas les bavardages à ce sujet, je dis les résultats à haute voix.

"Hector : F... Angel : E... Christopher : D. Ian : D. Valentin : D... Benjamin : C. Damon : C. Icare : C. Isidore : C. Lucas : C. Morgan : C...   Alice : B. Jonathan : B." Je m'arrête devant la place de Désiré. "La meilleure copie est la tienne mais elle ne méritait pas un A, et dans ce cours, si vous n'avez pas un A, vous aurez un B. Avec moi, pas de demi-mesure. Désiré : B."

J'ai l'impression qu'il ne s'attendait pas à une telle note. Je leur souris. Je me délecte presque de voir le désespoir dans le regard de certains élèves. J'attrape la craie et inscrit, dans une écriture presque parfaite : Le Portrait de Dorian Gray.

"Bien, cette fois-ci, je vais changer de méthode. Vous allez travailler par deux." Des chuchotements. Je les entends aussi distinctement que si je participais aux conversations. "Non Tracy, vous ne pourrez pas choisir votre coéquipier. J'ai déjà fait les binômes." Je termine d'inscrire : Oscar Wilde. "Oui, Chelsie, ce n'est pas juste." Je me retourne et lui sourit. "La vie l'est rarement, princesse."

J'essuie proprement mes mains, avant de m'asseoir sur mon bureau.

"Pour vous expliquer cela brièvement, je vous ai séparés en douze binôme, et j'ai choisi six sujets à étudier. Vous l'aurez donc compris, deux binômes auront le même sujet. Vous passerez tous présenter vos recherches lors d'un exposé d'une vingtaine de minutes. Les élèves spectateurs et moi, nous jugeront lequel des deux binômes a été le plus convainquant. Le binôme gagnant aura au minimum un B. L'autre... Cela dépendra de mon humeur." L'idée n'a pas l'air de leur déplaire. Bien. "Parmi tous les binômes vainqueurs, les élèves éliront le meilleur exposé... Celui-ci obtiendra le droit de choisir le prochain livre que nous étudierons, et une surprise que vous découvrirez le jour de l'oral, dans deux semaines."

J'attrape ma petite liste.

"Bien. Voici les binômes et leur sujet :
Benjamin et Jonathan, vous travaillerez contre Ian et Lauren sur : La déchéance de Dorian Gray : De l'innocente perfection à la plus misérable décadence.
Désiré et Christopher, vous travaillerez contre Lucas et Alexander sur : L'hédonisme : Portrait d'un homme superficiel, à la recherche du plaisir.
Damon et Icare, vous travaillerez contre Jenny et Caroline sur : La jeunesse éternelle : ou l'obsession narcissique de la beauté.
Morgan, Alice et Angel, vous travaillerez contre Chelsie et Erick sur : Le Fantastique : La place du surnaturel dans l'oeuvre de Wilde.
Valentin et Isidore, vous travaillerez contre Frank et Ken sur : Oscar Wilde : Le lien entre sa vie personnelle et celle de Dorian Gray.
Vous pouvez commencer vos recherches dès aujourd'hui, j'espère que comme demandé, vous avez bien lu le livre. Je vous rappelle simplement que dans ma classe, chaque faute d'orthographe vous coûte cinq points, alors relisez-vous bien."

• Benjamin et Jonathan : La déchéance de Dorian Gray : De l'innocente perfection à la décadence hypocrite.
• Désiré et Christopher : L'hédonisme : Portrait d'un homme superficiel, à la recherche du plaisir.
• Damon et Icare: La jeunesse éternelle : ou l'obsession narcissique de la beauté.
• Morgan, Alice et Angel : Le Fantastique : La place du surnaturel dans l'oeuvre de Wilde.
• Valentin et Isidore : Oscar Wilde : Le lien entre sa vie personnelle et celle de Dorian Gray.

Ordre de réponses :
• Chris
• Dési
• Damon
• Icare
• John
• Ben
• Morgan
• Angel
• Alice
• Isi
• Valentin

J'm'étais que, quand même, pour un premier cours, fallait être présent. Si je m'étais attendu à ça... Ce cul. Ce regard. Cette allure ! Mes yeux sortaient des mes orbites comme dans les dessins animés. Ce type, ce PROF, était le plus canon de tous les boulets de canons ! Une chose était claire : j'allais jamais sécher l'anglais, maintenant. Et c'était le cas ! J'avais été présent à chaque heure de cours, un grand sourire aux lèvres. Je n'écoutais pas vraiment : je regardais surtout. Et si j'écoutais, c'était simplement pour me demander quels sons sa jolie voix pouvait bien produire en plein orgasme. Je fus tiré de ma rêverie par mon nom prononcé à voix haute et posai les yeux sur ma copie avec une petite moue.

« Oh vous êtes dur, monsieur... » lui dis-je droit dans les yeux avec un petit sourire en coin. J'assumais totalement mon sous-entendu.

Je jetai un coup d’œil à Angel et lui fis un check de loin, il avait, lui aussi, eu une mauvaise note. On était un peu les deux cancres à la ramasse, lui et moi. A se demander comment on était arrivé jusqu'en Year 13... Ouais. Ca me surprenait toujours autant. Je lâchai un petit soupir et regardai ma copie raturée de rouges. Baaah. Ca changeait pas à mes habitudes. Par contre, que Désiré ait eu un B. Wow. Choquant. Ce type n'avait littéralement que des A. Je sifflai entre mes dents et me tournai vers Ben.

« Hé, tu crois qu'il a juste besoin de se détendre ? » lui demandai-je, clairement salace dans mes propos. Je ne pouvais pas m'em empêcher : ce cours était un appel à la luxure. Il était dans toutes mes nouvelles fantaisies. Heureusement que j'avais un Mathieu pour remédier à ça... Surtout que lui aussi était pas mal dans son genre. Tant de beaux profs, comment voulez-vous vous concentrer dans ces conditions ? Je captai le regard blasé de John et lui fis un grand sourire.

Je me demandais parfois ce que Ben pouvait trouver à son beau chevalier pince-sans-rire mais on dit que les opposés s'attirent alors... Je ne faisais pas trop de commentaires là-dessus et essayai de mettre un peu de bonne humeur sur ce visage impassible mais c'était comme parler à une porte de prison et espérer qu'elle soit aimable avec vous : aucune chance. Je ne l'avais vu sourire que grâce à Ben, en vérité. C'était plutôt mignon, en fait.
Le beau prof reprit la parole et ça... Ca c'était intéressant ! Travailler à deux, quel plaisir ! Et avec Désiré en plus ? Je lui fis un immense sourire. Il n'avait pas l'air ravi mais, si je n'étais pas fort pour étudier, les exposés c'était mon truc. Je savais bien parler aux gens donc si je savais quoi leur dire on allait foutre le feu à la salle de classe et être des rock star ! Je levai le pouce dans sa direction avant de me déplacer vers lui. Je rangeai ma copie dans mon sac.

« Hey j'suis super content d'être avec toi, Dési ! On s'est jamais beaucoup parler il est temps de changer ça, non ? On va défoncer Alexandre et Lucas, mon gars ! Ils vont même pas comprendre ce qui leur arrive. Mais... Avant tout, j'ai une grande question : c'est quoi l'hédonisme ? »

Sérieusement ? Je feuillette la copie.
Je n'avais jamais eu le moindre B... Je suis le meilleur, j'ai toujours été le meilleur et ... Chacune des remarques de Monsieur Osbern semble fondée. Il n'a pas mal noté pour le plaisir de mal noter. Il a noté sérieusement. Et je vaux un putain de B. Cette idée me contrarie d'autant plus. J'aurais préféré qu'il soit sévère par pure volonté sadique.

Étrangement, je m'en veux de le prendre de cette manière. Ce n'est qu'un devoir. Cela ne vaut rien. Personne ne me disputera pour un B. Ma bourse ne sera pas remise en question au vu de l'excellence de mon dossier, et dans le pire des cas, Damon m'a toujours fait comprendre que je pouvais compter sur lui... Alors pourquoi ça a de l'importance à mes yeux ?

Trop concentré sur cette fichue copie, je n'entends que la fin de l'énoncé du professeur. En binôme. Avec le clown de service. Non pas que je ne l'aime pas... Il est drôle, et inoffensif, mais... Pourquoi moi ?
Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter cela ? Si j'ai offensé une quelconque divinité, je m'en excuse... Quoique, je ne vais pas me plaindre, le sort de Valentin me semble bien moins enviable que le mien. Chris est un cancre mais, il est gentil. Je vais me consoler en me disant que cela aurait pu être pire.

Je l'observe s'installer à côté de moi et je... Je pleure intérieurement. Ça aurait pu être pire.

"Je suis étonné que tu ne le saches pas... Parce que c'est exactement la façon dont tu prends la vie : c'est une doctrine..." Je m'arrête, avant de préciser : "Un ensemble de notions philosophiques selon lesquelles l'unique but de l'existence humaine est la recherche de plaisir et l'évitement de la souffrance. Dans le roman, Lord Henry est un philosophe qui croit fermement en l'hédonisme et qui va le faire découvrir à Dorian.... Tu as... Lu le livre, évidemment ?"

Je soupire. Ce travail va être long. Très long. Très très long.

"Je suis vraiment... Ravi à l'idée d'apprendre à te connaître, mais je préfère te le dire tout de suite, il est hors de question que je fasse ce devoir tout seul. Alors si tu n'as pas lu ce livre, tu vas le lire... En plus, je suis certain que tu vas l'adorer." Je réfléchis un instant. "Dorian Gray a peur de vieillir, et de perdre sa beauté. Il est charismatique, et ses amis de la haute société l'entraîne dans un monde décadent et hypocrite..."

Je lui souris...

"Il suffit de comparer cette histoire avec celle que tu vis dans la réalité... Imaginons qu'à l'origine Dorian Gray est un gentil garçon, comme pouvait l'être Nath, le frère de John. Il rencontre Lord Henry et Basil, le peintre... Disons, Damon et moi. Basil demande à Lord Henry de ne pas corrompre Dorian, mais Lord Henry se fiche complètement de l'avis de Basil, parce que les hommes tels que Lord Henry font ce qu'ils veulent... Et avec le temps, Dorian finit par ressembler à Lord Henry, voire à devenir pire que lui..."

Sévère, mais intéressant. Je savais de source sûre qu'il n'était pas seulement ici pour donner des cours d'anglais et mettre de mauvaises notes à des élèves brillants. Je regardai Désiré. Je le connaissais suffisamment pour savoir cette ce B allait tourner dans sa tête le restant de l'année scolaire, lui qui n'avait presque que des A et un dossier scolaire impeccable. Avec la ruine de sa famille, il se faisait du souci pour son avenir, n'est-ce pas ? Je ne pouvais que le comprendre. Fort heureusement, il m'avait, moi. Et je ne laissais pas tomber mes amis les plus proches... Je lui fis un petit sourire. Ma propre note m'importait peu, quoiqu'un C ne soit jamais très bienvenue, mais je ne me faisais pas de souci. Il ne s'agissait là que d'une lettre, et une lettre ne changeait pas un avenir. En revanche, être mis sur le même piédestal qu'Isidore... Je souris à nouveau, cela allait peut-être le déranger, lui.

La suite du cours ne fut guère intéressant, jusqu'à ce qu'il évoque le prochain devoir en binôme sur le Portrait de Dorian Gray. Une oeuvre toute aussi intéressante que son auteur ; c'était toujours un plaisir d'étudier cette littérature, d'en trouver les double sens. En revanche... Avec Icare ? Je doutais fortement de la réussite de notre duo. Mais qu'allions-nous pouvoir en tirer, hum ? Il en ressortirait peut-être du positif. Je ne m'étais guère intéressé à lui jusqu'à présent. Un jeune homme au passé mystérieux, et violent. Allait-il me frapper si je le provoquais suffisamment ? Ah ! Je laissai ce genre de méthode à Isidore, il adorait jouer avec les nerfs des gens, provocateur et insatiable. Je trouvais presque fascinant qu'il accepte la présence de Valentin à plus d'un mètre de distance. Si précieux Isidore... Qui n'avait pas eu que de mauvaises idées, à en juger par le franc succès du Fight Club.

J'attendis qu'Icare s'installe à côté de moi et l'accueillis d'un sourire chaleureux, presque paternaliste.

« Nous n'avions encore jamais eu l'occasion de travailler ensemble toi et moi ; je suis ravi que cela arrive enfin. Tu as lu le livre ? » question légitime, tout le monde ici ne l'avait pas fait. « La beauté est une question esthétique très importante, surtout de nos jours avec les réseaux sociaux, les filtres, cette recherche constante de l'approbation et du regard. Tu ne crois pas ? Si la jeunesse éternelle était découverte, tu aimerais en profiter, toi ? Tu n'as pas l'air comme ça, je me trompe ? »

Je ne me trompais pas. Je lui fis un sourire tranquille.

Quand je vivais avec mes parents, ça me rendait malade rien que l'idée de ramener une note en-dessous de la moyenne. Aujourd'hui, je n'ai plus envie de me prendre la tête avec ça. Bien sûr, j'veux avoir ce putain de diplôme pour pouvoir me casser, mais je n'veux pas que ça m'obsède.
Puis, C, ce n'est pas si mal, étant donné la sévérité du prof. En fait, c'est même suffisant. L'avantage d'avoir eu le temps de lire et relire des tas de bouquins comme les hauts de Hurle-vent...

J'me préoccupe pas trop des notes des autres. De toute façon, j'ai pas vraiment d'amis dans ce bahut, et la comparaison, c'est vraiment l'pire truc à faire. Je suis le reste du cours d'un oeil distrait. J'adore Oscar Wilde, surtout parce que j'avais interdiction de le lire à l'époque. Donc l'idée me semble sympa... En revanche, Damon ? C'est sérieux ? C'est forcément une blague.

Sören est un connard. J'l'ai su dès qu'il est passé voir Tonton Tom. Cet Apollon sociopathe obsessionnel compulsif, toujours parfait, toujours gentil avec moi, toujours poli, toujours le plus intelligent... Mais au fond, c'est la pire des crevures. J'suis sûr qu'il s'est bien marré avec d'autres profs à faire les binômes les plus improbables possibles. Juste pour voir ce qui arriverait. J'le déteste. Je ne le laisserai pas me voler tonton Tom. C'est mon tonton casse-couille, pas le sien.

J'hésite à lui demander de changer de groupe, mais ce serait donner satisfaction à Damon sur la crainte qu'il m'inspire. Donc j'me lève et je vais m'asseoir à côté de lui. J'ai envie de mourir, rien que de faire ça.

"Ouais, ben l'plaisir n'est pas partagé. Évidemment que j'ai lu l'bouquin. J'vais faire semblant d'pas être vexé par le fait que tu m'aies posé la question."

J'pense que si j'pouvais, j'étranglerais Sören de mes propres mains là, tout de suite. Damon m'horripile. Et ça ne fait que deux minutes que nous travaillons ensemble.

"Tu fais toujours ça avec les gens que tu n'connais pas ? Tu les analyses ? C'est super bizarre." J'secoue la tête. J'vais essayer de mettre de l'eau dans mon vin. Ce ne serait bon pour personne, et surtout pas pour moi de tabasser un type comme Damon. "Mais je n'crois pas que ce soit difficile à deviner que j'me fiche du regard des autres. Toi, t'es le roi des réseaux sociaux, alors que j'sais à peine utiliser mon portable. La question d'la beauté narcissique te touche sans doute un peu plus que moi."

J'lui souris. Au moins le sujet est intéressant.

"Parce que toi, tu f'ras quoi quand tu n'auras plus ton beau visage ? Quand tu perdras ta vigueur ? Quand tu comprendras que toute cette quête d'approbation hypocrite ne t'a mené nulle part ? Que tu étais, et que tu resteras seul ? Dorian Gray était un trouillard obsédé par le regard des autres, comme la plupart des élèves dans c'lycée, il préférait rester jeune, et vivre dans un monde d'illusions plutôt que d'affronter les âges et la vie réelle."

Cette question pesait de plus en plus à mes épaules. Au fil des jours, je me rendais compte de l'inutilité de la plupart des matières (sinon toutes). Elles n'apportaient pas d'avantage que ce que l'on pouvait apprendre par soi-même avec un peu de bonne volonté. Au lieu d'attiser la curiosité, l'école ne faisait que formater des esprits à penser d'une seule et même façon, nous obligeant à porter des œillères. Par ailleurs, je n'aimais guère devoir supporter la médiocrité de mes camarades. La seule et unique chose qui me motivait : Ben. Cela peut paraître bien étrange et, surtout, inutile - à quoi bon s'encombrer des relations humaines ? Mais il était différent. Il apportait une autre donnée à l'équation et me permettait de voir certaines choses sous un angle différent. Il me complétait, en quelque sorte, et je ne pouvais qu'en apprécier les effets. Il s'imposait beaucoup à moi, mais je ne le repoussai pas et ne faisais aucun commentaire.

Lorsque je m'installai à une table pour le cours d'anglais, il vint se mettre à côté de moi, aussi naturellement que si nous avions toujours été amis. Je lui lançai un petit coup d’œil avant d'ouvrir l'un de mes cahier. Je lui lançai un : "Tu es à l'heure, c'est impressionnant." amusé avant que l'enseignant ne prenne la parole. Je n'appréciais pas beaucoup cet homme qui avait visiblement un besoin de contrôle permanent au regard de ses petites manies et de son ordre irréprochable. Cela le rendait dur et sévère - ce que je respectais. Mais il ne rendait pas sa matière plus intéressante pour autant. Lorsqu'il déposa les copie, je regardai ma note d'un œil las. B. C'était très correct pour le peur d'efforts fournis - mais guère étonnant. L'anglais ne m'avait jamais posé de problème, je m'intéressais volontiers aux ouvrages et n'étais pas mauvais en commentaire ou dissertation - même si je trouvais l'exercice pénible et inutile. Une lettre ne m'avait jamais obnubilé, surtout pas dans une matière comme celle-ci. Je n'y étais pas mauvais mais ne fournissais presque aucun effort. A quoi bon gaspiller de l'énergie ?

Christopher, qui était assis devant nous, se crut obligé de nous faire quelques commentaires salaces. Je levai les yeux au ciel mais, étant donné qu'il était le plus cher ami de Ben, j'eus la délicatesse de retenir ma langue - ce qui me ressemblait peu. Finalement, l'enseignant nous annonça un nouveau travail - en groupe. Le portrait de Dorian Gray était un livre autrement plus intéressant. Je arquai un sourcil avant de tourner ma tête en direction de mon voisin de table.

« Je ne sais pas si c'est le destin ou si tu as dit quelque chose, mais nous allons encore une fois faire équipe. Ca ne peut pas être mauvais, de toute façon. Je ne suis toutefois pas particulièrement inspiré par le sujet. La décadence hypocrite, vraiment ? Ah. J'ignorais qu'une décadence pouvait être hypocrite. Ou qu'elle pouvait être quoique ce soit. Mais je suppose que c'est un livre qui te plaît, n'est-ce pas ? Ce n'est pas une insulte. » précisai-je par automatisme. Ben me faisait un peu penser à Dorian Gray, après tout. « Je suis sûr que tu fais parti de ceux qui ne s'imaginent pas vieillir. »

Je rêve de voyager, de m'amuser, de coucher avec les plus belles créatures de la terre. Je veux vivre... Mais je suis là. Dans les couloirs d'un bahut qui m'exaspère.
L'étrange pari avec Damon, et ma plaisanterie sur Jane n'ont pas plu à mon père. Ce dont je me doutais puisque son sens de l'humour laisse à désirer, en revanche, la punition a été des plus inattendues. Il m'a giflé, me reprochant d'être stupide pour jouer à ce genre de jeux avec Damon Chatterton - puisqu'il faut savoir que je ne cache rien à mon paternel - puis, il s'est contenté de me faire écrire une lettre d'excuse - de cinq putain de pages. Plus étrange encore, il a organisé un rendez-vous avec Jane et sa mère pour que je la lui donne en mains propres. Étonnant qu'une histoire aussi ridicule puisse lui tenir autant à coeur. Mon père n'a jamais été un défenseur des femmes, il a toujours abusé de son charme, et de sa position pour les mettre dans son lit. Sans le savoir, il m'a tout appris à ce sujet... Mais ce n'était peut-être pas Jane qui l'inquiétait...
A-t-il peur que je m'amuse avec la mauvaise personne ? A-t-il peur que je parvienne à énerver le plus gros lion de la savane ? L'idée me parait si tentante. Jouer avec ma vie pour contrer l'ennui, n'est-ce pas ce que je fais de mieux ?

J'entre dans la salle, et je m'installe à côté de John. Comme si c'était une évidence. C'en est une. J'aurais simplement dû le remarquer plus tôt. J'hausse un sourcil perplexe à sa remarque, avant de lui tirer la langue. Bien sûr que je suis à l'heure... Arriver en retard, c'est mon petit côté diva, mais je sais avec qui je peux, et avec qui je ne peux pas l'être. Ce prof d'anglais m'emmerderait trop pour que cela vaille le coup. Il a un petit côté flippant, même si Chris le trouve séduisant...
En parlant de ça... Je secoue la tête en souriant. Chris ne peut pas s'en empêcher. Il les lui faut tous, d'abord le prof de littérature, maintenant celui d'anglais... Sa soif d'hommes est-elle si insatiable ? Mais bizarrement, je préférerais qu'il reste loin de Monsieur Osbern... Il ne m'inspire pas confiance. Je ne saurais dire pourquoi.

Je le regarde se rendre auprès de Désiré qui a l'air dépité de ce choix de binôme. Il ne devrait pas, Chris est adorable, et c'est le meilleur orateur de la classe... Avec Damon.
Je me tourne vers John. Je suis ravi d'être avec lui. Peu importe le sujet. Peu importe la raison. Je me sens bien quand nous sommes ensemble.

"Je te remercie de ne pas avoir répondu à Chris. Je sais l'effort que ça te coûte, et je suis content que tu le fasses pour moi... Même si, il ne se vexerait pas. Chris est inébranlable." Je soupire. "Je vais t'avouer que... Je crois que le Directeur pense que tu as une bonne influence sur moi, parce que je lui aurais dit, par hasard... Que tu compensais l'effet néfaste de Damon. Donc, c'est sûrement de ma faute si nous nous retrouvons si souvent l'un avec l'autre... Le bon côté, c'est que nous nous amusons bien, non ?"

Je lui souris. Le sujet est amusant, et le livre me plaît, en effet. Je pose mes mains sur mon coeur, dans un geste théâtral.

"Je suis si vexé, John... Tu me compares à Dorian Gray, c'est cela ? C'est terriblement, atrocement, réellement, indélicat de ta part." Si je pouvais trouver un portrait qui accepterait de vieillir à ma place, je saisirais l'occasion sans hésiter... "Sincèrement, qui aimerait cela ? Devenir ridé, tremblotant, sourd, impuissant... Vieillir est une perspective qui m'horrifie bien plus que tu ne peux l'imaginer. Fort heureusement, je mène un train de vie qui me tuera avant mes trente ans. Vivre vite, mourir jeune."

Je me cale au fond de mon siège.

"Je suppose que ce n'est pas ton cas... Tu n'as peur de rien, et surtout pas de l'âge. C'est facile, quand on sait que l'on va se bonifier avec les années. Tu ne fais pas d'excès, tu es sportif, tu es brillant, ton seul défaut, c'est ton cynisme, et en vieillissant, les gens finiront par trouver cela attachant !"

Un C, ce n'était pas la mer à boire. Et pourtant j'étais déçu. J'aimais bien l'anglais et la littérature, je lisais beaucoup (je n'avais longtemps eu que ça), alors un C me décevait un peu. Je regardai les corrections pertinentes quoiqu'un peu dures avant de ranger ma copie dans ma pochette. Tant pis, une prochaine fois... Je m'adossai contre ma chaise et regardai par la fenêtre, rêveur, déconcentré. Il faisait beau, dehors ; l'automne approchait mais le soleil brillait encore et me donnait envie de sortir me promener. Rester assis et enfermé ne me dérangeait pas mais j'avais eu l'impression de le faire plus de la moitié de mon existence. J'attrapai un stylo, prêt à prendre des notes, lorsque l'enseignant annonça les groupes. Je souris et tournai la tête vers mon frère et Alice. Un petit trio gagnant ! Angel serait obligé de faire un effort pour les yeux de sa belle. Sa belle qui était plutôt douée en anglais.

J'attrapai mes affaires et nous nous installâmes tous les trois à l'une des tables du fond pour pouvoir papoter de notre nouveau sujet. Le portrait de Dorian Gray, j'aimais beaucoup cette oeuvre. J'étais fasciné par ce genre d'histoire qui mêlait le fantastique face à la réalité de l'âme humaine. Une oeuvre peut-être un peu pessimiste mais pourtant très vraie. Je fis un grand sourire à mon frère et Alice.

« C'est la première fois qu'on se retrouve ensemble pour un sujet de groupe ! Tu ne pourras pas te défiler avec nous, Angel ! » je lui fis un petit sourire fanfaron. « En plus c'est pile le sujet que je voulais : le fantastique. Vous en pensez quoi vous ? » demandai-je avec un enthousiasme un peu feinte, je n'avais pas l'habitude de prendre des initiatives au sein d'un groupe, même si je connaissais bien Angel et Alice. J'étais donc un peu maladroit.

Je ne me souviens même pas avoir rédigé cette dissertation. J'ai dû manquer un cours sur deux avec ce prof... Pas de bol d'avoir été là pour le test. Je souris à Chris de loin. Si nous avions été dans une barque, nous aurions pris plaisir à ramer dans le sens inverse de tous les autres. Ça ne sert à rien, mais pourquoi faire comme tous les autres quand aller à contre-courant est plus amusant ?
Je ne parviens même pas à ressentir de la frustration, ou de la colère. Je n'en ai rien à faire. De toute façon, je n'ai personne pour me rappeler à quel point le lycée est capital pour mon avenir, personne pour me forcer à faire des études que je n'ai pas envie de faire. Personne pour m'emmerder. Si j'peux, je prendrais des cours de photo, sinon tant pis... J'suis loin d'être à la rue sans ressource.

Par contre, la suite me semble bien plus intéressante. Travailler avec Alice et Morgan... J'vais être obligé de faire un effort, mais le jeu en vaut la chandelle. Je me lève pour les rejoindre à la table du fond. Alice est toujours aussi belle, j'aimerais sortir mon appareil et immortaliser chacun de ses sourires. Mais l'prof a l'air trop taré pour que je me permette un truc comme ça. En plus, j'le vois bien qui observe Alice du coin de l'oeil...

"Ouais, on dirait bien que c'est le destin qui veut que j'fasse un devoir correctement."

Je n'avais jamais vu Morgan comme ça. C'est sûrement plus facile d'être avec des gens qu'il connait. J'suis content de pouvoir l'aider, au moins sur ce point-là...

"J'vais t'avouer tout de suite que j'ai pas lu le bouquin... Et que j'suis désolé... ?"

J'lui fais un grand sourire pour me faire pardonner. C'est pas que je n'aime pas la lecture, c'est juste que... Je n'ai pas eu l'temps. Ou c'est peut-être le temps qui ne m'a pas eu. Les heures défilent trop vite, et j'travaille l'air de rien.

"Mais Alice l'a sûrement lu, on a la chance d'être trois, donc vous n'avez qu'à diriger les opérations tous les deux et me dire ce que je dois faire... Ce sera l'plus simple."

Il s'agissait d'un nouveau professeur dont toutes les filles - et tous les gays - étaient tombées raide dingue amoureuses. Je devais admettre qu'il y avait de quoi le regarder ; il était grand, bien bâti, attirant. Par ailleurs, il ne m'était pas inconnu. Et ce métier de prof n'était qu'une couverture. Je regardai ma copie. Un B m'allait très bien étant donné la sévérité de sa note. Je jetai un rapide coup d'oeil à Désiré - lui qui n'avait que des A, cela devait lui paraître étrange. J'eus un petit sourire presque compatissant ; dans le fond, j'aimais bien Désiré. Il traînait seulement avec les mauvaises personnes - mais on ne choisit pas vraiment son destin. Je regardai les quelques corrections et eu un léger sourire. Même son écriture était parfaite, maîtrisée, contrôlée. Si je n'avais pas su ce que cela cachait, je ne m'en serais pourtant jamais douté. Je me demandais furtivement si, moi aussi, un jour, je serai amenée à jouer le rôle d'un professeur dans un lycée. Sur une couverture parmi tant d'autres. Je refusai cependant d'y penser pour l'instant. Pas ici. Pas au lycée. Au lycée, j'avais mon rôle de lycéenne. Les meurtres et les pistolets, je laissai ça pour la maison. Là-bas j'étais une autre moi-même.

L'annonce du travail en binôme (en trio dans notre cas), me fit sourire. Au moins, la nouvelle était bonne à entendre. Morgan et Angel étaient authentiques. Ils me permettaient de croire que la vie n'était pas toujours aseptisée. J'attrapai mes cahiers et mon livre de Dorian Gray avant de m'installer avec eux. Je sentais que Morgan faisait des efforts pour parler d'avantage, ce qui ne lui ressemblait pas au sein du lycée. Je lui fis un sourire encourageant. Le thème du fantastique n'était pas inintéressant et nous allions avoir beaucoup de choses à dire. Il y avait des pistes à explorer. Un léger soupir franchit mes lèvres lorsqu'Angel nous avoua ne pas avoir lu le livre. Cela ne m'étonnait pas, il déconnectait souvent des cours.

« Oh vraiment, tu es irrécupérable. » le grondai-je faussement en fronçant les sourcils. « Je t'en ferai la lecture quand nous aurons l'occasion de passer une ou deux soirées ensemble. En attendant... Basil Hallward, un peintre, a fait le portrait d'un jeune homme, Dorian Gray. Lord Henry Wotton, un ami du peintre, rencontre Dorian et est fasciné par sa jeunesse et sa beauté. Quant à Dorian, il est fasciné par les propos de Lord Henry. En voyant son portrait, Dorian est... Plutôt triste, car il constate que son portrait ne vieillira pas mais que lui, si. Il tombe amoureux d'une jeune actrice et se fiancent mais, suite à une mauvaise prestation de sa part au théâtre et au jugement hâtif de Basil et Lord Henry, Dorian la quitte. Le lendemain, il découvre que son portrait a légèrement changé des suites de cette rupture, et il apprend que sa promise s'est suicidée. Le peintre souhaite exposer le tableau, mais Dorian s'y oppose et enferme la toile changée dans son grenier. Au fil des années, Dorian expérimente beaucoup de plaisirs et s'attire une mauvaise réputation de libertin. Finalement, Dorian montre le tableau à Basil qui reconnaît à peine son oeuvre tant la toile est différente ; Dorian tue Basil qui lui demande de se repentir pour ses crimes. Un de ses contact l'aide à se débarrasser du corps.... Angel tu m'écoutes toujours ? »

Je lui claquai des doigts devant ses yeux. Il faisait souvent ça : il partait dans les méandres de ses pensées et semblait déconnecter de la réalité.

« En gros, à la fin Dorian poignarde son portrait complètement défiguré et l'un de ses domestique le retrouve mort, et vieux, tandis que le portrait a retrouvé sa jeunesse. Je suis sûre que ce livre te plairait si tu avais envie de le lire ! Il y a plusieurs réflexions très intéressantes sur les plaisirs, la jeunesse, le narcissisme... Ca se retrouve toujours dans notre société, à différentes échelles. Pour peu qu'on ait de l'influence, les cadavres disparaissent et notre portrait resplendit. Mais notre âme, elle, devient terriblement noire. »

Sa manière sévère de s'adresser à nous m'excite un peu. Une combinaison en cuir et un fouet lui iraient bien... L'entendre dire mon nom me fait perdre le fil de mes pensées. C. Je range nonchalamment la copie dans mon sac. En vérité, je n'en ai rien à faire. Étudier ne m'intéresse pas, mais je ne peux pas me permettre d'être un cancre, contrairement à certains élèves... L'anglais a l'avantage d'être l'une des rares matières pour lesquelles je ne suis pas obligé de tricher pour avoir la moyenne. Je suppose que cela fait déjà de moi un excellent futur avocat. Menteur. Tricheur. Et prétentieux. Le combo gagnant.

Un travail en binôme... Quelle excellente idée. Jusqu'à ce qu'il annonce les noms des groupes... Je me demande ce que Dieu essaie de me faire passer comme message. D'abord je dois partager ma chambre avec lui, puis le fight club, et maintenant ça ? Valentin est morpion dont il serait impossible de me débarrasser, et pourtant... Je suis à la fois agacé et satisfait. Il est rustre, stupide, brutal et trop gentil, tout le contraire de moi, mais je ne sais pas, j'aime bien sa compagnie. Un peu comme ces filles magnifiques qui se disent meilleures amies avec une fille laide, juste pour se sentir plus jolies. Valentin est un peu la copine laide dont j'adore me moquer, et qui, avec le temps, me devient indispensable.

Je prends mes affaires, et je vais m'installer à côté de lui. Je lui offre un sourire en coin, volontairement hypocrite.

"Quel heureux hasard, moi qui me disais justement que nous ne passions pas assez de temps ensemble, voilà une jolie façon d'y remédier !"

Ce qui est amusant, c'est que si Valentin n'était pas pauvre, il ne serait pas si différent des joueurs de l'équipe de foot que je côtoie. Tout dans les muscles, rien dans le cerveau, mais lui, il possède encore sa fierté. C'est fascinant. J'adorerais réussir à le briser, le voir s'agenouiller devant moi. Ce serait une expérience exquise. Dommage que pour l'instant, ce soit plutôt le contraire qui se produise... Cela dit, j'aime aussi lorsqu'il s'énerve.

"L'idée de t'insulter d'une façon polie en te demandant si tu as lu le livre m'a traversé l'esprit, mais comme tu peux le voir, je fais d'énormes efforts pour retenir mes pulsions désagréables. Je suppose qu'un érudit tel que toi connaît forcément Oscar Wilde et que tu vas m'être d'une grande aide pour ce devoir, n'est-ce pas ?"

Je ne peux pas réellement m'empêcher d'être désagréable. Pas avec lui. C'est trop drôle pour que je me retienne.

"Notre sujet n'est pas le plus facile, mais la vie d'Oscar Wilde était intéressante... C'était un beau-parleur qui ne craignait pas de provoquer la haute-société avec des scandales et des oeuvres dérangeantes. Il se rapproche un peu de Dorian, mais aussi de Basil, je suppose... Quelle chance il avait d'être aussi libre et confiant, non ?"

Pas pur ma note (enfin, un peu quand même, j'suis pas brillant mais j'essaye d'avoir un dossier potable pour faire c'que je veux après le lycée). Non. Fait chier parce que ce prof a rien trouvé de mieux que de me coller en binôme avec Isidore. C'était pas déjà suffisant de me coltiner ce petit merdeux prétentieux à l'internat fallait aussi qu'on nous mette ensemble pour les cours. Puis j'le voyais aussi pour cette connerie de Fight Club, là. M'enfin ça, fallait dire que c'était pas mal pour empocher du blé. Mais bon... Ce genre de types qui se croient tout permis simplement parce qu'ils ont du fric me donnait envie de vomir. Eh ouais, mon gars, y'a des gens qui galèrent dans la vie. Mais pour les mecs narcissiques comme lui, y'avait pas de miracle hein. Ils verraient jamais plus loin que le bout de leur nez. Pire ! Il adooorait me pousser à bout. Et ça me faisait chier parce que j'avais un tempérament de merde et fallait pas trop me chercher. Mais j'allais pas me laisser piétiner comme une petite fourmis. Alors ça, sûrement pas. J'avais connu l'Enfer, il pouvait pas faire pire. A moins qu'il projette de m'attacher à une table et de tester des produits sur mon corps. Là, ok. Mais j'en doutais fortement. Je croisai donc les bras sans lui adresser le moindre regard et attendis qu'il me rejoigne - ce qu'il ne tarda pas à faire.

Il s'assit à côté de moi avec son hypocrisie habituelle. Je levai les yeux au ciel et poussai un soupir. Et allez, ça commençait déjà à me faire chier. Putain d'sa mère.

« Ah tiens c'est drôle, j'trouve qu'on passe beaucoup trop d'temps ensemble moi. Comme quoi tout est subjectif on dirait ! » répliquai-je en le foudroyant du regard. Ca commençait très mal. Et s'il continuait sur cette pente, il allait se retrouver avec la tête écrasée contre la table et quelques dents en moins. Comment il réagirait, hein, sans sa belle petite gueule de demeuré ? « Oui, c'est ça, je suis admiratif. Quel effort de sociabilité. Que tout le monde t'applaudisse pour faire preuve de savoir-vivre. Wow. Tu vas aller loin dans la vie... » grommelai-je avant de plaquer mon livre sur la table, entre nous. Bien sûr que j'l'avais lu, le bouquin. J'étais pas un petit inculte. Pauvre ne voulait pas dire analphabète. Puis j'aimais bien lire de temps en temps. M'enfin bref.

« Ouais une sacrée chance. Surtout qu'à la fin Dorian, il en meurt. » je lâchai un soupir. J'avais franchement pas envie de discuter d'un bouquin avec lui. Sérieux. « Bon par contre j'te préviens j'connais pas la vie d'Oscar Wilde. J'me fout un peu des auteurs. Et j'ai pas d'ordi chez moi, donc t'auras l'honneur de me faire un rapport détaillé sur c'qu'il a foutu. » Allez, bim. Bosse un peu, mon gars, et fait des recherches pour moi, le sale pauvre qui n'a pas d'ordi. Je tournai la tête vers lui et le regardai avec agressivité. « T'as besoin d'une bonne note pour ton dossier ou pas ? Que je sache si tu vas me faire chier ou pas avec ce devoir. Enfin j'sais pas pourquoi j'me casse le cul à te l'demander, tu vas pas me dire la vérité tfaçon. »

Mais parfois, je dois reconnaître que je les trouve drôles. Pas hilarants. D'ailleurs, je ne me souviens pas avoir déjà ri aux éclats... Non, ils sont divertissants. Comme peut l'être un bon film. Ils jouent les rôles qui leur ont été attribués, et ils m'amusent. Je n'ai pas eu l'occasion d'assister à ce spectacle dans mon adolescence, alors c'est une découverte qui change de mon quotidien.

"Tu n'imagines pas à quel point je peux l'être, Christopher. Encore un commentaire déplacé et je t'envoie en retenue."

Je m'assois à mon bureau, et je sors un livre de mon sac, après avoir soigneusement remis un crayon à papier bien perpendiculaire au bord du bureau. Je m'énerve chaque fois que je fais une chose pareille, mais je ne parviens pas à m'en empêcher.

"Si vous avez des questions à poser, n'hésitez pas à le faire." Je fusille Christopher du regard, regrettant un peu que les châtiments corporels ne soient plus acceptés dans les écoles. "Des questions pertinentes." Je souris. "Nous commencerons à étudier l'oeuvre la prochaine fois que nous nous verrons. Dans un premier temps, j'aimerais que vous trouviez des pistes de réflexion sans être orientés par le cours. À la fin de l'heure, je validerai vos plans."

J'ouvre mon livre. Voilà longtemps que je n'avais pas occupé mon temps aussi sainement. Moins de meurtre. Plus de littérature...

Mais il avait pas l'air non plus trop déçu. C'était rassurant, non ? Ou alors il faisait bonne figure ? Mais ça allait bien se passer : aucun risque qu'on échoue. Notre duo était fait pour être parfait. Il faisait tout le travail, et moi je parlerai aux gens. Ça allait être fun ! Et hop, une bonne note dans mon dossier. C'était pas beau, ça ? C'était pas du travail d'équipe ? D'ordinaire je lui causais pas trop ; tous les potes de Damon me sortaient par les trous de nez, mais bon. Il était brillant et il ne pouvait pas être aussi con que ce beau parleur de Damy ; lui c'était Beau cul, belle gueule, mais une âme pourrie. Dési il avait l'air plus sincère... Enfin sans doute. Je lui fis un petit sourire taquin alors qu'il commençait son explication. Il avait pas l'air très habitué à expliquer des choses ou des situations mais ça va, j'arrivais à comprendre ce qu'il voulait dire.

« .... Evidemment. » je toussotai et lui fis un sourire angélique. Non je n'avais pas lu le bouquin. Je savais juste que c'était un mec qui avait un portrait de lui, et que seul le portrait vieillissait et s'enlaidissait. « Ah ! Tu brises tous mes rêves, Dési, chéri. Moi qui pensais que notre duo fonctionnerait parfaitement bien. Toi qui travailles et ne veux pas avoir de mauvaises notes, moi qui blablate le jour de l'exposé en sortant des mots savants comme hédonisme, et tout. » je fis une petite moue avant de lâcher un soupir. « Non, bon, ok. En vrai, ça a l'air marrant. Y'a pas un film ? Je pourrai le regarder, c'est toujours moins chiant qu'un bouquin. »

Il commença à m'expliquer rapidement le scénario. Ouais l'histoire était plutôt chouette, et sa comparaison avec le lycée m'interpella. Je haussai les sourcils.

« Parce qu'on peut devenir pire que Damon ? Eh béh, j'ai pas envie de rencontrer quelqu'un comme ça. Sans vouloir t'offenser t'as pas les meilleures fréquentations du lycée non plus. » Je posai mon coude sur la table et lâchai un soupir. « ... Si tu me files une bonne bouteille d'alcool je veux bien faire l'effort de lire le bouquin. Ou au moins de regarder le film. J'te donnerai mon avis dessus. Mais je dois t'avouer que ta comparaison est marrante. Tu devrais devenir prof, je suis sûr que tu saurais comment intéresser les types comme moi qui s'intéressent pas aux études. C'est drôle quand on voit mon frère intello, hein ? Les profs pensent toujours qu'il sera aussi chiant que moi et en fait bonne surprise ! Vaut mieux que ça soit dans ce sens là tu m'diras. Ah ! Et du coup qu'est-ce qui se passe pour que son portrait à Dorian devienne si laid ? Il tue des gens ? J'me demande si Nath en tuerait des gens. En même temps après avoir trop fréquenté Damon, ça doit donner des envies de meurtre. »