L'année risque d'être difficile... Ft Ian ♥

Plus précisément, le lycée est un environnement qui rend les adolescents stupides. Déjà qu'ils ne sont pas des modèles d'intelligence à la base, on prend la peine de les enfermer toute la journée dans un enclos hermétique en espérant que les forts prendront le dessus sur les faibles et que tout ce beau monde en ressortira grandi. Pourquoi m'en plaindrais-je ? Après tout, ne suis-je pas du côté des gagnants ? Ceux dont l'avenir est tout tracé juste parce qu'ils tapent dans un ballon et qu'ils donnent une image positive de leur école ? C'est vrai, je devrais me réjouir. Si seulement je pouvais être aussi stupide qu'eux. Me complaire dans cette insouciance vaine et éphémère. Mais je ne peux pas. Je suis prisonnier d'un monde rempli d'idiots. D'un monde qui ne me comprendra jamais. Je suis condamné à les regarder se déchirer pour quelques minutes de gloire dans un univers qui les oubliera et qu'ils oublieront. Je ne les juge pas. Dire qu'ils sont idiots est une vérité, pas une critique. Ils sont jeunes. Ils cherchent leur place. Et le lycée ne sert qu'à les positionner. Ceux qui savent s'imposer deviendront les juges. Ceux qui se laissent faire deviendront les agents. Et ceux qui s'affranchissent deviendront les condamnés. C'est ici qu'ils déterminent leur avenir.
Du moins, c'est ce dont ils sont persuadés. Pourtant, je sais déjà que Lawrence, qui traîne avec nous, ne sera jamais cadre dans une entreprise. Il fait partie des loups parmi les adolescents mais le monde des adultes va le dévorer tout cru. D'ailleurs, la plupart des types que nous côtoyons ne feront pas de belles carrières. Peut-être Isidore, parce que c'est un bon menteur et qu'il doit hériter d'un grand cabinet. Mais les autres sont des moutons déguisés en prédateurs. Seuls Damon et moi sortiront du lot. Pas parce que nous sommes populaires, mais parce que nous sortons déjà du lot. Nous sommes faits pour régner. C'est une évidence.

Ian Anderson. Je ne le connais pas très bien. Je n'aime pas la bande d'Isidore. Ils affichent ostensiblement leur mépris pour ceux qui ne rentrent pas dans les cases : Riche et Séduisant. D'après les rumeurs, ils n'hésitent jamais à malmener leurs camarades moins influents, mais leur rang et leur position au sein du lycée font qu'ils s'en sortent toujours. Damon s'arrangent pour s'acoquiner avec eux lorsque c'est intéressant. Comportement qui m'horripile étrangement. Je ne lui reproche rien. Damon a toujours été opportuniste. Il a l'intelligence de ne pas me mêler à ces petites affaires, c'est tout ce que je lui demande. Mais, dans ce cas, que penser d'une chambre avec l'un d'eux ?

Je monte au troisième étage, mon sac sur l'épaule. Je ne suis pas du genre à me soucier de mon colocataire. Pas à l'internat. Nous ne passons que nos nuits ensemble. Rien de très intéressant. J'espère simplement qu'il ne me racontera pas en détails la façon dont il s'amuse à humilier les jeunes lycéens. Et qu'il ne ramènera pas une fille différente tous les soirs. Pour avoir partagé la chambre d'un joueur de foot plus âgé l'année dernière, c'est assez dérangeant. Je suis le premier arrivé. Je range mes affaires rapidement. De toute façon, depuis que mon père n'a plus d'argent, je me contente du stricte minimum. Je compense par des dizaines de livres d'occasions sur tous les sujets imaginables. Puisque je suis là avant Ian, je m'installe sur le lit près de la fenêtre que j'ouvre sans attendre. Une sécurité devait la bloquer à l'époque mais elle ne fonctionne plus. Si je faisais le mur, cette information serait sans doute intéressante. J'attrape une cigarette dans mon sac, l'allume et je prends un livre de biologie cellulaire. Je commence à lire.

Il n'y a aucune raison que cela se passe mal.

Être obligé de partager ma chambre avec un autre individu m'insupporte et me met mal à l'aise. Comment dormir sur ses deux oreilles en compagnie d'une personne en laquelle je n'aurais jamais confiance ? Comme lors de mes deux premières années de lycée, me voilà munis de cadenas et autres protections pour mes affaires. A part mon idiot de frère qui s'amuse à crocheter des serrures pour s'amuser et provoquer inutilement les autres, personne ne touchera à mes biens. Pas même Désiré Lecomte. Par principe, je ne l'aime pas. En fait, non. Ce n'est même pas ça. Il ne m'inspire que mépris. Comment peut-il encore  marcher la tête haute après la déchéance sociale qu'il a subi ? A sa place, je ferai mine basse. Mais je ne peux lui en vouloir d'essayer de faire bonne figure, j'imagine. Quand on est à terre, il ne reste que la fierté pour tenir le choc.
Mais tout de même... Devoir partager ma chambre avec un tel cas social... Cela ne va pas être agréable du tout. Bon. Peut-être vaut-il mieux partager sa chambre avec un ancien riche, au fond. Je pense que je n'aurais pas supporté de devoir cohabiter avec un élève pauvre, sans manière ni éducation. Quelle idée notre Père a-t-il eu de nous envoyer ici. Il veut que nous nous élevions, mais nous sommes réduits à partager un institut avec d'affreux moutons galeux et stupides.


Je pousse la porte de la chambre. L'individu est déjà là. Installé comme un parasite. Le coin de mes lèvres se retroussent en une moue empreinte de mépris. Je dépose ma valise sur le bureau qui fait l'angle du mur. Il a pris soin de s'installer près de la fenêtre, en plus.
J'aime la lumière... Il y en avait peu à l'hôpital. J'aurais bien aimé être près de la fenêtre.
Mais ne t'en fais pas, Ian. Nous aurons notre place. Ce n'est pas quelqu'un dans son genre qui va s'installer et prendre ses aises comme le roi du monde.

« ... Bonsoir. » dis-je d'un ton se voulant plus ou moins cordial. Mais froid. Je jette un coup d'oeil à ses livres. « Inutile que nous perdions notre temps à nous présenter, je te connais, comme tu me connais. J'aurais simplement une remarque, en espérant que tu ne le prennes pas mal bien entendu (faux, je m'en fiche) ... Il se trouve que je trouve peu courtois de ta part de t'être installé sans me demander mon avis. »

C'est un principe que je m'impose. Le physique ne donne aucune information réelle sur la personne. Elle n'a pas choisi d'être grassouillette, ou filiforme. C'est donc un fait dont je me désintéresse, mais, je dois reconnaître que Ian est plutôt beau garçon. Même si, de mon point de vue, rien ne surpasse la puissance intellectuelle, il est agréable à regarder. Plus que ses amis.
Je trouve dommage que l'entendre parler gâche ce joli portrait. Son air méprisant pouvait laisser planer le doute, parfois, des gens très agréables se protègent en ayant l'air hautain. Mais non, Ian est aussi désagréable qu'il en a l'air dès lors qu'il ouvre la bouche. Il n'est pas directement dédaigneux, comme Isidore, non, lui, c'est plus insidieux. Il fait semblant d'être gentil. Il se complet dans la courtoisie condescendante. J'ai, malheureusement, trop côtoyé son monde pour ne pas le sentir. Ce n'est pas grave.

Je me suis habitué au mépris. Parce que je ne l'ai pas connu qu'au lycée, mais aussi en dehors. De la part d'anciens amis de mon père, d'anciens employés, d'anciens coups d'un soir... Ian a le droit de me prendre de haut s'il en éprouve l'envie. S'il cela le rassure sur sa condition. Ce n'est pas moi qui devrais me sentir mal parce que les autres ont un complexe d'infériorité. Je me lève et, pour ma part, je lui souris sincèrement.

"Tu as raison. Je suis désolé. Je suppose que tu préfères le lit près de la fenêtre, alors je te le laisse."

Je prends mes livres et les pose sur la table de nuit près du second lit. Je n'ai aucune préférence matérielle. Je ne me soucie plus de cela. Surtout pas à l'internat, où le confort a toujours été rudimentaire. J'aime le luxe de la maison de Damon, mais, je pense que c'est en grande partie due à la présence de Damon. C'est lui qui fait tout le charme de son manoir d'architecte. Je m'assois sur mon nouveau lit.

"Permets-moi d'être sincère, puisque tu l'as été. Tu n'es pas obligé de cacher ton mépris à mon égard derrière des formules de politesse. Je ne suis pas idiot au point de ne pas remarquer que toi et ta bande de petits copains ne m'appréciez pas."

Je reprends mon livre et m'allonge.

"Venant d'Isidore, je comprends très bien. Il a toujours été jaloux de la relation que j'entretiens avec Damon, il devait penser que notre amitié reposait essentiellement sur la fortune de nos parents. Il a écrit dans son journal que mon père avait fait faillite et il n'a plus caché sa haine à mon encontre. Mais toi, pourquoi me détestes-tu ? Regardes-tu tout le monde de la même façon ou ai-je fait quelque chose qui t'a déplu ?"

Je m'attendais à batailler d'avantage pour avoir se lit. Je m'attendais aux insultes, peut-être même à devoir me battre si c'était nécessaire. Mais non. Voilà qu'il me laisse le lit comme ça, comme si de rien n'était. Que cherche-t-il, au juste ? Suspicieux, je lui jette un coup d’œil avant de poser mon deuxième sac sur mon nouveau lit. Je redresse la tête. La fenêtre est ouverte, apparemment le mécanisme qui la bloque est cassé. Parfait, un peu d'air ne fait pas de mal non plus, surtout en fin d'été. Il fait toujours un peu chaud. Je m'assois sur le rebord du lit au moment où Désiré reprend la parole. Je pensais qu'il n'aurait rien à dire. Je lui lance un regard ennuyé. Je n'ai pas pour but de devenir ami avec quelqu'un comme lui, qui a subi une lourde déchéance sociale. A quoi bon s'acoquiner d'un tel individu ? Il ne représente aucun intérêt. Et je préfère me méfier de l'eau qui dort, on ne sait jamais... Souvent les figures avenantes sont les plus fourbes. Il ne faut faire confiance à personne, ici bas. A sa remarque, je me contente de hausser les épaules. A quoi bon faire semblant, en effet... S'il ne le souhaite pas, cela m'arrange. Je n'aurais pas besoin de m'orner d'une fausse politesse. En revanche, sa seconde question m'étonne. Pourquoi s'en soucie-t-il ? Il pose des questions étranges. Il cherche sûrement mes faiblesses.

« Pourquoi demandes-tu sachant que la réponse ne te sera pas agréable ? » voilà un drôle d'oiseau. Personne n'aime savoir qu'on ne le tien pas en estime. « Sache que je ne te déteste pas, je méprise tout simplement ta famille et le déshonneur qu'elle a subit. Ce n'est pas ta faute, mais malheureusement nous n'avons pas les mêmes valeurs, ni le même range social. Les serviettes ne se mélangent pas aux torchons, tu comprends sans doute. Je trouve ça plutôt désolant de me retrouver dans la même chambre que toi, mais nous allons bien devoir faire avec. »

Or de question, en tout cas, de laisser Ian faire de conneries. Il est trop naïf, il se ferait embobiner par les paroles de cet énergumène. Qui sait quelles idées il pourrait lui mettre dans la tête. C'est moi qui garderait donc les commandes jusqu'à nouvel ordre. Je garde fière figure et commence à défaire mon sac afin d'aller ranger mes affaires dans le placard. Je jette à peine un regard aux siennes, il en a peu.
Je pose ensuite mes livres et cahiers de cours sur mon bureau et dissimule les choses plus importantes dont quelques bagues, une montre, ainsi que le journal intime de Ian. Il suit à la lettre ce qu'on lui a conseillé de faire à l'hôpital. Je n'étais pas là pendant certaines séances, mais il m'a raconté qu'il devait tenir un cahier pour extérioriser des choses. Dont m’extérioriser, moi. Au début, ça m'a énervé, et puis je l'ai laissé faire. Cela me permet de savoir ce qu'il se passe quand moi je ne suis pas là. Je me suis même prêté au jeu, parfois. Mais si quelqu'un l'apprend, c'est l'humiliation assurée. Pour nous. Pour notre famille. Si Isidore en entend parler, je sais qu'il se fera un malin plaisir de tout mettre dans le journal du lycée. Ce n'est pas mon ami, c'est juste le seul avec qui je forme une petite bande et qui partage certaines de mes valeurs. Il n'a pas de scrupules.

J'installe un cadenas autour de la petite porte de la table de nuit où j'ai rangé le journal et garde la clé sur moi. Désiré n'a pas intérêt à tenter quoique se soit, lui non plus.
Je m'assois ensuite sur mon lit et regarde pas la fenêtre. Au moins Ian est content, il peut voir le paysage même s'il n'est pas grandiose.

Certes. Pourquoi dois-je poser la question, alors que je connais la réponse ? Bêtement, je pensais qu'il pouvait exister une raison plus profonde qu'un simple mépris de classe. Peut-être aurais-je préféré que ce soit le cas. J'aurais pu réparer mon erreur. Alors que la déchéance de mon géniteur, je ne peux rien y changer. Il ne sait pas que mon père n'a jamais fait partie de cette élite qu'il idéalise. Il se contentait de jouer avec l'argent de mon grand-père. Je maintenais les choses à flot, au début, mais il était trop gourmand, trop stupide. Il a détruit en quelques secondes le peu de stabilité que nous possédions.
Mais je l'en remercie. Sans lui, je n'aurais jamais découvert l'envers du décors. Je n'aurais jamais pu voir cet air condescendant que l'on réserve aux anciens riches. Ceux pour qui on éprouve une fausse compassion. Ceux qui nous inspirent du dédain, mais aussi de la fierté de ne pas être soi-même tombé aussi bas. Quelle est la différence entre Ian et moi ? Nos places auraient pu être inversées. Son père aurait pu être plus stupide, et le mien plus brillant. On ne choisit pas sa famille. C'est une question de chance.

"Sincèrement, je ne suis pas certain de comprendre pourquoi tu accordes autant d'importance à cette information. Je crois que la seule chose qui a changé depuis cet événement, c'est ma façon de m'habiller, mais à part cela, je suis resté le même. Enfin, je ne vais pas t'empêcher de me mépriser si cela te rassure sur ta propre condition."

Je m'allonge et reprends un livre, le temps qu'il range ses affaires. Je le regarde du coin de l'oeil, même s'il ne me viendrait pas à l'idée de fouiller ses affaires, il préfère s'en assurer en utilisant des cadenas. Traîner avec Isidore doit sans doute le rendre un petit peu paranoïaque. Damon a de nombreux défauts, mais je sais que je peux lui faire confiance... Tant que nous sommes en bons termes. Il suffit simplement de ne pas le contrarier. Chose que je ne vois pas l'intérêt de faire.
Je lis rapidement quelques pages de mon livre. Je me ralentis exprès pour ne pas avoir l'air trop surdoué. Puis je reporte mon attention sur Ian.

"Donc, nous ne pouvons pas devenir des amis, à cause de nos trop grandes différences sociales. C'est tout de même étrange, je pensais que mon amitié avec Damon permettrait de surpasser ce dégoût pour la pauvreté. Jusqu'à nouvel ordre, je suis toujours populaire, cela ne compte pas du tout ? Tu préfères t'intéresser à la faillite d'un homme que tu ne connais pas et qui, entre nous, est un enfoiré sans talent, plutôt qu'à ma notoriété scolaire ?"

Je lui souris.

"Permets-moi tout de même de te dire que je donne des cours à certains élèves. Si jamais tu as besoin d'un coup de main, je serais ravi de te venir en aide. Je ne dis pas que tu en as besoin, mais c'est ma façon de me rendre utile, puisque je ne possède plus rien d'autre à partager avec mes camarades."