Je t'avais mal jugé, en fait, tu es bien plus intéressant que je ne l'imaginais. Ft Valentin

Un flot de questions gênantes s'échappent de ses lèvres. Tu as rencontré quelqu'un ? Elle est comment ? Tu m'as trompé ? Tu ne m'as jamais aimé, n'est-ce pas ? Pourquoi tu n'es qu'un connard égocentrique ? Nous n'avions pas des projets ensemble ? Tu m'as menti pendant combien de temps ?
Comment lui avouer la vérité ? Comment lui dire que les seuls désirs qu'elle m'inspire désormais sont le dégoût, et le mépris. Je songe à l'insulter chaque fois qu'elle ne s'habille pas convenablement. Je rêve de la frapper et de la voir pleurer chaque fois qu'elle ouvre la bouche. Je m'imagine la violer et la tuer chaque fois que nous faisons l'amour. Si je ne la quitte pas maintenant, je lui ferais du mal. Non pas que cette pensée me dérange, mais je préférerais retenir mes pulsions pour l'instant. J'ouvre la portière de ma voiture, et je sors. Froid. Las.

"Bonne soirée."

Elle réclame des explications. Je n'en ai aucune à lui fournir. Elle abandonne. Je ne crois pas qu'elle ait pu sincèrement m'aimer, mais elle s'était habituée à moi, à l'idée que nous aurions pu avoir une vie luxueuse. La femme que j'épouserai devra être docile, soumise. Nicole n'aurait jamais fait l'affaire. J'attends qu'elle s'éloigne, furieuse. Je m'allume une cigarette et je me dirige vers le dortoir.

Une silhouette sombre se dessine près du lycée. Plus je m'approche et plus je discerne ses formes. Même dans le noir, aucun doute n'est possible. Je reconnais le cul de mon colocataire sans difficulté. La situation est intéressante. Il ne devrait pas se trouver là, et je suis incroyablement curieux. Je suis obligé de le suivre, tous mes sens m'y poussent. La simple idée qu'il puisse faire quelque chose d'illégal m'excite. Va-t-il pimenter une journée aussi morne et terne ?
Il pénètre dans le bâtiment principal, je m'empresse de le suivre. Assez loin pour ne pas me faire repérer, pas trop pour ne pas perdre sa trace. J'ai l'habitude de ce genre de pratiques. Plus j'en sais sur les gens, plus j'ai du pouvoir sur eux. On a tous quelque chose à cacher, et je suis le meilleur pour le découvrir. Il emprunte une porte menant au sous-sol. Je ne crois pas y avoir déjà mis les pieds. Il descend. J'attends un peu et le suis.

Arrivé en bas, il a disparu. Je m'avance, cherchant à retrouver sa piste, lorsqu'il sort de l'angle du couloir et me plaque sur le mur. Sa violence impulsive me rend fou. Résister à ses lèvres devient un supplice. Cela ne me ressemble pas. Je n'éprouve jamais de sentiments à l'égard des autres. Ils m'indiffèrent. Mais lui... Il a un charme d'homme des cavernes qui m'attire, alors qu'il devrait me révulser. Être séduit par un homme qui ne possède rien... Finalement, je ressemble plus à mon père que ce que mon grand-père laisse sous-entendre.

"Je pourrais te dire que ce n'est pas ce que tu crois, mais inventer un mensonge me demanderait trop d'effort d'imagination. Je sais que tu ne m'aimes pas, mais si tu trempes dans des affaires louches, je pourrais t'être utile !"

Je lui souris.

"Montre-moi où tu allais..."

Facile, à cette heure-ci. Il n'y a pas âme qui vive. Tant mieux. Je tire une clé de ma poche (c'est mieux que de devoir péter une vitre à chaque fois) et je pousse l'une des portes principale. Direction le sous-sol. C'est un vieil endroit qui mène jusqu'à une cave condamnée. Là-bas, j'ai instauré un petit rituel pour toutes les personnes du lycée qui aiment la baston. Un genre de fight club. Avec les mêmes règles que dans le film. On n'est pas beaucoup, on n'en parle pas, on n'est même pas amis en dehors. Mais on est là. Et c'est plutôt cool, comme concept. Il faut bien l'admettre, je suis pas peu fier.
Cependant, ce soir, je ne peux pas me diriger jusqu'à la cave pour tout installer. Quelqu'un me suit. J'aurais dû m'en douter. Je disparais à l'angle d'un couloir et attends que les bruits de pas se rapprochent... Puis je plaque ce petit con d'Isidore contre le mur. Il me colle au train, celui-là. Dans ma chambre, aux soirées, et maintenant ici. Il m'empêche de respirer. ESPACE VITALE !

« J'en ai marre de toi. Dès que je tourne la tête, j'vois ta sale gueule. Ca m'fait pas rire. Vaut mieux que tu rentres, les affaires louches, t'en as déjà bien assez sous la main. »

Je pourrais l'assommer et le laisser ici ? L'attacher. Et le détacher en repartant. Il ne saurait pas se que je fais. Ça le rendrait fou, ça ! Avec moi, il n'est pas en position de force. Il n'a que le fric. Du fric à en vomir. Moi j'ai les muscles et je me laisse pas impressionner par son statut et par l'argent, donc niveau position, on est sur un pied d'égalité. S'il croit que ses petits regards hautains et son mépris m'atteignent... Bon, un peu forcément, son attitude globale me répugne. Mais il me fait surtout pitié. Sa vie doit être plus vide qu'une coquille d'oeuf pour qu'il agisse de la sorte. Et j'suis pas là pour la remplir.

« T'as deux options : ou tu retournes te coucher dans notre piaule et je t'entends plus piailler à ce sujet, ou je t'assomme et je te ligote jusqu'au petit matin. Peut-être que la femme de ménage prendra pitié de toi. Choisis. T'as cinq secondes. »

Cela dit, il n'a pas tort, nous nous croisons régulièrement... Mais, contrairement à ce qu'il pense, je ne fais pas exprès. Je le croise, et je me dis que je pourrais le saluer. C'est de la politesse élémentaire. Comme d'habitude, je constate que c'est un rustre mal élevé.
Je lève les mains. Que dois-je comprendre au sujet des affaires louches ? Suis-je si peu fréquentable ? Moi ? Le petit-fils de l'avocat le plus réputé de Londres ? Non, tout le monde adore les types qui savent se salir les mains. Personnellement, je ne me salis pas les mains, mais je peux convaincre d'autres gens de le faire pour moi... C'est un peu comme être le Parrain de la mafia, au lycée.

"Je sais que je te répugne, je suis l'archétype du fils de riche blasé qui cherche à se divertir. Et toi, tu es le pauvre gamin à problèmes des bas quartiers. Nous sommes socialement incompatibles, mais..."

J'essaie de ne pas me montrer trop hautain, même si cette attitude est ancrée en moi depuis trop longtemps pour que je puisse m'en défaire. Il est loin, le temps ou je faisais partie de la classe moyenne.

"Je peux te proposer une troisième solution qui nous satisferait tous les deux. J'ai besoin de m'amuser, et tu as besoin d'argent. Montre-moi ce que tu fais ici et je peux t'assurer que je trouverai un moyen de te faire gagner de quoi te tirer d'ici dès tes dix-huit ans.

Maintenant, il va peser le pour et le contre. Préfère-t-il gagner de la thune ou me tabasser ? Je lui souris.

"Rien ne t'empêche de me montrer et de m'assommer après si ma proposition ne te convient pas."

Il a deviné que ce qui m'intéresse en ce moment, c'est l'argent. Mais est-ce que ce ne sont pas de belles paroles pour me pousser à accéder à sa requête ? Les gens comme lui n'ont que ça : la parole. Ils parlent, ils parlent, mais au fond toutes ces paroles sont vides. Creuses. Sans aucun sens, ni aucune dignité. Je déteste les types de son espèce, tout comme il méprise les types de mon espèce. Deux mondes différents. Deux poids, deux mesures.

« Tu te crois malin, peut-être ? Tu te dis, je vais proposer à cet abruti sans le sous de l'aider à gagner du fric, y'a que ça qui doit l'intéresser. Mais qui me dit que t'es pas en train d'essayer de m'arnaquer ? Que tu vas pas prendre ton petit plaisir à venir m'espionner, et faire ensuite comme si tu ne m'avais absolument rien proposé ? Et d'ailleurs j'ai pas besoin de ton aide pour gérer ma vie. »

Je le plaque un peu plus contre le mur, mon bras sous son cou. Je le regarde, menaçant. Mais la menace physique ne lui fait aucun effet... Ou en tout cas, pas celui désiré. Je crois que j'ai compris. Il est vraiment bizarre. Quelque part, ça me dégoûte un peu et me renvoie à mon propre désintérêt en la matière. J'espère ne pas avoir de déviances bizarres comme lui. Mais je ne pense pas.
Je le relâche. Il n'en vaut pas la peine.

« Allez, dégage, ça vaut mieux pour toi. On sait très bien que tu parles mais que ta parole ne vaut rien, alors pas la peine d'essayer de m'entourlouper. T'as rien qui m'intéresse. A moins que t'ai du cash sur toi direct. Et là encore, j'suis pas sûr d'accepter de prendre ton fric pour la simple et bonne raison qu'il vient de toi. Et que ça t'emmerderait d'être frustré dans ta curiosité déplacée. »

Je suis certainement la pire des enflures, mais je ne suis pas un idiot. Valentin ne se rend pas compte de son potentiel, l'avoir pour allié me serait bien plus utile que l'avoir comme ennemi, et puis... J'ai trop d'argent pour me soucier de ce facteur-là.
Avant que je ne puisse lui répondre, je le sens relâcher son étreinte. Je suppose qu'il aimerait m'effrayer. Mais... ce n'est pas du tout ce qu'il se produit. Ma déviance l'inquiète. Dommage, nous aurions pu nous amuser s'il avait été plus joueur.

"D'une, j'ai de nombreux défauts, dont celui d'être un menteur, mais je ne suis pas stupide et j'ai un flair incroyable dès qu'il s'agit de dénicher une opportunité. De deux, si tu te montres utile, pourquoi aurais-je envie de t'arnaquer ? Contrairement à ce que tu penses, la seule façon de gagner de l'argent sur le long terme, c'est de s'assurer de la loyauté de ses partenaires. T'espionner pour tout raconter dans le journal du lycée ne me servirait à rien, mais t'aider à créer quelque chose qui pourrait aussi me rapporter, ça, ce serait intéressant."

Bien sûr, je ne reconnais pas qu'il a raison sur ma curiosité déplacée. J'ai très envie de savoir s'il vend de la drogue, ou s'il fait des photos coquines des pompon-gilrs. Mais ce n'est pas que ça. Les gros bras de Valentin et mon cerveau, ça ferait un duo d'enfer. Insupportable au quotidien mais d'une efficacité à toutes épreuves. Je suis prêt à supporter son intellect limité et ses crises de colère s'il peut me permettre de gagner assez de thune pour quitter ce pays avant mon mariage.

"Mais, si tu étais un peu plus malin, tu saurais que tu as un avantage non négligeable sur moi, tu es beaucoup plus fort. Donc s'il me prenait l'envie insensée de t'arnaquer, tu pourrais toujours me refaire le portrait, vider mon compte en banque et disparaître à tout jamais."

Je pose une main sur son torse en souriant.

"Je sais que nous sommes incompatibles, mais laisse-moi une chance de te convaincre que nous pourrions nous entre-aider... Et si cela peut aider..."

Puisqu'il ne semble intéressé que par une chose. Je sors mon portefeuille et lui donne l'intégralité de ce qui se trouve à l'intérieur. Soit, pas grand chose pour un gamin de riche. Mais une somme intéressante pour un gamin défavorisé. S'il savait à quel point mon grand-père se montrait radin avec moi, il ne manquerait pas de se moquer de moi...

"Je te promets de faire un effort pour être moins... Con ?"

Enfin un peu de jugeote derrière ses paroles creuses. Trop de blabla, pas assez d'action. Le temps, c'est de l'argent comme disent les personnes de sa classe sociale. C'est pas ça ? Profit, profit avant tout. Je lui prend les billets qu'il me tend des mains et les compte. Pas beaucoup. Il a vraiment pas plus ? A qui il va faire croire ça ? Mais bon, en attendant, je suppose que c'est tout ce qu'il a sur lui. J'empoche la monnaie avec la désagréable impression d'arnaquer quelqu'un. Comme ces enfoirés qui raquette les plus faibles. Sauf que lui, il n'est pas si faible que ça. Et surtout, c'est un bourge. Donc merci de vous barrer, les scrupules.

« Si j'étais con, justement, je te menacerai. Mais t'as l'air d'aimer ça, toi, la violence physique. Alors les menaces, j'ai bien l'impression que t'en as rien à battre. »

Je le toise du regard. Je sens venir l'entourloupe mais il m'a payé et j'aime pas déroger à ma parole. Alors bon, pourquoi pas. Et s'il a la langue trop bien pendue, je pourrai toujours la couper. S'il ne peut plus parler, il peut pas vraiment me dénoncer, hein ? S'il le fait je lui couperai aussi les doigts pour qu'il ne puisse pas écrire mon nom. Ouais, quelque chose dans ce style..... Ouais, ou pas. Je suis pas un gangster de film non plus.

« Ok donc tes promesses, tu te les gardes. T'es con, c'est comme ça, je pense pas que ça se soigne au stade que t'as atteint. Ensuite, tu fermes ta gueule. Là-bas, et après aussi. Tout le temps, en fait. Pas un mot. C'est la règle numéro un de notre petit truc. On sait que ça existe, mais personne n'en parle jamais. Et on se connaît encore moins en dehors. Allez, avance. »

Je le pousse devant moi en lui faisant une clé de bras. On descend dans les sous-sol du lycée et je pousse une porte. Il y a déjà deux trois gars, évidemment, vu le temps que ce con m'a fait perdre. Je le relâche et salut les autres d'un signe de tête. Je pointe Isi d'un mouvement badin.

« Il est avec nous ce soir. »

Je suis sûr que certains membres de notre petit club rêve de lui défoncer la tête, pas vrai ?

« Bienvenue au Fight Club du lycée. Je suis sûr que certains seront ravis de t'avoir ce soir devant eux. »

J'espère donc ne pas investir pour rien. Mon grand-père ne me donnera rien de plus ce mois-ci, sauf en cas de force majeure, et je commence à manquer d'excuses bidons. Je commence à connaître ce vieux radin, et je sais ce qu'il cherche à faire. Moins j'ai d'argent, moins j'aurais la possibilité d'en empocher plus et de quitter le pays avec un saltimbanque. Il ne me fait pas confiance. Et il a bien raison.
Mais ce n'est pas ma fuite qu'il devrait craindre.

Je souris. Étant donné ma tendance à m'attirer des ennuis, il vaut mieux que la violence m'excite plus qu'elle ne m'effraie. Ce qu'il n'a pas compris, c'est que tout dépend de la personne qui me menace. Un cinquantenaire ne me fera aucun effet. Valentin est aussi pauvre que stupide, mais il n'est pas dénué de charme. Ce charme d'homme des cavernes, brutal et macho.

"Je n'ai jamais dit que j'aimais la violence physique..."

Sans qu'il me demande mon avis, et après une insulte bien sentie, il me pousse devant lui. Ne pas parler de cet endroit...
Même avant d'avoir entendu le terme fight club, je me doutais qu'il s'agissait de cela. J'aurais dû réfléchir avant de m'embarquer là-dedans. Comme d'habitude. Bien sûr, l'idée de développer le concept et d'y ajouter une façon de se faire de l'argent me traverse l'esprit. Il suffirait d'aménager un peu l'endroit et d'en parler à certaines personnes. Nous commencerions simplement par organiser des paris...

"Pardon ? Non, je crois que tu m'as mal compris ..."

Je suis presque sûr de reconnaître un abruti de l'équipe de Rugby que j'ai surpris en train de se masturber dans les toilettes, que j'ai filmé, et que j'ai fait chanter pendant six mois avant de balancer la vidéo sur internet. J'ai comme l'impression qu'il m'en veut toujours. Et qu'il fait trois fois mon poids. Information que je n'avais jamais remarquée.

"Attendez... Je ne savais même pas ce que vous faisiez ici, je ne veux pas me battre...
Je lève les mains en l'air, pour apaiser les tensions. En vain.
- J'peux avoir le privilège de lui casser les dents en premier ?
- Pourquoi ce serait toi le premier ?
Je recule de quelques pas. Mal à l'aise.
- Si je peux me permettre, le principe du Fight Club, c'est que les deux combattants sont consentants. Là, si vous me cognez, ce n'est pas un combat, mais une agression et je sais que vous adoreriez sans doute tous me voir pisser le sang mais vous briseriez les règles de votre club."

J'évite de mentionner le fait qu'à l'extérieur, ou en sous-sol, mon grand-père reste avocat et qu'une agression pourrait les envoyer en prison. Je n'ai pas envie de les échauffer plus qu'ils ne le sont déjà.

"Valentin... Je sais que tu ne me portes pas dans ton coeur mais si tu es toujours intéressé par ma proposition de tout à l'heure... J'aurais peut-être une solution rapide et efficace..."

Pour gagner de l'argent. Si je ne suis pas parvenu à convaincre les quelques imbéciles déjà présents de ne pas me toucher, peut-être que lui sera plus sensible. Après tout, il a désespérément besoin d'argent. Et, j'ai désespérément besoin de lui.

Moi le premier. Ce petit con prend tout le monde de haut, insulte, se pavane, et il s'étonne ensuite qu'on lui en tienne rigueur ? Pas étonnant que la moitié de l'école lui voue une rancoeur tenace. J'aurais été absolument ravi de voir sa petite gueule refaire la couleur du carrelage... Malheureusement, il a raison... C'est un genre de fight club, ici, et on ne tabasse pas pour le plaisir. Sinon, ça ne signifie plus rien. Dommage. Il est intelligent, cela est sans doute sa seule qualité mais une qualité qui le sauve de certains mauvais pas. Peut-être est-ce grâce à cette intelligence qu'il a survécu jusque là. Espérons pour lui que cela lui servirai tout au long de sa vie, parce qu'avec une telle attitude.... Enfin bref, on n'est pas là pour en débattre. Sa vie ne me concerne pas, il en fait ce qu'il veut et s'il claque tant pis pour lui. Je me contente de croiser les bras et de lui lancer un sourire moqueur.

« Ah tu ne fanfaronnes plus ? T'as pas envie d'te battre ? T'es une petite fiotte qui se cache derrière de grands mots, hein ? Un lâche et un faible. Mais bon, que j'te le dise ne sert pas à grand chose t'as pas l'air de t'en cacher. T'es le genre de type à envoyer les autre au casse-pipe, tant que toi tu restes en vie tout va bien. Qui voudrait écouter un mec comme toi ? Tu te crois supérieur à la plupart des gens présent dans cette pièce mais t'as pas plus de valeur. »

Il essaye de me soudoyer le con. Je m'en fiche bien de ses magouilles. Bon, ok, gagner du fric ça m'intéresse évidemment. J'ai envie de me tirer. Mais je suis certain qu'il est capable de me faire un sale coup. Je le sens pas. C'est un connard sans scrupules. L'arnaque, je la sens à plein nez. Mais j'ai le choix ? Je me fais pas beaucoup de frics en bossant à mi-temps, c'est pas comme ça que je vais économiser assez pour me tailler en vitesse. La famille d'accueil, ça craint, et j'ai pas envie d'en changer une fois encore même si je n'aime pas particulièrement celle où je me trouve. Elle ne vaut pas mieux qu'une autre.

« Admettons qu'on accepte tes magouilles, qu'est-ce que tu proposes à part des promesses et des mots en l'air ? Hein ? Y'a rien de concret. T'as juste voulu assouvir ta curiosité malsaine. T'as joué, t'as perdu apparemment. On pourrait te traîner hors du sous sol et te passer à tabac. J'en serai ravis, et tout le monde serait ravi, en fait. Donc vas-y, propose. Mais t'as pas beaucoup de temps. »

Il n'est pas si différent de moi. Tout comme ses petits copains. Donnez un peu de pouvoir aux redresseurs de torts et aux bien-pensants de la classe populaire et ils deviendront les pires salopards vindicatifs que la Terre ait portés. Ceux-là même qu'ils se targuent de combattre au quotidien. Quelle ironie. Pauvre, ou riche, nous sommes tous de fieffés salopards qui profitons de la moindre parcelle de domination sur notre prochain.

Je croise les bras sur ma poitrine et je lui souris. Puisque la stratégie de la compassion ne fonctionne pas, autant cesser ce petit jeu.
Manque de chance pour mon nouvel ami, qui ne me connait pas encore assez bien, je ne possède aucun amour-propre, et ses remarques ne me font ni chaud ni froid. Bien sûr, l'idée de me faire tabasser me dérange quelque peu, je porte une chemise blanche à cent livres, et des taches de sang ne partiront jamais, mais je n'ai pas peur des coups, je n'ai pas peur des insultes, je n'ai pas peur des humiliations. C'est cela qui me différencie de tous ces abrutis qui se pissent dessus chaque fois que je découvre l'un de leurs petits secrets. On pourrait afficher des posters géants de moi en train de me branler sur la photographie d'une chèvre morte que je me contenterais de hausser les épaules (même si cela ne m'empêcherait pas de trouver le coupable et de le punir, pour la forme).

Un homme qui n'a pas de fierté, n'a pas de faille.

"Si cela peut te faire plaisir, je reconnais que je suis lâche, et faible. Bien sûr que j'enverrais quelqu'un d'autre se battre à ma place, de la même manière que toi, tu te reposerais sur un coéquipier plus intelligent pour rédiger un exposé. Nous possédons tous nos forces et nos faiblesses, il serait stupide de ne pas s'en rendre compte et de ne pas en profiter."

Je ne précise pas que si je me crois supérieur à tous ces débiles, c'est parce que je le suis. Cela ne ferait qu'attiser les flammes de leur fureur. Déjà que le seul fait de me voir ouvrir la bouche les énerve. Il est plus difficile que je ne l'envisageais de s'allier avec des gens que l'on a malmenés. S'ils étaient moins attachés à ce que les autres pensent d'eux, ils auraient déjà oublié la plupart de mes mauvaises actions.

"Tu vas me rire au nez, mais je suis certain que cet endroit plairait à tous les gamins de riches de ce lycée. Ces petits cons bourrés de frics cherchent constamment des nouvelles façons de combattre l'ennui qui les dévore. Ils seront prêts à payer pour ça... Il suffirait juste de gérer cet endroit comme une boîte de nuit sélective."

Je parle de la jeunesse dorée comme si je ne me comprenais pas dans le lot. Techniquement, je n'en fais pas partie. Je ne suis pas né dans l'opulence, je n'ai pas de père généreux pour me donner mille livres d'argent de poche chaque mois. Je suis ce gosse bâtard qui grandit parmi les riches mais qui restera toujours un pauvre.

"Ce serait facile à mettre en place, il faudrait en parler aux bonnes personnes. Puis mettre en place un système de membre. L'adhésion serait payante, les spectateurs seraient mis au courant des combats à l'avance et pourraient venir y assister."

J'entends un ou deux membres grommeler. L'idée ne leur plait pas. S'ouvrir au public, c'est perdre le côté secret du Fight Club. Mais je me fiche de leur avis, le seul qui compte, c'est celui de Valentin. C'est lui qui a besoin d'argent. C'est son idée. Ceux qui aiment vraiment se battre le suivront.

"Là où ça pourrait devenir intéressant pour tout le monde, ce serait en instaurant des paris. En plus de payer l'adhésion à votre club, je suis sûr que ça pimenterait le spectacle de pouvoir parier sur le vainqueur d'un combat. Nous nous arrangerions en amont, certains matchs seraient truqués, d'autres non. Les deux adversaires seraient rémunérés, ainsi que les bookmakers."

Je sais que ma proposition est alléchante. Certains types ont déjà perdu la lueur meurtrière dans leurs yeux.

"Maintenant que j'ai expliqué mes magouilles devant ta joyeuse bande, tu te doutes bien que je n'ai nullement l'intention de t'arnaquer. Sinon, j'arnaque aussi tes camarades et ce serait, pour eux, une excellente raison de me tabasser, ce que je ne souhaite pas. Si tu acceptes, alors je devrais faire partie du projet, non pas parce que c'est mon idée, mais parce que sans moi, vous ne parviendrez jamais à faire venir le moindre fils de riches ici. Vous avez des muscles, c'est évident, mais vous ne possédez pas ce qui fait tout mon charme : de l'éloquence. Qui plus est, j'ai un talent avec les chiffres et j'ai déjà été bookmaker, ce qui est un avantage indéniable... Alors, qu'en penses-tu ? Tu marches ?"

Il se dénigrait lui-même par lâcheté. Cela me faisait pitié, personne ne pouvait avoir le coeur, ni l'envie, de passer à tabac un type aussi pathétique. Je ne comprenais pas comment on pouvait venir à se rabaisser à ce point-là. Être aussi faible et pourtant si venimeux. Je ne  le comprenais pas. Absolument pas. Mais il m'apparaissait comme dangereux. Un gars à ne pas avoir à ses côtés. Mais j'avais besoin de fric, je ne pouvais pas le nier. Son idée était dangereuse, car notre petit club pouvait être découvert à tout moment, mais pas stupide. Les gosses de riches, un peu comme lui, voulaient se divertir. Ils aimaient la bagarre, le sang, les trucs un peu inédit qui les sortait de leur confort. Et ils avaient le luxe de pouvoir s'offrir ces divertissements. Alors ouais.... Pourquoi pas. J'étais sûrement assez con pour accepter. Mais je pouvais pas le faire sans en parler à Nath. On avait eu l'idée ensemble après tout, et j'étais pas un connard. Au final, j'étais plutôt loyal comme mec. Connerie dans un monde comme le nôtre, mais bon... J'me voyais pas accepter des plans foireux sans que mon acolyte soit au courant des magouilles. Isidore était pas très apprécié, même dans son milieu, alors si ça s'trouve Nath s'opposerait à son idée. Lui il s'en fichait, il venait d'une famille riche aussi. Mais moi, j'en avais besoin, de ce pognon.

Je décroisai les bras et jetai un coup d'oeil aux quelques membres présents. Eux aussi semblaient avoir perdu l'envie de le cogner - momentanément.

"Admettons. Mais comment être sûr que ça ne finisse pas mal ton histoire. Que personne ne va aller ébruiter ça quelque part. Ca risque de tomber dans les mauvaises oreilles et t'as peut-être du fric pour pas te faire expulser, mais moi pas. Donc même si je suis pas fana des études, y'aura des conséquences derrières. Je peux toujours menacer pour que personne ouvre sa gueule, mais le risque 0 existe pas. Puis tfaçon faut que j'en cause à ... Mon acolyte." j'allais pas citer son nome, on savait jamais avec Isidore. Je tenais pas à attirer des problèmes à Nath, même si on n'était pas amis. Ca faisait balance. "J'suis pas seul décisionnaire de ton histoire et j'suis pas sûr que ça le tente, l'autre. Il trouvera ça bancal ton idée. On n'est pas sûr non plus que t'vas pas aller raconter à tout le monde ce qu'on fait, qui on est puisque t'as vu nos tronches."

Et les menaces physiques ne marchaient pas beaucoup sur lui. Je recroisai les bras. De toute façon, si le Fight Club venait à s'ébruiter où que ce soit, je saurais à qui casser les dents, et tout le monde dans cette pièce le savait. A chaque détour d'un couloir, il se ferait massacrer. Tous les jours. N'importe quand. Je m'assurerai que sa petite vie se transforme en terreur. La terreur se faire violenter à tout moment. J'me gênerais pas pour un fils de pute comme lui. M'enfin, après... Son idée me charmait un peu je devais l'admettre. L'idée du fric facile, tout ça... Ouais. On avait moyen de se faire du pactole. Et je pourrai me barrer à la fin du lycée. Je serrai les mâchoires et envoyait un sms à Nath.

Valentin K. a écrit:Problème où tu sais. Isidore la fouine est au courant. Il propose de nous faire gagner du blé avec des magouilles et des paris. Ca m'intéresse. Faut qu'on cause.

Pas simplement moi, mais aussi tout ce que je pensais. Tout est bouleversé. Décalé. Chamboulé. Tout ce que je croyais savoir sur le Monde, sur les gens, sur mes capacités... Je me sens plus fort, plus courageux... Plus libre. J'ai arrêté d'écouter la voix de la Bien-pensance qui me disait d'accepter de me faire enculer en restant souriant et poli. La morale n'existe plus dans mon univers. C'est moi qui définis ce qui est bien ou mal.
Je n'éprouve plus ni culpabilité, ni remords, ni chagrin, ni haine. Je me suis affranchi de tout ce qui faisait de moi un gentil mouton, et je ne pense pas avoir déjà ressenti un aussi grand soulagement.

J'ai changé. Pour le meilleur, et pour le pire.

"Allez Nathy, au turbin ! Y'a des demoiselles en chaleur qui ont envie de s'amuser !"

L'adolescent studieux que j'étais n'aurait jamais imaginé faire ça un jour. Qu'est-ce que penserait ma mère ? Qu'est-ce que penserait John ? ... La simple idée de le croiser dans un endroit tel que celui-ci me fait sourire. Je mets ma casquette d'agent de police et rejoint la scène. L'avantage d'être strip-teaser, c'est que c'est pas si mal payé, et que j'ai une chambre juste au-dessus du bar à moitié prix, puisque je suis un salarié... Et puis... J'y prends même un certain plaisir.

La danse se termine sur une nudité presque totale, et je retourne en coulisse. Il n'est plus question de pudeur, ou de honte. Pour le moment, je me contente de faire un truc qui me plait, et qui m'est plus facilement accessible qu'un second meurtre.
Mon téléphone vibre. Valentin... Pas pour m'annoncer une bonne nouvelle. Isidore l'emmerde. Quand il a une idée en tête celui-là... Il peut être encore pire que Damon. Une vraie sangsue. En d'autres circonstances, j'aurais refusé tout net, et j'aurais dit à Valentin de ne pas lui adresser la parole mais... Isidore est un gros con qui a du flair... Et j'ai besoin de thune aussi.

Ok. J'arrive.

J'prends le bus jusqu'au lycée. Plus le temps passe, et plus je trouve Valentin sympathique. Il possède cette colère au fond de lui... Pas tout à fait comme la mienne, mais nous nous ressemblons assez pour avoir réussi à nous entendre sur ce projet. Aujourd'hui, il m’apparaît comme le seul type franc et courageux dans mon entourage... Avec mon frère peut-être.
Je descends jusqu'à notre zone de combat clandestine. Les quelques participants de la soirée sont regroupés autour d'Isidore et Valentin. Il doit vraiment avoir besoin de quelque chose pour se retrouver dans une telle galère. Il n'a pas un seul allié ici.

"Donc, après toutes tes diatribes interminables sur tous ces connards de Fils de riches, tu voudrais me faire croire que ton partenaire, c'est Nathanaël Around ? Ce Nathanaël Around qui vit dans un immense château en périphérie de Londres et qui dort dans des draps de soie depuis sa naissance ?
- Celui-là même. Déçu ?
- Intrigué, mais je suppose que tu as plus de temps libre pour ce genre d'activités extra-scolaires depuis que tu ne tournes plus autour de Damon.
Il pense savoir que je n'ai pas besoin d'argent, et que je vais faire capoter sa petite affaire avec Valentin. Il est amusant finalement.
- Une fois passé l'attrait de la découverte, j'ai tendance à me désintéresser de mes amants. Tu permets que je discute de ton cas avec mon binôme ou tu préfères parler chiffon toute la soirée ? Ce n'est pas en gagnant du temps que tu vas t'en sortir sans égratignure."

Valentin et moi nous éloignons.

"Je suis presque certain que le plan qu'il t'a proposé n'est pas sûr, mais il se trouve que j'ai aussi besoin d'argent en ce moment... Isidore est un connard, mais... Il ne nous balancera que si ça peut lui rapporter quelque chose, et actuellement, ce n'est pas le cas. Donc si tu penses qu'on peut le suivre, je te fais confiance... "

Il me gavait de plus en plus. Ouais Nath était peut-être riche, mais c'était pas un gros con prétentieux, lui. Il avait un peu changé ces derniers temps, mais tant mieux pour lui. Il était un peu moins coincé et ça lui rendrait service pour le futur. Les pulsions de violence, c'était bon pour la santé mentale. Ça permettait de pas devenir fou, complètement taré. Je suivis mon acolyte un peu plus loin et croisai les bras, l'air buté.Je ne m'attendais pas à ce que Nath accepte. Lui, besoin de fric ? Bah. Après tout, je ne connaissais pas sa vie privée, il avait peut-être envie de thunes pour mener sa vie tranquillement. Ca me regardait pas, de toute façon. Je haussai les épaules. Bon. Il avait l'air ok. Alors j'étais ok aussi. Je poussai un soupir.

"J'aurais préféré que tu me donnes une autre réponse. On n'aurait pas eu à se coltiner ce gros con. Mais bon, si on a besoin de fric tous les deux c'est un bon moyen de s'en faire. C'est un gros con, mais un gros con malin faut bien l'admettre."

Je regardai nos potes de circonstances qui étaient là, eux aussi. Bien sûr que la thune, ça parlait à tout le monde. Il ne pouvait pas en être autrement... On en était tous là : plus de fric. Ce sale fric qui faisait tourner le monde et pouvait rendre un homme libre ou malheureux. Qui était le con qui disait que l'argent ne fait pas le bonheur ? Moi, en tout cas, être pauvre et bloqué, ça ne me faisait pas vraiment plaisir. Je me grattai les cheveux. On ne pourrait pas revenir en arrière si on acceptait sa proposition. Je me tournai vers lui. Il avait toujours son petit air suffisant. Je levai les yeux au ciel.

"On te prend à l'essai pour voir si ça vaut le coup. Si ça vaut pas le coup ou que je te sens pas, on arrête notre deal. Et on se connaît pas en dehors du business. On partage peut-être notre chambre mais on n'a pas élevé les cochons ensemble ; de toute façon, tu me prends de haut donc tu dois être d'accord avec ce principe, non ? J'préfère qu'on se cause plus en dehors de l'affaire. Ca nous arrangera tous les deux."

Je le toisai. Il ne tiendrait pas parole, pour la deuxième partie du contrat. Je le savais, c'était un con bavard. Mais au moins j'aurais essayé d'avoir la paix. Cette année promettait d'être pire que les précédentes. Vivement que j'me fasse la malle...

"Y'a intérêt que ça rapporte vu le sacrifice de merde."