Tu vas tellement en chier pour m'éduquer, mon vieux. Ft Thomas

Encore. Encore. Plus fort. Jusqu'à ce que deux élèves m'attrapent les épaules et m'tirent en arrière. Bordel, laissez-moi l'finir ce p'tit con ! J'm'écarte en leur faisant comprendre que j'vais me calmer. J'm'agenouille devant le joueur de foot. J'suis pas sûr qu'il puisse m'entendre, il bouge plus, son visage est recouvert de sang. J'arrive même plus à distinguer sa sale gueule de riche. Au fond, j'aimerais qu'il crève, mais ça m'ferait chier de l'avoir tué.

"Putain, t'es bien amoché, Henry. À mon avis, ton nez n'retrouvera plus jamais sa forme d'origine. T'en fais pas, t'étais déjà pas très beau avant que j'te refasse le portrait ! Peut-être que tu plairas enfin aux filles, elles adorent les gueules cassées.
J'lui donne une gifle pour l'réveiller. Il sursaute et murmure un truc inintelligible.
- J'crois qu'à l'avenir, quand il te viendra l'envie de m'appeler Icariette la mauviette, pour te souvenir du bon vieux temps, tu tourneras peut-être sept fois ta langue dans ta bouche. N'est-ce pas ?
Il hoche la tête.
- J'arrive pas à croire que t'aies pu être assez con pour penser que j'te prendrais dans mes bras en rigolant. Tu m'passais à tabac presque tous les jours avec tes petits copains. Et combien de fois tu m'as foutu la tête dans la cuvette des chiottes, Henry ?
J'le prends par les cheveux et lui susurre à l'oreille. .
- Flash info : 42 fois, et j'ai jamais trouvé ça drôle."

D'un geste, j'lui éclate la tête contre le sol. Pas assez fort pour l'crever. Assez pour l'assommer. Cette fois, mes camarades sont terrifiés. Ils se précipitent vers le bâtiment principal du lycée. Même si j'devais faire d'la prison pour ça, j'pourrais pas m'empêcher de penser que c'est mérité et qu'ça valait le coup. J'rêvais de lui éclater sa gueule, à lui et à toute sa bande. Dommage qu'il soit l'seul à avoir redoublé. J'lui crache dessus avant d'me relever.

L'infirmière scolaire et un prof ne tardent pas à passer la porte. Ils découvrent le spectacle, horrifiés. C'est sûrement moins terrible que ça en a l'air. J'me suis souvent fait tabasser et l'résultat est jamais beau à voir, mais au final, y'a plus de peur que de mal. L'infirmière confirme mes pensées en disant qu'il est en vie. Le prof m'attrape par le bras et m'engueule. Je l'ignore. Il s'énerve, et m'entraîne vers le secrétariat. Il parle à toute vitesse. Explique la situation aux pions et aux assistantes. Bordel, y'a pas mort d'homme sérieux.

"Je dois prévenir votre tuteur, Icare. C'est inadmissible.
Putain. J'ai pas pensé à ça. L'vieux va péter un câble.
- Vous trouviez pas ça inadmissible quand c'est lui qui s'en prenait à moi.
J'hausse un sourcil. Le prof s'empourpre. Il sait pas quoi me répondre visiblement. Gros con.
- Vous ne pouvez pas... Je vais prévenir M. Spears !
- Ouais. Dites-lui bien que j'suis un taré psychopathe et que j'éprouve aucun remord."

J'me laisse tomber sur une chaise dans la salle d'attente du secrétariat. Un sourire aux lèvres. Bordel, ça valait le coup.

Je me répétais sans doute mais, bon sang, ce mioche commençait fort son année. Indécrottable. Maintenant, il agressait des élèves ! Je n'avais pas vraiment mon mot à dire sur la violence physique, mais ce petit con n'avait pas intérêt à jouer aux gros durs. Frapper quelqu'un à sang... Il voulait quoi ? Qu'on sache qu'il était le plus fort, et qu'il ne fallait pas marcher sur ses plate-bandes ? J'entrai dans le bureau du professeur. L’infirmière était là, elle aussi, pour témoigner de la gravité des blessures de l'autre élève, très certainement. Austère, je plaçai mes mains derrière mon dos et regardai froidement Icare. L'on m'exposa la situation, me dressant le portrait d'un Icare violent, déchaîné, presque incontrôlable. Vulgaire de surcroît. Durant tout le discours accusateur, je ne quittai pas mon neveu des yeux. Nous nous fixions droits dans les yeux, tels deux chiens de faïences. Je tentais de savoir ce qui se passait dans sa tête, mais son insolente résolution, sa fierté ma placée, celle qu'il dressait tout autour de lui tel un mur érigé avec soin, m'empêchait de comprendre les idées qui le traversaient. Je finis par lâcher un soupir exaspéré. Mais que voulaient ce prof, au juste ? D'une, il aurait dû l'emmener chez le Directeur, ou le conseiller d'éducation avant de me prévenir. Cela m'avait tout l'air d'une affaire bien plus personnelle qu'un simple problème de discipline.

« Très bien. »

Le prof me regarda, perturbé, sans doute, par mon air indéchiffrable et cette affirmation qui claqua dans l'air tel un couperet.

« Comment ça très bien ? Je viens de vous expliquer que votre neveu a...»
« J'ai entendu la première fois. Je n'ai rien à ajouter. »

Je m'approchai d'un pas, d'un seul, en direction d'Icare.

« La violence comme moyen d'expression, alors ? Tu tombes bien bas, je croyais avoir un neveu plus intelligent. Je me trompais ? »

J'm'attendais à un discours moralisateur à deux balles. En fait, il s'contente juste de m'lâcher trois mots. Ouais, il s'trompait sans doute. Si j'avais été un gamin plus malin, j'l'aurais pas tabassé en plein jour et j'l'aurais terminé à coup de pelle avant de l'enterrer quelque part. J'ai pas pu me retenir. Comme un chien devant un os. J'me suis souvenu de c'qu'il m'avait fait, et j'ai réagi. J'ai pas réfléchi. J'regarde mes poings ensanglantés. Presque honteux. Au final, son p'tit commentaire de merde me met plus mal à l'aise qu'une tirade de reproches.

"Je suis désolé, mais je ne peux pas laisser passer ça ! Ce gamin est à l'hôpital, et je dois appeler ses parents pour leur expliquer la situation. Ils exigeront une punition. M. Spears, pouvez-vous emmener votre neveu dans le bureau du directeur ? Merci."

Tonton Tom hoche la tête. Il en a déjà marre d'être mon tuteur. Il supportera jamais une année entière à ce rythme. J'me lève et passe devant lui. J'ai pas peur du directeur. En fait, j'me fiche bien de la punition. Si c'est pour plus jamais revoir la gueule de con d'Henry, j'veux bien être viré du lycée. Mais, j'dois reconnaître que j'suis pas très fier de moi. Pourtant j'm'en fous de c'que le vieux peut penser ! Pourquoi ça m'tracasse autant ?

"J'l'aurais jamais frappé s'il l'avait pas mérité."

J'soupire. Thomas dit rien, mais son exaspération est palpable. J'ai tellement envie d'une cigarette. Ça m'démange d'en sortir une. Quelque part, j'vois pas pourquoi j'me gênerais. J'risque déjà l'expulsion, alors une infraction de plus ou de moins...

"Chaque fois qu'lui il m'tabassait, y'avait personne pour intervenir et l'expulser du bahut. C'est marrant comme la chance marche toujours dans le même sens, pas vrai ? Moi, quoi que j'fasse, j'me fais niquer à la fin."

J'sors une cigarette de mon manteau et la glisse entre mes lèvres sans l'allumer.

"J'l'ai dit à l'autre con d'prof. Il n'en a rien eu à foutre, il avait déjà rien à foutre y'a deux ans. Lui, tout c'qu'il voit c'est qu'un bon joueur de foot pourra pas défendre les couleurs de l'école samedi."

J'pousse la porte du bureau du directeur sans prendre la peine de frapper. J'me laisse tomber sur une chaise et attend que Tonton Tom explique la situation. J'veux que tout ça s'termine vite. J'ai envie de fumer et d'baiser.

Il s'agissait tout bonnement d'une succession de procédures inutiles. A quoi bon envoyer Icare chez le directeur maintenant que j'étais informé des faits ? J'allais me charger moi-même de la discipline du gamin, inutile de perdre notre temps chez ce bon vieux Mr. Godric. Nous perdions tout bonnement un temps précieux. Et perdre du temps était bien une chose que je détestais par-dessus tout. Les choses étaient réglées à la minute. Malheureusement, un ado sans limites, aucune, allait sans doute m'apprendre la patience... Tout comme j'allais lui apprendre la ponctualité. Ne pas dépasser les bornes.

Alors que nous avancions dans le couloir jusqu'au bureau du directeur, voilà qu'il essayait de justifier ses actes. Je ne lui adressai pas un regard, faisant tout bonnement comme s'il n'existait pas. Cependant, je comprenais un peu mieux son raisonnement, cette hargne. L'injustice nourrissait les familles les plus riches, écrasant ainsi plus facilement les pauvres, les plus faibles, les plus démunis, mais nourrissant sans le vouloir leur colère et leur désir de revanche. Combien de personne avais-je tué pour ce simple motif ? La vengeance. Mais cela était une toute autre histoire. Il n'y avait rien de personnel. Simplement de la méthode. Icare devait apprendre à contrôler ceci, et rediriger ses émotions sous des formes plus subtiles. Moins... Théâtrales. Plus franches.

Mais la discussion serait reportée à plus tard. Déjà, Icare entrait dans le bureau du directeur. Sans frapper. Les bonnes manières aussi allaient être à revoir. Godric était là, bien sûr. Il ne parut pas plus offusqué que ça d'une entrée aussi fracassante. Sans doute était-il déjà au courant. J'avais eu affaire, quelques fois, à cet homme. On pouvait dire qu'il ne laissait rien au hasard. Il me plaisait bien, mais je n'irais pas jusqu'à copiner avec lui. Trop de mystère planait autour de cette étrange aura.

« Monsieur le Directeur. Ce mioche est intraitable. Vous connaissez les faits, j'en suis certain. Je ne vous exposerai mas le topo. Coups, blessures, injures, hôpital. Je n'ai qu'une seule affirmation à formuler, sans défendre aucun parti : certains types méritent parfois qu'on leur casse un bras pour que leurs idées, elles, se remettent en place. »
« C'est là une affirmation bien peu éclairée, devant votre neveu... Je ne ferai pas de discours moralisateurs. Mon rôle s'arrête à faire tomber une sanction. Et j'ai bien peur qu'il ne faille vous exclure quelques jours, Icare. »

Un silence s'en suivit. L'exclure ne serait pas tant une punition qu'un cadeau, pour ce gosse. Et il fallait que je le surveille vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Cependant, je comprenais que Godric devait sauver les apparences auprès des familles. Que dirait-on de cet établissement si les fauteurs de troubles n'étaient pas punis pour leurs actes ?

« Cependant... Vous exclure serait sans doute vous faire une offre. Aussi vais-je donc simplement vous consigner quelques jours à votre dortoir. Aucune sortie ne sera autorisée, si ce n'est prendre l'air avant chaque repas. »

Je hochai la tête. Je me tenais derrière Icare, les bras derrière le dos.

« J'y veillerai.»

J'attrapai Icare par le bras, le forçant à sortir du bureau avant qu'il ne se répande en injures. Une fois dans un couloir isolé, je l'attrapai par le col de la chemise et le plaquai contre le mur.

« La violence ne résoud rien. » Pas très crédible avec ce que j'étais en train de faire. Je le relâchai légèrement. « Pas toujours et pas comme ça. J'espère au moins que tu l'as correctement corrigé, que ça n'ait pas servi à rien tes conneries. Maintenant écoute-moi bien : ce n'est pas en faisant du bruit qu'on se venge. Si tu ne contrôles pas ta colère, c'est elle qui te contrôle. C'est comme ça qu'on fait des conneries et qu'on finit en maison de correction. j'essaye pas de te faire peur, c'est une réalité. Maintenant avance. A cause de tes conneries je me retrouve à devoir te coller à l'internat. Pendant plusieurs jours. J'espère que t'es content. »

J'crois que c'est la première fois qu'un adulte choisit mon camp. J'trouve ça à la fois cool et flippant. Si c'est juste pour m'amadouer par la suite, ça servira à rien. Mais j'crois pas. Il est trop stricte et droit dans ses bottes pour faire ça par intérêt... Enfin j'suppose. J'évite de lui sourire, mais j'suis plutôt content. Le vieux est peut-être un peu différent des autres.

J'regarde le directeur en écoutant la sanction. J'm'attendais à pire. Genre une exclusion définitive. Ça m'aurait un peu fait chier, j'dois le reconnaître. Quelques jours à traîner dans la maison du vieux, ça, ça allait... Enfin jusqu'à ce qu'il réfléchisse un peu mieux à la sanction.

"Pardo..."

Mais Thomas m'attrape par le bras avant qu'j'ai le temps d'ajouter quoi que ce soit. J'devrais tout de même avoir mon mot à dire putain ! C'est injuste, ce type est un sale con ! J'veux pas rester enfermé dans une chambre de merde ! D'ailleurs, j'ai aucune intention d'y rester enfermé. J'me débats, mais pas suffisamment. Tom me plaque contre le mur, avec sa délicatesse habituelle. J'commence à penser que maltraiter des ados c'est son kiff.

"Évidemment que j'l'ai bien corrigé. Il a pris la raclée de sa vie. Il pourra plus jamais manger sans paille... Attends, t'es pas du tout censé me dire ça !"

Qu'est-ce que c'est qu'cette leçon ? Venge-toi, mais discrètement. C'est vraiment ça qu'il veut m'apprendre ? Même pas de leçon de morale ? Merde. Je sais pas comment faut réagir du coup. Il m'prend totalement au dépourvu.

"Donc toi, à ma place, si t'avais revu le gars qui t'a explosé le nez sur une cuvette de chiotte, t'aurais réussi à retenir ta colère ? J'vois pas comment j'aurais pu faire, j'suis pas un Jedi."

J'me dirige vers les dortoirs. J'suis dégoûté, évidemment. Mais satisfait aussi. De toute façon, j'compte pas moisir dans ma chambre trop longtemps. Faudra bien que l'vieux Tom dorme à un moment.

"T'façon, tu m'collais déjà il me semble. T'inquiète pas, j'vais être sage comme une image. Ce sera pour t'remercier de m'avoir soutenu devant le directeur. J'ai trouvé ça sympa."

J'rejoins ma piaule et m'installe sur le lit. J'allume enfin ma cigarette et j'souris en repensant à cet abruti couvert de sang.

"Même si j't'avoue que j'ai un peu de mal à comprendre ta morale. Si j'avais réfléchi à sa punition et que j'avais choisi d'agir plus discrètement, j'crois qu'il s'rait mort. Alors, vaut mieux que ce soit pas l'cas, non ?"

Je m'assis sur le rebord d'un des bureaux de la chambre, réfléchissant au meilleur moyen d'aborder la question. Je ne pouvais pas lui balancer, de but en blanc, que j'en savais bien plus que lui en matière d'intimidation, de violence et même de meurtre. Je lui lança un regard austère. Bon. Peut-être qu'il ne le prendrait pas trop mal, mais hors de question d'en faire un gars comme moi. Je devais déjà rattraper toutes les conneries de mon frère, pas la peine d'y ajouter les miennes par-dessus le marché.

« Il y a parfois l'intimidation, le chantage, des choses qui peuvent faire bien plus mal que des coups de poings. Même si pour l'avoir envoyé à l'hôpital, t'as pas du le rater. Qui pourrait croire ça, avec ta dégaine. »

Un brin moqueur. Icare était pas hyper musclé, et il mangeait très peu ce qui affirmait une silhouette d'un gringalet. Je croisai les bras sur ma poitrine avant de soupirer. Pourquoi est-ce que je me retrouvai avec ça sur les bras ? J'aurais encore préféré devoir lui expliquer comment faire un gosse, ou comment coucher avec une femme. Mais ça, il le savait déjà. Il avait passé l'âge pour ces questions. Et puis, tout bien réfléchi, le sujet aurait été tout aussi gênant, mais à un autre degré …

« J'pense pas que tu sois en position de discuter de tout ça. Là t'es au lycée, y'a des règles à respecter pour jouer correctement cette partie de ta vie. Après tu pourras cogner n'importe quel taré, ce sera plus mon problème. Mais pour l'instant c'est mon problème. Si je te reprends à casser des bras et briser des nez, tu pourrais te retrouver dans un état bien pire. »

La menace. Je ne connaissais peut-être que ça, au final, pour me faire obéir. Je n'hésiterai pas à donner quelques coups s'il m'y obligeait. Quoique… Est-ce que j'étais vraiment ce genre de type ? Je ne le savais pas… Je décroisai les bras et me levai pour aller regarder par la fenêtre de la chambre.

« En vérité, tu ferais mieux d'éviter les ennuis. Tu pourrais tomber sur un plus gros poisson. Et ça pourrait mal finir. Mais pas pour lui. Pour toi. »

Mais l'intimidation, le chantage... En voilà des drôles de conseils. Cela dit, il a p't'être raison, mais avec c'que c'con m'avait fait, il m'aurait jamais pris au sérieux si j'l'avais juste menacé. Puis, sur l'moment, je réfléchissais plus. J'préférais l'envoyer à l'hôpital. Ou à la morgue. J'souris au vieux. Y'a aucune fierté à cogner plus fort que les autres. J'prends aucun plaisir à l'faire (enfin, sauf avec les gros cons). Mais j'suis content que ça l'surprenne.

J'prends une taffe en soupirant. Il comprends pas, les menaces, ça m'fait pas peur. C'pas que j'suis un coq prétentieux. Mais j'ai connu la merde. La vraie. M'faire tabasser, ça serait pas une première, ni une dernière. Ça m'apprendrait rien. Mais c'pas grave. Il sait pas y faire avec l'éducation. J'lui en veux pas au papy. Il aurait jamais dû s'retrouver avec moi. Ni moi avec lui. C'est tout.

"Déjà, j'fais de la boxe depuis que mes parents sont morts. Donc c'est pas parce que j'ressemble à une allumette que j'cogne pas fort. Bon puis j'avais l'gros avantage d'être plus malin que lui. Et ça sert à rien de m'me menacer. Tu m'fais pas peur... Tonton Tom. Mais t'as rien à craindre, j'suis pas un psychopathe, j'tape pas sur les gens sans raison, donc a priori, ça devrait plus s'reproduire."

Il a d'la chance que j'sois coopératif. J'me suis déjà bien défoulé sur l'autre tête de cul, j'ai donc aucune envie d'me prendre la tête avec lui. En fait, j'me suis rarement senti aussi bien. Comme si une grande injustice venait d'être réparée. C'qui est le cas.

"Tu t'inquiètes pour moi ? Parce qu'on dirait vachement qu'tu te soucis d'mon état de santé. Alors que si ça finissait mal, tu s'rais enfin débarrassé. Plus besoin d'jouer les nounous ou d'travailler dans un lycée merdique. Ce serait parfait, nan ?"

J'veux pas m'attacher. Pas à lui. C'est un vieux débris sans coeur qui m'garde juste parce qu'il a l'impression de d'voir quelque chose à son frère. Il mérite pas que j'sois gentil. Mais j'peux pas m'en empêcher. J'suis trop sensible. Et c'est le dernier sur terre à se préoccuper un peu d'moi. Comment j'pourrais rester indifférent ?

"T'as changé tout ton train d'vie pour moi... Mais j'trouve que tes états d'âme envers mon père arrivent un peu tard. T'étais où quand il était en vie et qu'il avait vraiment besoin d'toi ? T'étais où quand il est mort comme un con ?"

Mais je devais bien admettre que je ne savais pas m'y prendre avec lui. Avec les gosses, en règle générale. Je me retrouvais avec ce môme sur les bras. Pourquoi ? Qu'étais-je censé en faire ? Et comment étais-je censé en faire quelqu'un de bien, surtout ? Avec toute la merde qu'il avait dans la tête... Ca n'allait pas être une partie de plaisir. Et pourquoi me faire chier à l'éduquer, au final ? J'aurais très bien pu le laisser se démerder, après tout. Je m'en fichais bien de sa vie... Mais j'étais son oncle. Une espèce d'obligation, de lien de sang ou je ne sais quoi ... Mouais. Un truc comme ça.

"Ne va pas te faire d'illusions, gamin. Je ne m'inquiète pas pour toi mais pour les emmerdes que tes soucis de santé me causeraient. Je serais peut-être débarrassé de toi, mais pas des services sociaux, de la police et tout le bordel pendant des mois, et des mois. Pas envie de scandale dans ma vie à cause d'un sale gosse."

Bon, ok. Peut-être que je m'inquiétais un peu, dans le fond. J'avais pas envie qu'il lui arrive une tuile. Il avait rien demandé à la vie, après tout. C'était pas très juste. Mon frère avait été un sale con et un parent minable. Je pouvais pas rattraper ça, mais j'avais pas envie de voir Icare sombrer dans je ne sais quoi. J'avais envie qu'il s'en sorte. Qu'il finisse pas comme moi, comme son père. Comme la famille, quoi. Il méritait une vie normale et rangée. Un truc bien, dans lequel il s'épanouirait. Bon, je savais pas trop quoi... Mais il finirait bien par y réfléchir et trouver, non ? Il devait bien posséder des centres d'intérêt ce gosse.

"Ton père, c'était un con. On était en froid depuis des années, jusqu'à sa mort. Je savais qu'il t'avais eu, toi, mais j'ai jamais eu de nouvelles. Je n'en ai pas pris non plus, je l"admets... Sa mort est la meilleure chose qui ait pu lui arriver, et t'arriver, si tu veux mon avis..." Je croisai les bras et lâchai un soupir. Ouais, ce vieux con... Il méritait bien de mourir. Enfin... Qui étais-je pour souhaiter la mort de mon propre frère ? Je ne valais pas mieux que lui, sûrement pas. "De toute façon, j'étais occupé à l'étranger. J'ai appris sa mort par hasard et te voilà sur mes bras. Cela dit, c'est pas plus mal. Je me suis posé et ça fait de la compagnie."

Avoir un adolescent cassé à charge. Me voilà assistant social, maintenant... La vie réserve de sacrées foutues surprises. Je me raclai la gorge.

"Mais t'es quand même un sacré con, gamin."

Mais bon, j'veux bien faire semblant de croire son discours de gros dur qui s'en bat les couilles de mon sort, parce que quelque part, ça m'fait plaisir de savoir qu'il en pense pas un mot. Non pas que j'l'aime bien mais... Si j'compare à tout c'que j'ai connu, Tonton Tom est en première position dans la liste de mes tuteurs légaux. Comme quoi, même un emmerdeur comme lui peut remporter un concours.

"J'ai pas d'scoucis de santé, t'inquiète Tonton Tom. Tout va bien, je gère. T'auras pas les services sociaux au cul... Enfin, pas pour ça."

J'lui souris et j'me laisse tomber sur mon lit. Peut-être qu'je pourrais encore tabasser quelques gueules pour l'faire bien chier... Mais j'suis pas assez bête pour ça. J'suis majeur, une erreur en dehors du bahut et c'est la prison, pas la maison d'correction qui m'attend. Et comme j'ai déjà eu un p'tit aperçu de la vie dans un centre de redressement, j'ai pas super envie d'finir en taule.

"J'suis content de constater que j'suis pas le seul à le penser, mon père ce sale con... J'comprends pourquoi vous vous entendiez pas. T'es tout le contraire de lui. Il était perché et naïf, et t'es terre à terre et désabusé. Qu'est-ce que tu faisais à l'étranger ? J'suis sûr que tu butais des gens ! T'es l'genre de tueur qu'on voit dans les films, violent et glacial... J'vois que cette raison qui pourrait t'pousser à te réjouir de t'être posé en Angleterre avec un gamin à problème... Et puis... Quelqu'un d'normal ne m'aurait pas défendu comme tu l'as fait devant le Directeur.

J'm'allume une cigarette et j'ouvre la fenêtre.

"Mais j'suis pas con. J'faisais que... Faire tourner la roue, tu vois ? Chaque fois qu'il mâtera sa sale gueule défoncée dans un miroir, il pensera à moi. Quelque part, c'est une vengeance pour tous les gosses qu'il a martyrisés. J'suis un genre de super-héros défenseur des faibles."

Évidemment j'dis ça pour rire, mais j'suis sûr que ça lui passera l'envie de s'en prendre à quelqu'un d'autre... Moi j'finirais par passer à autre chose, mais lui, il oubliera jamais qu'le putain de Karma lui a mis une droite dans la gueule.

"Bon puisque j'suis assigné ici pour un certain temps, on pourrait s'faire un poker ?"

Je levai les yeux au ciel et posai mes fesses sur l'un des bureau de la piaule. Un petit con un peu trop perspicace. Un petit con qui avait grandi trop vite et à qui on la faisait pas. Ce que j'avais fait dans ma vie, ça ne le regardait pas et, très honnêtement, valait mieux pas que ça le regarde. J'avais, pendant longtemps, été tueur à gages pour des types louches. Et comme je posais pas de questions, j'étais plutôt apprécié dans le milieu. Très franchement, j'étais pas fier, et valait mieux qu'il ne sache rien. Je croisai les bras.

« Ouais, ouais, ouais. Désolé de te décevoir, mais j'suis pas tiré d'un de tes films d'action à la con qui ronge le cerveau de toute une génération. J'étais à l'étranger pour affaires et si je suis revenu c'est uniquement par obligations légales. J'allais pas laisser mon neveu crever la bouche ouverte dans le caniveau, figure-toi. Mon sens moral ne l'aurait pas supporté. » je croisai les bras sur ma poitrine en le regardant. « Ouais, bah monsieur le super-héros, tu ferais bien de réfléchir avant de défoncer la gueule de tes petits camarades. Si lui ou ses parents portent plainte, c'est un procès et la prison qui peuvent t'attendre. Ou une compensation financière qu'il est hors de question que je paye à ta place. Donc ça veut dire du travail pour gagner ton blé. Alors la prochaine fois, pense plutôt aux conséquences et si t'estimes qu'elles en valent vraiment la peine, ouais, t'auras qu'à agir. »

Il avait vraiment été élevé de manière déplorable. Mon frère était vraiment un gros connard. J'avais jamais eu de gosses, moi, et si j'en avais eu un, Dieu seul sait que j'aurais arrêté mes conneries pour l'élever du mieux possible. Lui donner une chance dans ce monde de chienne, quoi. Et mon frangin qu'est-ce qu'il foutait ? Il s'embarquait dans une secte avec sa nana que j'avais jamais pu piffer et il privait leur gosse de toute chance de normalité. Je lui aurais bien donné un coup de poing dans les dents avant que l'au-delà ne l'emporte.

« Mais ouais, c'est ça, un poker. Et puis quoi encore, tu veux parier de la thune ? Nan. Tu vas lire. Et t'instruire un peu. » je sortis de mon sac plusieurs bouquins. De la philo, surtout, et de la littérature classique anglaise. « J'sais pas trop où t'en es donc tu vas profiter de ces longues heures d'ennuis pour être un peu moins con. »

Il a vachement l'air d'être le genre de type à avoir un sens moral exacerbé, c'est clair ! Puis j'crois pas une minute à son baratin sur ses affaires. Tonton Tom est bien trop louche pour être honnête, mais j'découvrirai son secret tout seul. J'ai tout mon temps.
J'plante mes yeux dans le plafond, au-dessus de mon lit.

Les adultes sont tellement barbants, et rationnels. La prison. Une compensation financière. Quand c'était moi qu'on tabassait, ce genre de question ne se posait même pas. Pourquoi devrais-je accepter que l'monde est injuste ? Pourquoi devrais-je me laisser faire ? Il est gentil, Tonton Tom, il dit ça pour mon bien, mais j'suis fatigué de toujours devoir m'écraser.

"T'as raison. Mea culpa. La prochaine fois, j'me souviendrai qu'j'ai pas une thune, et que par conséquent, ma voix n'compte pas dans ce lycée d'bourgeois."

J'me redresse en le regardant sortir des livres de son sac. Il est trop mignon. J'peux pas m'empêcher de sourire. Il prend vraiment cette histoire d'adoption super au sérieux. En fait, c'est un papa poule au fond d'son petit coeur. J'me lève et j'observe les bouquins.

"Ouais alors, j't'arrête tout de suite, Tonton Tom. J'ai peut-être l'air d'un gros con, et j'ai les notes qui vont avec, mais j'dois t'avouer un truc... J'le suis pas vraiment. " J'lui sers une moue désolée, avant d'attraper le livre de philo. "Ah celui-là, j'l'ai pas lu ! ... Tu pourrais me rapporter les bouquins d'Oscar Wilde la prochaine fois ?"

Les gens qui pensent par eux-mêmes et les écrivains gays étaient formellement interdits chez mes parents. C'est vrai qu'le diable est dans les détails. Il s'cache sûrement dans le Portrait de Dorian Gray, ce gredin !
Au moins, j'vais pouvoir rattraper ces lacunes littéraires. J'dois reconnaître que je suis content. Ça faisait longtemps que je n'avais pas eu un livre entre les mains.

"En fait, t'adores ça, non ? Être ici ? Jouer l'oncle autoritaire ? Essayer d'me donner une éducation correcte ? T'as l'impression que ta vie a un sens parce que jusqu'à présent, c'était pas l'cas. Tu veux me sauver. Tu veux pouvoir te dire : voilà c'que j'ai accompli de bien, y'avait au moins ça !"

J'le sais parce que... C'est c'que je ressens en pensant à mes frères et soeurs. Quand j'm'occupais d'eux, j'avais l'impression qu'le monde autour de moi disparaissait. J'étais heureux de pouvoir offrir c'que j'avais pas connu à quelqu'un. J'pensais que peut-être, j'réussirais à les sauver. J'me trompais.

"Du coup, j'me dis que plus j'te mène la vie dure, et plus t'auras du mérite à m'éduquer sans péter les plombs... On va bien s'marrer, Tonton Tom."

J'reprends place sur mon plumard.

"Et d'ailleurs, j'ai jamais vu le moindre film d'action à la con. Du coup, j'me suis pas senti visé par ton insulte sur ma génération, dommage."

J'lui fais un grand sourire.

Ni richesse, ni influence : pas voix au chapitre. Je posai les livres sur son bureau sans faire de commentaire. Il avait compris, inutile d'en rajouter. Et que dire de plus ? Lui affirmer qu'il serait probablement toute sa vie opprimé mais qu'il allait devoir se débattre tout seul pour s'en sortir ? Pas très optimiste comme discours. Un peu trop réaliste.
Je haussai un sourcil lorsqu'il m'annonça avoir de la culture littéraire. J'avais toujours pensé - non pas à de la stupidité - mais qu'il n'avait pas eu l'occasion d'étudier de manière concrète. Après tout, je ne savais pas exactement ce qu'il s'était passé dans sa jeunesse. Ce qui l'avait amené à cet état, à cette vie, à ce besoin d'indépendance et à cette violence intérieure. Des trucs moches. Ca, c'était clair.

« Oh. Eh bien, une belle surprise. »

Je lui laissai les livres à disposition. Oscar Wilde... Putain, entre ce gosse et moi, j'étais sans doute le moins cultivé. Ca me pousserait peut-être à ouvrir un bouquin. Depuis quand est-ce que je ne lisais plus ? Un bail. Maintenant que j'étais surveillant et que j'avais rangé le fusil, c'était peut-être temps de s'y remettre... Malgré un gosse à charge.
Ce qui vint après me surpris. Et me blessa peut-être un peu mais ça faisait longtemps que je n'étais plus vraiment blessé ou heurté. Disons que ces paroles ne me laissèrent pas totalement indifférent. Je croisai les bras et haussai un sourcil.

« En tout cas c'est clair que ce n'est pas une joie de tous les instants. » le coupai-je. « Mais je crois que même en te donnant une éducation à peu près potable, c'est pas les bonnes actions qui rachètent les mauvaises. Ca ne marche pas comme ça, ce serait trop simple. Il suffirait de braquer une banque et de donner ensuite la moitié de l'argent à une cause humanitaire. Non, la vie ne marche pas comme ça. Tu me mènes la vie dure parce que t'es un gamin qui cherche les limites qu'il peut ou ne pas pas franchir, voilà la vérité. Te prive pas, je suis très patient. »

Et c'était vrai, je pouvais m'énerver mais j'étais patient. Et je ne renonçais pas. J'avais envie de l'aider, oui, parce que c'était ma responsabilité. Je n'avais pas été là quand il aurait fallu une présence, et puis, après tout j'étais son oncle. C'était un devoir. Et je ne rejetai jamais un devoir à accomplir.

« Comment ça t'as jamais vu de film d'action ? T'es vraiment un cas désespéré. Je te laisse à ta lecture. J'ai d'autres choses à faire que de te surveiller, heureusement pour toi. » S'il n'avait jamais vu de films d'action, envisageai peut-être de lui en faire découvrir. Pas très lecture, mais j'avais déjà vu des trucs pas mal pendant mon temps libre. « Oscar Wilde, c'est ça ? Bon. T'auras ça demain. »

Conclus-je en fermant la porte derrière moi.