Let's get the party started ! Ft Everyone

Chaque jour, je me débats pour garder la tête hors de l'eau, mais le courant est trop fort. Je sombre. C'est à ce moment-là qu'elle parvient à s'insinuer en moi. La solitude coule dans mes veines et m'empoisonne. Elle m'étouffe. Elle me tue.
Je ne peux pas combler ce vide. J'essaie, et ça fonctionne, l'espace d'un instant. Je m'entoure, je bois, je baise. Mais, dès qu'on m'abandonne, l'angoisse revient. Elle me déchire les entrailles. Me hurle de faire taire ce silence assourdissant. J'ai besoin de compagnie. De drogue. De bruit. De souffrance. N'importe quoi, pour ne pas me retrouver seul, face à moi-même. N'importe quoi pour ne plus penser. Pour ne pas m'ouvrir les veines.

Je ferme les yeux.

La sonnerie de la porte d'entrée retentit. Enfin. Ce n'est pas aujourd'hui que je succomberais à l'appel envoûtant de la faucheuse. Je me pare de mon plus beau masque, un air joyeux, un sourire sur les lèvres, et le tour est joué. Benjamin laisse la place à Ben. Son reflet dans la glace me renvoie un clin d'oeil. Rien de mieux qu'une soirée pour oublier l'insignifiance de son existence. Des amis, des filles, de l'alcool. Plus de problème.
Je sors de la salle de bain. Je vérifie rapidement le goût du punch. Je monte la musique. Je change les lumières. J'ai la chance de disposer d'un décor idéal pour organiser des fêtes. Tout l'étage appartient à mon père, l'appartement possède cinq chambres, un salon moderne, trois fois trop grand pour une famille de quatre personnes, le balcon est équipé d'une piscine, mais en hiver, le jacuzzi lui est préférable, le bar ne désemplit jamais, et la cuisinière prépare toujours de quoi nourrir trois cents personnes. Si je n'avais pas de mauvais souvenirs dans chaque pièce de cette demeure, j'aurais sans doute pu l'adorer.

Je vais ouvrir la porte, pour accueillir le premier invité. Je suppose qu'il s'agit de Chris. La nuit sera longue et amusante. J'ai déjà hâte.

"Embrasse-moi, grand fou !"

Il devait admettre que venir chez Benjamin n’était ni une corvée, ni une obligation mais plutôt une issue de secours. Cet été, l’espace de quelques brefs instants, John avait vécu de réels moments de vie. Il n’appréciait pas les fêtes surtout pour la sociabilité qu’elles engendraient, mais Ben avait raison sur un point : cela serait probablement intéressant. Un contexte social particulier s’apparentait nécessairement à des comportements bien définis. Une vue d’ensemble sur des personnes qu’il côtoyait au quotidien, de l’alcool dans les veines, serait probablement une étude non négligeable. Ainsi, John n’aurait pas l’impression de perdre son temps. Ben savait trouver les mots pour le convaincre ; il y parvenait toujours et avec une facilité de plus en plus grande. John lui laissait peut-être gagner trop de terrain, mais le jeu l’amusait plus qu’il ne l’ennuyait désormais.

Le jeune homme rouvrit les yeux. La porte se trouvait toujours là, devant ses yeux. Solide, encore fermée. Bientôt, il y aurait de la musique, une peuplade de lycéens, de l’alcool, des chants, des cris… Rien de franchement réjouissant. John sonna. Il avait déjà rencontré la famille de son camarade. Cela non plus n’avait franchement rien de réjouissant. Les familles se valaient toutes plus ou moins : leur lot de défauts, d’hypocrisie, de mascarade et de cruauté. La porte s’ouvrit, après quelques secondes de latence. Embrasse-moi grand fou ! John haussa simplement un sourcil, demeurant parfaitement immobile. De toute évidence, Ben ne s’attendait pas à le voir lui mais il ne se départi pas de son sourire malgré tout.

« Eh bien, quelle soudaine effusion. Je ne pensais pas faire naître en toi un tel élan… Mais je suppose, sans regret je t’assure, que ces mots ne m’étaient pas destinés. Il serait sans doute plus sage que tu t’avises avant, la prochaine fois, la surprise aurait pu être bien moins bonne. J’entends par-là que ton allusion aurait pu être accueillie d’un coup de poing. Bien. Puis-je entrer ? Et, je t’en prie, ne tend pas tes lèvres dans ma direction, auquel cas je préfère encore partir sur le champ et te laisser à ton ennuyeuse soirée – inutile. »

John passa devant son hôte et retira sa veste, la gardant néanmoins contre lui. Il n’avait pas vraiment hâte que les autres invités commencent à débarquer.

« Je suis donc bien le seul à être ponctuel… »

Chris n'est jamais fiable avec les horaires, j'aurais dû me douter que ça ne pouvait pas être lui. Je lance un regard déçu à John. Un coup de poing, ou pire, un baiser. Je me serais senti bien stupide si l'un des primates de l'équipe de foot était arrivé et m'avait embrassé. Je le laisse entrer et referme derrière lui.

"Je t'aime, John, et tu viens de me briser le coeur, puis de piétiner les morceaux. J'ose enfin te révéler mes sentiments et tu réagis de manière si ... Nonchalante, qu'ai-je fait pour mériter ça ?!"

D'un geste théâtral, je pose ma main sur ma poitrine et feins la tristesse.

"Je n'oublierai jamais ce fameux jour où tu as refusé de me donner un baiser... Quoiqu'un peu d'alcool devrait faire passer cette désagréable sensation de rejet."

Je préfère arrêter là mon petit jeu, avant qu'il ne le prenne mal et décide de partir en courant. Je lui souris et attrape deux verres dans lesquels je verse du punch. Je suis étrangement heureux de savoir John présent. Il est l'une des rares personnes à pouvoir faire disparaître le sentiment de solitude que j'éprouve constamment. J'ouvre les fenêtres menant à la terrasse et m'assois sur la rambarde. Je trinque avec John et bois une gorgée d'alcool.

"Je te remercie d'être venu à mon inutile soirée... Et je vais t'apprendre une chose, pour une fois, personne n'est ponctuel à une fête. C'est une convention, on arrive à l'heure que l'on veut... Enfin, sauf Chris, qui lui, aurait dû être à l'heure pour m'aider à tout préparer. Mais je suppose qu'il a été retenu au lycée par quelque chose de plus important que moi..."

Je lève les yeux au ciel en souriant. Chris peut être encore plus obsédé que je ne le suis lorsqu'il a quelqu'un en tête. Je ne peux pas le blâmer, mais je n'aime pas passer après quelqu'un. Pour moi, il sera toujours bien plus important qu'une donzelle, alors pourquoi ne suis-je pas plus important qu'un beau blond ? Je regarde mon verre. Je sors de ma poche un trousseau de clés que je tends à mon ami.

"Ce sont les clés du bureau de mon père. Je compte sur toi pour ne pas les perdre et pour ne laisser entrer personne. Il t'aime bien, alors ça ne le dérange pas que tu touches à ses livres mais si un adolescent ivre mort cassait quelque chose, c'est sur moi que ça retomberait."

Et mon père a déjà trop de bonnes raisons pour se défouler sur moi sans que je ne vienne rajouter celle-là. Même si ces temps-ci, il fait des efforts considérables pour se retenir, et moi pour ne pas le provoquer. Mais je sais que nous sommes incompatibles, comme une allumette et une fuite de gaz.

"Tu seras au calme, son bureau est plutôt bien insonorisé... Mais tu peux aussi profiter de la soirée, parler à d'autres êtres humains, séduire une jolie fille, boire, danser...."

C'était sans doute la raison principale qui me poussait à me lever le matin, à m'habiller, à prendre mon sac et à aller en cours. Enfin, à certains cours.... Les fêtes, et puis peut-être aussi le fait que, si je me barrais définitivement, j'aurais de sacrés ennuis. Enfin, peut-être ? Je n'avais jamais essayé. Si ça se trouve, en partant, ce serait comme d'habitude : mon père n'en aurait rien à faire. A ses yeux je n'existais pas. Il avait décidé d'ignorer le problème. Le problème, c'était moi. Si j'étais mort à ses yeux : problème réglé. Il n'était pas si con, en fait. La solution facile.
Quand même, il payait les frais de scolarité et d'internat. Pas ingrat au point de réellement me tuer, hein ! Bref. Oublions le padre pour une soirée. Au moins, j'avais la chance de n'avoir personne sur le dos lorsque je fuguais, que je fumais, ou que je buvais. Tout le monde n'était pas aussi libre que je l'étais. Une liberté empoisonnée, peut-être, mais une forme de liberté quand même. Je ne crachais pas dessus.

Je me rendis au petit casino du coin. On me connaissait bien. Et la vendeuse était sympa, j'étais dans ses petits papiers. Elle me laissait prendre les bouteilles que je voulais, tant que je payais. Heureusement, j'avais bossé cet été - mon fric s'était dilapidé rapidement, mais il me restait quelques billets.... Bon, d'accord, j'en avais soutiré à mon frangin. D'ailleurs, mon frangin ! Je devais passer le chercher. Hors de question qu'il rate la fiesta de la rentrée ! Un type aussi populaire que lui, dans le genre premier de la classe, se devait d'assister aux représentations publiques de temps en temps. Comme un président. Il devait sourire, faire quelques photos. Ha ha ha ! Sans me vanter, j'étais bien plus populaire que lui. On m'avait carrément foutu au conseil des élèves sans que je n'ai rien demandé. On s'adressait à moi pour s'amuser. A mon frère pour des aides aux devoirs.
Chacun son bail.

Je mis les bouteilles dans mon sac et passai un coup de fil à mon cher frangin. Il m'avait promis de venir - je lui avais tellement prit la tête, il était obligé de dire oui. Je tombai sur son répondeur.

« Heeeeey Borther ! J'espère que t'as pas oublié ta promesse ! Une promesse de bro, une promesse de sang ! Ce soir, chez Benji, tu connais l'adresse. Je sais déjà ce que tu penses, mais tu peux pas te permettre de la rater, celle-là. Et mets les fringues que je t'ai choisi SURTOUT pas de chemise !! BISOU.... Je t'aime. »

J'étais sûr que le je t'aime pouvait le faire craquer. Même s'il connaissait ma légèreté, il n'était pas insensible à mon amour de frère. Un peu manipulateur, oui ! Il le fallait bien. Je fonçai chez Ben pour l'aider à préparer et entrai sans frapper, je connaissais.
J'entendis des voix provenir du bureau de son père. Je montai voir.

« Aaaaah tiens ! » je rigolai et fis un clin d'oeil à Ben. J'aimais bien le charrier à propos de Jonathan. Je ne savais pas trop ce que Ben le trouvait, mais depuis cet été ils traînaient ensemble. Alors je n'allais pas me priver pour faire des blagues gênantes. « Les deux tourtereaux se voient en cachette avant la fête ! » je fis des bisous très bruyants dans le vide alors que Jonathan me lançai un regard froid, un sourcil haussé. Il n'était vraiment pas drôle, ce type. « J'ai ramené de quoi s'amuser ! »

Je levai une des bouteilles en l'air.

Je ne décroche pas. Céleste me regarde, souriante.

"C'est ton frère, réponds-lui.
- Il peut attendre.
- Moi aussi.
- Toi, tu as un devoir de sciences lundi et tu as besoin de réviser.
- Matt... Tu sais très bien que je suis aussi bonne que toi en sciences, si je t'ai demandé de m'aider, c'était simplement pour passer du temps avec toi."

Sa réflexion me laisse perplexe. Je ne comprends rien aux relations amoureuses. Ce qu'elle attend, ce qu'elle désire, ça me dépasse. Je l'apprécie beaucoup, elle est belle, intelligente, mais... Mes sentiments s'arrêtent là. Elle attend plus, mais elle ne force rien. Sa famille est catholique, elle est pratiquante, elle attendra le mariage, mais je suppose qu'elle aimerait plus. Que je lui tienne la main, que je l'embrasse... Que je lui offre du temps. Peut-être...

"Je suis désolé, je n'avais pas compris...
- Je sais, gros bêta.
Elle dépose un baiser sur ma joue. Je lui souris et j'écoute le message de Chris.
- J'avais oublié la soirée de Ben... Chris me fait du chantage à coup de "je t'aime" comme d'habitude... Je ne sais pas pourquoi il tient tant à me faire sortir.
- Il se préoccupe de ta réputation, il est adorable... J'en conclus qu'il faut t'habiller, donc ?"

Son air amusé sur les lèvres, Céleste se lève. Elle ouvre mon placard, et laisse échapper un cri. Elle constate que Chris a changé toute ma garde-robe, mais sur son visage, ce n'est pas de l'effroi que je peux lire, mais plutôt du plaisir. Elle aussi, se range du côté de mon frère. C'est une coalition.

"Chris est un génie, mais ne le lui dis pas, il prendrait la grosse tête. Allez debout, beau brun ! Déshabille-toi !"

Obéissant, je m'exécute. Elle attrape un tee-shirt blanc, une veste en cuir noire et un jean troué au niveau du genou. J'hésite. Elle insiste. Je finis par enfiler ces vêtements de mauvaise grâce. Céleste sourit, admirative, puis prend un peigne. Elle défait habilement mes cheveux plaqués en arrière pour qu'ils retombent sur les côtés. Dans le miroir, l'adulte coincé que je m'efforce d'imiter a disparu pour laisser place à un adolescent lambda.

"Tu es parfait !
- Ils vendent vraiment des jeans avec des trous dans les centres commerciaux ?"

Céleste rit. Elle prend ma main et nous descendons au rez-de-chaussée. Elle ouvre la porte d'entrée...

"Christopher !
Je me retourne. Surpris, mon père ne peut s'empêcher de me dévisager. Mais, le ton de sa voix et son attitude changent immédiatement. Il s'adoucit. Cela me rend triste.
- Matthew ... Qu'est-ce que c'est que cette tenue ? C'est encore une plaisanterie de ton frère ? Il va m'entendre !
- Je ... J'ai pensé que si je ressemblais plus à mes camarades, ce serait plus simple de me faire des relations.
Il hoche la tête, satisfait de ma réponse improvisée.
- C'est une bonne idée. Si tu sors avec Céleste, je te fais appeler un taxi.
- Merci.
- Bonne soirée."

Céleste m'entraîne dehors. Chaque fois que je parle à mon père, j'ai la terrible sensation de poignarder Chris en plein coeur. Comme si je le trahissais parce que j'étais incapable de le défendre. Incapable de dire à notre père à quel point il peut être cruel. J'aimerais le défendre. Si seulement j'étais un meilleur frère...
Nous montons dans le taxi et nous rendons chez Benjamin. Céleste est excitée, alors que je préférerais rentrer pour étudier. Elle monte au dernier étage. Quelques personnes sont déjà là, mais ce n'est que le début. Chris s'affaire à la préparation du bar. Pourquoi cela ne m'étonne pas ?
Céleste m'abandonne pour retrouver une amie.

Me voilà donc seul, ridicule, vêtu comme un gamin de 15 ans. Je vais passer une bonne soirée.

"Merci pour tout, Chris."

J'y allais surtout pour l'ambiance. Pour la musique. Pour ces lycéens que je côtoyais de près ou de loin et qui s'amusaient. J'y allais pour les rires, les partages. Pour le laisser-aller des uns et des autres. L'expérience n'était pas très sensitive. Pas pour moi. Un verre d'alcool aurait pu anéantir mon foi. C'était ce que maman disait, en tout cas. Je n'avais jamais essayé et n'essayerai probablement pas. Ni les boissons trop sucrées, ni l'alcool, ni trop de sel... Ma vie se réduisait à un champs d'interdictions et d'obligations. Alors regarder les autres braver les listes et rompre toute obligation de vivre normalement pour une soirée, cela me faisait rêver un peu. Je pouvais vivre à travers chacun d'entre eux et rire. Par ailleurs, je savais qu'un bon ami à moi y serait. Bon ami... Disons plutôt, un ami de circonstance. Un être perdu durant les fêtes mais qui s'y retrouvait bon gré malgré. C'était le frère d'un des plus grand fêtard de tout le lycée : Matthew Keenan. Il serait là, c'était presque certain. Et s'il manquait ce rendez-vous à sens unique, je pourrais toujours me rattraper en mangeant une ou deux chips. Pas trop salé.

Je sonnai à la porte. Quelques personnes me devancèrent et entrèrent sans frapper. Comme dans un moulin. Je suivis le mouvement étant donné que la porte était ouverte. Les préparatifs se terminaient. Une petite musique d'introduction venait d'être lancée. Nous étions chez Benjamin Anderson. Je le connaissais un peu, nous avions des cours en commun. J'accrochai mon manteau quelque part. Mon frère n'avait pas pu venir, ce soir. Il dînait avec sa chère et tendre. Tant mieux. Dans ce genre de fête, il aurait bu et il aurait peut-être même dealé un peu de drogue. Quelque chose comme ça... Il essayait toutes les mauvaises expériences pour contrôler une partie de sa vie. Comment l'en blâmer ? Je préférais l'imaginer face à Alice Davis, main dans la main avec elle. Elle parvenait à adoucir ses traits. Elle le rendait accro à elle plutôt qu'à ses substances. Meilleure drogue ? Cela resterait à déterminer...

« Bonjour, Matthew. »

Je m'étais approché de lui par derrière alors qu'il semblait perdu au milieu de la foule qui commençait doucement à se masser. J'espérais ne pas lui avoir fait peur.

« Tu n'as toujours pas pris quelque chose à boire ? On serait plus tranquille avec deux eaux citronnées. »

Je n'étais pas mal à l'aise, socialement parlant. On aurait pu s'y attendre. J'étais un peu geek, très doué derrière mes écrans, mais je n'avais pas peur des autres. J'aimais parler à ceux qui je croisais pour les connaître même si je ne les reverrai peut-être pas. Alors, engager la conversation, pourquoi pas.

« Où en étions-nous restés, à notre dernière fête ? On ne t'y as pas vu souvent l'année dernière. J'ai appris que Rachel sortait avec Brad la dernière fois, avant tout le monde, rien qu'en sirotant un peu de jus de citron assis sur une chaise, c'était très drôle. Mais ce n'est pas trop ton truc les ragots, même si on ne les raconte pas... Qu'est-ce que tu aimerais faire ? »

Morgan. Pour une raison qui m'échappe, il aime assister à ces soirées sans intérêt. Il ne peut ni boire de l'alcool, ni manger, ni danser... Et, pourtant, il est toujours là... Enfin, que devrais-je dire ? Je ne fais rien de tout cela non plus, et Chris réussit une fois sur deux à me convaincre de venir. Je lui souris. Étrangement, j'aime passer du temps avec lui. C'est comme... Avoir un ami. Chose qui me semble toujours aussi surréaliste.

"Je pense que tu as un problème de dépendance avec l'eau citronnée mais comme je suis un gentleman, je vais nous en chercher deux sans plus attendre."

Je m'éclipse quelques instants et revient avec nos verres. Nous nous installons sur des fauteuils, légèrement à l'écart, mais avec une belle vue sur le bar et la piste de danse. Je lui tends son jus.

"Ce n'est pas que je n'aime pas les ragots... C'est que je n'en vois pas l'intérêt. Et je dois t'avouer que je n'aime toujours pas les fêtes... Mais Chris m'assure que le président du conseil des élèves ne peut pas rester dans sa grotte à réviser. Tu te rends compte qu'il a jeté tous mes vêtements ? Il essaie de me transformer en un de ses clones... Peut-être pour me faire aller en cours à sa place, qui sait ?"

Je bois le contenu de mon verre. J'aurais aimé lui demander s'il va bien, mais je connais la réponse. Il va bien, pour un type qui va mourir.

"Coucou, Matthew... Tu ne voudrais pas venir danser ?
Je hausse un sourcil en voyant Kate me tendre la main. Elle enroule une mèche de ses cheveux autour de son doigt, et évite de me regarder. Comme si elle était gênée.
- Je ne sais pas danser. Demande à Chris, il est bien meilleur que moi dans ce domaine.
Elle rougit.
- Non mais, c'est avec toi que... Enfin..."

Elle s'éloigne sans terminer sa phrase. Je n'ai rien compris.

"J'ai dit quelque chose de mal ? ... Enfin, ce n'est pas grave... Faisons plutôt ce que tu aimes faire, parce que moi, tu sais... À part étudier des livres de médecine... Si tu veux découvrir des ragots nous pouvons le faire ! Tant que tu me promets de ne pas les divulguer."

La musique hurle quand je pousse la porte. Il y a des gens. Beaucoup de gens. Beaucoup trop de gens. Père est-il au courant ? Sûrement pas. Benjamin aura profité de son absence pour organiser ce petit raout. Evidemment. Sans prévenir personne. Il ne prévient jamais personne. C'est un égoïste doublé d'une stupidité peu reluisante. Il sait que je vais tout dire à Père pour le seul et unique plaisir de voire la justice rétablie et lui se faire punir. Et puis, Ian aurait bien mérité un peu de repos. Les semaines au lycée son fatigantes. Tout le monde nous traite de fous, de tarés. Je leur fais comprendre ma manière de penser. Je crois qu'ils ont un peu peur. Tant mieux. Mais du coup, je suis obligé de tout assumer. Ian n'en aurait pas la force. Il est trop fragile. Mais il est perdu quand il reprend les commandes. Il ne se souvient pas de ce qu'il a fait dans la journée. Heureusement, je note tout sur le journal que ce bon vieux docteur veut que nous tenions. Il peut se repérer un peu. Mais c'est risqué. Quiconque s'en emparera saura des choses en détail sur nous.

Mais chaque problème en son temps. Je pousse un type qui me barre la route sans vergogne et m'approche du bar. C'est Chris qui le tient, évidemment. Toujours dans les ennuis, celui-là. Je lui lance un regard plein de mépris. Je ne ressens que cela, à son égard. Du mépris. Il vit sa vie avec une insouciance qui le mènera directement à la mort. Ou plutôt au coma éthylique.

« Indique-moi où se trouve Benjamin. »
« Ton très cher frangin ? Aucune idée. Mais joins-toi à nous puisque tu es là et d'aussi charmante humeur ! »
« Ne me provoque pas, Christopher. Ca pourrait mal finir. »
« Ooooouh. »

Il me donne un verre. Pauvre débile. Je jette à peine un regard à l'alcool avant de me détourner de lui et de gravir les escaliers. C'est un peu plus calme, ici. Je jette un coup d’œil à la foule avant de repérer Benjamin. Je me dirige vers lui et le plaque contre le mur d'un mouvement de bras, l'étouffant presque.

« Je peux savoir quel est ce cirque ? Je rentre pour me reposer, pas pour entrer au milieu d'une orgie ! Quand Père sera au courant, il s'en prendra au seul responsable je te préviens. » S'il touche à Ian à cause de t négligence et de ton égoïsme, tu es un homme mort. Frère ou pas Frère.

Avant d'aller s'occuper du bar, comme si de rien n'était... C'est bien son genre. Lâcher une sale bombe et partir en sifflotant. Ça se paiera. Je regarde John, l'air navré. Sincèrement...

"Tu sais bien que Chris est un crétin, alors... Ne fais pas attention. Il sait que nous sommes amis... Même si la raison de cette amitié lui échappe. Je te laisse les pleins pouvoirs en ces lieux, Chevalier Jonathan, maître des sciences, si tu me cherches, je serais probablement près des boissons et des victuailles à séduire une douce damoiselle."

Après une révérence des plus élégantes et un clin d'oeil des plus inappropriés, je quitte la pièce. Je n'ai même pas besoin de descendre, la plus charmante des créatures se trouve déjà là. Tel un signe du destin. Un garçon est pendu à son bras. Cela ne m'arrête pas. Je m'immisce dans la conversation, improvise une plaisanterie et en moins de temps qu'il n'en faut pour dire "Baisodrome", la jouvencelle me tombe dans les bras.

Enfin... Jusqu'à ce que le vilain sorcier vienne interrompre la fête. Comme d'habitude, il joue les durs à cuire. Comme d'habitude, je me laisse faire... Au moins au début. Je ne peux pas lui en vouloir d'avoir peur. Il a été élevé comme ça. Le moindre faux pas, et la punition est assurée. Je pousse légèrement son bras pour reprendre ma respiration. Je fais plus de sport que lui, mais je suis toujours étonné par sa force physique lorsqu'il n'est pas... Ian.

"Papa est au courant. Il m'a même donné les clés de son bureau, que j'ai confiées à John.... Il trouvera sans aucun doute une raison de m'en vouloir, mais il sait que c'est mon idée. Tu ne risque rien... En fait... Tu pourrais même t'amuser, pour essayer ?"

Je tente de le repousser,  mais le vilain pécheur n'est pas prêt à abandonner sa prise. Quelle plaie. Il a ruiné mon aventure d'un soir avec la sublime créature à la peau d'ébène.

"Tu veux bien me lâcher, grand frère ? J'aimerais profiter de ma soirée..."

Il avait amadoué John avec brio. Voilà qu'il se retrouvait prisonnier dans les filets d'une fête. Certes, un peu à l'écart et, certes, bien mieux loti que ces pauvres ères qui ne pensaient qu'à boire et à se trémousser. Mais quand même... Bien joué. Le comportement de son ami lui arracha même un sourire alors qu'il le laissait seul au sein de ce havre de paix et de connaissances. Le silence revint aussitôt la porte refermée. Le monde affluait vite. Plus vite qu'en classe après une sonnerie. Jonathan s'assit dans un fauteuil et ouvrit un livre prit au hasard. Certains devaient appartenir à de grandes collections. Faisaient-ils office de décor, ou le père de Ben était-il réellement cultivé ? John reposa le livre sur le bureau et en sortit d'autres des étagères. Il les manipula avec délicatesses. Ils n'étaient pas là pour faire joli. Le père de Ben n'était pas un ignare. Au contraire. Au moins, ce n'était pas un idiot dans tous les domaines. Pour autant, son image ne remonta pas dans l'estime du jeune homme. Il remis les ouvrages à leur place pour n'en garder qu'un seul. Un traité de droit.

En parcourant les premières lignes, Jonathan se demandait pourquoi Ben l'avait invité à sa fête si c'était pour lui proposer de rester enfermé dans le bureau. Fallait-il y lire un message codé ? Devait-il se mêler à la foule malgré tout, pour faire plaisir à son hôte, lui montrer une bonne volonté ? ... Pourquoi est-ce que je perds mon temps à me poser ce genre de questions vaines et ridicules, franchement. Peu m'importe ce qu'il veut ou ne veut pas que je fasse. De plus, Ben n'était pas assez mesquin pour jouer double jeu. Cela lui aurait peut-être fait plaisir que John se mêle à la foule, mais, dans le fond, ce n'était pas ce qui lui importait, n'est-ce pas ? L'idée était toute autre. John s'en doutait. Je ne dors pas chez moi. Il referma le livre qu'il avait à peine entamé et sortit la tête par l'entrebâillement de la porte.

Il y avait déjà des personnes à l'étage. Mais aussi un frère menaçant. Je refermai la porte du bureau derrière moi. John supposait que Ben n'avait pas vraiment besoin d'aide pour faire face à Ian, mais mieux valait prévenir que guérir. Et ne pas déclencher une esclandre.

« Excuse-moi, mais il serait plus correct de ne pas en venir aux mains ou aux démonstrations de violence aussi tôt dans la soirée. Ce n'est pas en jouant aux brutes qu'on se fait respecter. C'est tout l'inverse. »

Il se détourne de son frère pour lancer à John un regard ... Haineux. C'était le mot. Haineux. Il relâcha son frère. Et ils se firent face. John demeura impassible. Il savait que Ben adorait son frère, et John l'avait déjà vu très différent, discret et presque craintif. Ce qui n'était pas toujours le cas, encore moins au lycée. A ce stade, être lunatique était une réalité bien adoucie. Le problème était ailleurs.

« T'en mêle pas, le génie. »
« Loin de moi cette idée. » Mais...

Il se rapprocha un peu plus de John qui posa sa main sur son torse, prêt à attraper sa chemise pour lui apprendre à garder des distances respectueuses.

« J'ai besoin d'un espace vital un peu plus large, si tu permets. »

Ian me repoussa John avec une force insoupçonnée, le faisant vaciller et chuter. Alors ça... Jonathan ne l'avait absolument pas calculé dans les probabilité.

« Assez grand, ton espace ? »

Personne ne m'intéresse ici, ce soir. Personne ne m'importe. Je suis venu pour la même raison que la majorité des personnes présentes ce soir : se fondre dans la masse. S'intégrer. Avoir l'impression d'appartenir à quelque chose. Balivernes ! Je ne suis pas un type très populaire. Enfin... On me respecte un peu, parce que je cogne vite, je m'emporte facilement. On sait qu'on n'a pas intérêt à me provoquer. Et puis d'autres me craignent tout court. Le reste est indifférent. Personne ne me déteste, à part peut-être ceux à qui j'ai cassé deux ou trois dents. Mais ceux-là l'ont bien cherché, et je les emmerde. Tout comme j'emmerde ceux qui me regardent en coin. Un jour, je me barrerai d'ici. J'aurais pu bosser, ce soir. Mais non, je joue au lycéen fêtard qui vient boire un verre, entendre des ragots et se mêler à une foule qui m’indiffère. Franchement, je ferai mieux de me barrer. C'est sans doute ce que je vais faire.
J'ai rien qui m'attend dehors. Ma famille d'accueil aussi je l'emmerde. J'ai pas envie d'y rentrer. C'est sans doute la raison, au fond, qui m'a fait débarquer ici. Je sais qu'en rentrant, je vais essuyer des remarques. Et t'étais où, et tu faisais quoi, et tu veux quoi. La plaie ces cons. Ils comprennent pas que j'ai pas envie de voir leur gueule de bons samaritains ? Ils sont bien contents, ils touchent de fric et tout. Bon, ce sont pas des connards, mais je veux pas leur causer. Ils m'intéressent pas et ils s'intéressent pas à moi. Ils en ont rien à foutre de ma vie, de ma réussite. Dans trois ans je serai parti et ils prendront pas de nouvelles. Comme tout le monde.
On s'attache pour de faux.

Je bois un peu d'alcool. Ça détend. Ou ça échauffe. Ça dépend des circonstances. Je me dirige vers la porte. Je n'ai rien de plus à faire ici. J'ai pris mon verre. Je vais probablement traîner en ville et rentrer au petit matin quand personne ne pourra me faire la moindre remarque avant que je me sois réveillé.
Alors que je m'apprête à sortir, un gros con me bouscule entraînant une catastrophe : le contenu de mon verre sur moi. Je suis trempé. Et surtout collant. Et je vais puer l'alcool. Je redresse la tête vers celui qui ne perd rien pour attendre. Tiens donc. Isidore. Ce petit prétentieux inutile qui partage ma chambre. Un gros con, pour parler vulgairement. Je le toise, l'air menaçant et écrase mon gobelet désormais vide au creux de ma poigne pour lui jeter le bout de carton à la figure.

« Hors de ma route ou je t'écrase. J'suis pas d'humeur à t'entendre essayer d'avoir de l'importance à tes propre yeux. »

Je le pousse pour qu'il me laisse passer. Hors de question de faire un seul pas de côté. Quelques personnes se sont éloignées de nous. Ils savent que ce n'est pas très bon de rester dans mes pattes quand je suis sur les nerfs. Surtout dans un endroit clos.  

Mais plein de surprise. Fait-il exprès de dire des choses aussi brillantes ? Non, c'est peu probable. Soit il se contente de répéter des répliques entendues dans des films... Soit il est un peu plus malin qu'il en a l'air, mais sans le vouloir. Je lui souris, bien décidé à essayer de me donner de l'importance.
Bien entendu, il me pousse, parce que la violence est l'arme par excellent des idiots qui ne savent pas communiquer. Sauf que je n'en ai rien à faire, alors je reste planté devant lui. Jusqu'à ce qu'il cogne plus fort, peut-être...

"Ne sois pas aussi borné, je plaisantais. Tu ne vas pas rester comme ça, dégoulinant d'alcool, pour rentrer chez toi."

L'alcool aidant l'intérêt réel que je lui porte, je me sens d'humeur généreuse. Et accessoirement, je n'ai rien d'autre à faire. Ni ami à retrouver, ni jeune fille ou jeune mec à séduire. Valentin est ma seule chance de m'amuser... La seule personne qui sorte de l'ordinaire dans mon quotidien d'aristo. Je lui prends la main, et avant qu'il n'esquisse le moindre geste pour me repousser, je m'approche de lui et lui chuchote.

"Je sais que tu es une grosse brute épaisse et que tu rêves de me casser la gueule mais tu ne vas pas le faire maintenant, devant plein d'abrutis qui seront ravis de filmer la scène... Vidéo qui atterrira chez le Directeur et qui te fera renvoyer, voire pire, parce que, que ça te plaise ou non, j'ai plus d'importance que toi... Tu ferais mieux de retenir ta rage et de la libérer lorsque nous serons seuls, tu comprends ?"

Je ne dis pas cela pour me vanter. C'est une réalité. Qu'il tabasse des gamins au lycée, ça ne pose problème à personne. Qu'il me tabasse moi, ça posera problème à mon grand-père. Je lui souris joyeusement et l'entraîne vers l'étage. Je le pousse dans l'une des chambres non-occupées. Comme chez tous les riches de notre espèce, chaque chambre possède sa salle de bain privée. J'ouvre le placard et j'attrape une chemise avant de l'emmener dans la salle de bain.

"Déshabille-toi... Quoique, si tu comptes me frapper avant de te changer, rester habillé. Si tu es à moitié nu, je pourrais trouver cela excitant."

C'est le seul mot qui le décrit bien. Con. Il n'est pas idiot, débile, ou stupide. C'est de la connerie. Et le pire, c'est qu'il le fait exprès. Je sais pas ce qui me retient de lui foutre un pain en pleine poire. Sûrement parce que je sais qu'il a pas tort. Si on me filme en train de le tabasser, j'ai plus d'avenir ailleurs. Je serre les dents. Il ne perd rien pour attendre. Personne n'en saura rien si je l'étouffe dans son sommeil.
Avant que je ne puisse réagir, ou réfléchir à comment réagir, il me traîne à travers la foule et me fait entrer dans une chambre. Puis dans une salle de bain. Non mais il se croit où, ce con ? Et puis pourquoi est-ce qu'il m'amène à l'écart, il a envie que je le frappe ? Ou alors c'est un piège ? Ce serait bien son style, ça, de piéger les gens. Les cons dans son genre sont mesquins et petits. Ils se délectent des malheurs qu'ils engendrent et tirent leur jouissance de la manipulation.

... Ou de la douleur ? Je hausse un sourcil. Sérieux ? Il vient de me dire que si je le frappe torse nu, ça va l'exciter ?

« J'ai clairement pas assez bu pour supporter des conneries pareilles. Qu'est-ce que tu veux, au juste ? Finir avec une dent de devant cassée et un oeil au beurre noir ? Tu ais très bien que je peux te casser plusieurs os, si j'en ai envie. Pourquoi tu m'amènes ici, à l'écart des regards, après m'avoir fait des menaces pas si stupides ? C'est louche. Les gens comme toi sont super louches. »

Je le pousse pour qu'il s'écarte de moi et fait couler de l'eau pour m'en asperger le visage. Je regarde ensuite l'état de mes fringues. C'est moche. Mais le pire, c'est que ça pue l'alcool.

« La poisse. C'est pas toi qui risque de te faire expulser parce que t'as picolé, sale con. »

J'en avais marre de changer de familles d'accueil. A un moment, les services allaient me foutre dans un truc de redressement ou je sais pas quoi. Hors de question qu'un con d'Isidore ruine ma vie si faiblement construite.

« Ah, au fait, ton livre à la con j'te le rends demain. J'ai pas besoin de ta charité de petit bourge suffisant. »

D'une, il n'existe pas de gens comme moi. Je suis un modèle de connard parfaitement unique. De deux... Certes, je suis louche. Mais pour un mec paranoïaque, il m'a tout de même suivi. Il est con, mais courageux. Tout le contraire de moi. Quelle belle équipe nous faisons.

"Ai-je vraiment l'air d'avoir peur de tes poings ? Les gens comme moi sont habitués aux petits caïds tels que toi. Donc, fais-toi plaisir si c'est ce que tu veux, nous sommes à l'abri des regards et je n'irai pas te balancer."

Je pose la chemise propre à côté du lavabo. Il ressemble à un petit chien battu, abandonné sur une aire d'autoroute. Il fait pitié. Non pas que son sort m'importe, mais sa détresse est divertissante. J'aurais  pu me retrouver à sa place lorsque mes parents sont morts. Trimbalé de famille d'accueil en famille d'accueil. Qui joue les durs pour se donner l'impression de garder le contrôle sur sa misérable vie.
Moi j'avais la chance d'avoir un grand-père aimant qui pouvait m'accueillir.  

"Pauvre Valentin, je crois que je vais pleurer... Je lui souris, amusé, ne sois pas stupide. Prends une douche, et change-toi, tu ne sentiras plus rien. Et en plus, tu n'auras plus l'air de sortir d'une déchetterie si tu portes cette magnifique chemise Lacoste !

Je soupire et me rapproche de la porte pour le laisser prendre sa douche. J'avais oublié cette histoire de livre.

"Je peux t'assurer que faire la charité, ce n'est pas mon genre. Les gens comme moi ne donnent pas, ils investissent. J'améliore tes capacités intellectuelles dans l'espoir d'élever ton niveau de réflexion et de conversation. Mais de toute évidence, tu ne sembles pas disposé à discuter avec moi, donc si tu veux me le rendre et rester ignare, cela ne me pose aucun problème... Tu ne devais pas comprendre la moitié des mots de toute façon."

Sa remarque m'étonne. Qui aurait envie de rester allongé sur le carrelage crasseux et inconfortable des vestiaires des hommes dans le gymnase du lycée ? L'envie était passagère. La fille aussi, mais ses jolis yeux verts m'attendrissent. Je lui tends la main, pour l'aider à se relever.

"Je vais prendre une douche... Je suppose que si tu veux me suivre, tu es la bienvenue."

Elle hoche la tête, ravie de la proposition. Nous sommes seuls, elle ne prend pas la peine de se rhabiller et me suit. L'eau nous asperge alors que je la plaque passionnément contre le mur et l'embrasse. Je ne connais même pas son prénom, mais je la prends une deuxième fois avec plaisir. Elle gémit entre deux baisers. Les yeux clos. Les cheveux plaqués sur le visage. Elle est magnifique.
L'espace de quelques secondes.
Puis la magie de l'instant s'éteint. Nous nous lâchons et nous retournons dans les vestiaires pour nous rhabiller.

"Tous les joueurs de l'équipe de foot sautent sur les nouvelles pompon-girls ou il n'y a que toi ?"
Je lui souris en enfilant ma veste en jean.
- Disons que c'est mon rôle de tester les nouvelles recrues.
Son regard change. Elle se demande si je plaisante. Qui sait ?
- Très drôle. Je m'appelle Violette, et si tu veux mon numéro...
Violette prend le téléphone que je lui tends et entre son numéro. Elle est charmante.
- Merci. "

J'attrape mon sac et me dirige vers la sortie.

"Tu m'appelleras ?"

Non. Mais d'autres le feront. Personnellement, je n'éprouve aucun plaisir à visiter le même musée deux fois. Il en va de même avec mes partenaires sexuels. Je n'ai pas de temps à perdre en romance. Le couple exige des sacrifices, des compromis, de l'énergie, et je n'ai rien de tout cela à lui offrir. Je me contente du sexe, et c'est un domaine dans lequel la routine n'a pas sa place.

Je prends le bus jusqu'à l'appartement de Benjamin, puisque Damon tenait à ce que je vienne. J'aurais pu lui demander de m'emmener si je n'avais pas fait durer le plaisir avec Violette après l'entraînement...
Je monte les marches, plutôt que de prendre l'ascenseur. La musique se fait entendre dès les étages inférieurs, mais qui porterait plainte contre un ministre ? Je suis les vapeurs d'alcool et l'odeur des joints. La fête bat son plein. Je suis déjà las de la situation, mais je fais bonne figure. Je salue mes camarades de l'équipe, évoque la jolie Violette, sans oublier ses mensurations, puis je me décide à monter à l'étage.
Légèrement à l'écart, je crois reconnaître Ian, ainsi que son frère, et Jonathan, par terre, le seul autre élève aussi brillant que moi. Encore une fois, Ian n’apparaît pas sous son meilleur jour. Comment peut-il réussir à toujours passer pour le méchant ? Benjamin l'attrape par le bras et le plaque contre le mur. Il appuie assez fort sur sa gorge pour l'empêcher de respirer.

"Je t'interdis de t'en prendre à lui."

Je ne devrais pas intervenir, mais si les choses s'enveniment ce sera la fin de la soirée pour tout le monde... Je m'approche d'eux. Benjamin était toujours le premier à défendre son frère au lycée, mais s'il avait pu le fusiller du regard, à cet instant, il l'aurait fait.

"Je suis désolé de vous interrompre mais... une fille te réclame en bas, Ben."

Benjamin s'adoucit. Il relâche son frère, et tend la main à Jonathan pour l'aider à se relever, avant de s'éloigner. Je m'approche de Ian, en sachant très bien qu'il repousserait n'importe quelle de mes tentatives pour l'aider.

"Bonsoir, Ian. Je me demandais si tu ne pouvais pas m'indiquer un endroit où je pourrais rester à l'écart de toute cette soirée, comme une bibliothèque ou une chambre ? Je sais que tu ne m'apprécies pas, mais j'ai pensé que tu avais peut-être envie de t'isoler aussi..."

Voilà pourquoi je n'arrivais jamais en avance aux soirées, ni même à l'heure. J'attendais que la plupart des jeunes lycéens soient regroupés dans la salle principale, un gobelet d'alcool ou de sirop - ce que je ne leur souhaitais pas - à la main, puis je faisais mon entrée. Bien sûr, elle n'était pas fanfaronne. J'avais l'art de me faire remarquer sans sortir le grand jeu. Il me suffisait de pousser la porte et de dire bonjour à l'hôte. Les autres savaient alors que j'étais là, on m'offrait à boire, on venait me parler. J'étais le type populaire. Je jouais dans la cours des grands sans pour autant écraser les petits. A ça, on pouvait me comparer à ce psychotique d'Isidore : je ne me salissais jamais les mains. Les autres le faisaient pour moi. Bon gré, malgré. Ils ne s'en rendaient pas toujours compte. Le but, bien sûr, était de parvenir à leur faire croire que mes idées étaient leurs propres idées. Le résultat devenait alors beaucoup plus intéressant dans un cas, comme dans l'autre.

La première soirée de l'année se déroulait chez Benjamin Anderson. Guère étonnant. Lui et son ami Christopher Keenan faisaient toujours les quatre cent coups. Il était normal qu'ils se démarquent dès les premiers jours. Je réajustais ma veste avant de sonner et de pousser la porte. Bien sûr, Ben n'était pas un bon hôte. Aussi n'était-il pas présent pour m'accueillir. D'autres gars de ma promo s'en chargèrent. Une claque dans l'épaule. Des sourires échangés. « L’hypocrisie est un vice à la mode, et tous les vices à la mode passent pour vertu. » Sacré Molière. Toujours en avance sur son temps.

Je pris le verre qu'on me tendit tout en vérifiant que rien n'y avait été injecté -on ne savait jamais... Je n'avais pas peur des effets de la drogue, mais je préférais garder l'esprit clair. J'en bus une petite gorgée avant de me diriger dans le salon. Tout le monde me disait bonjour, salut que je leur rendais immédiatement d'un sourire chaleureux. Je cherchais des yeux des personnes plus intéressantes, que je vis, pour la plupart, regroupées un peu plus loin. Ian Anderson faisait des siennes. Un bad boy un peu fou dans la névrose allait être très intéressante à exploiter. Mon très cher Désiré. Benjamin, bien sûr. Et Jonathan Around. Tiens ! Je ne l'avais jamais aperçu à une fête, celui-là. Benjamin savait visiblement se montrer très persuasif. Je m'accoudai à un mur, observant la scène de loin.
Ian lança à Désiré un regard courroucé et plein de mépris tandis que Jonathan se relevait. Le frangin s'appropria la délicieuse présence de mon amant pour le conduire ailleurs. Ah, tiens, amusant ! Je souris en coin et bus une nouvelle gorgée d'alcool.

« Bonsoir, Ben ! Tes soirées sont toujours les plus intéressantes. » je m'approchai de lui pour lui donner une petite tape amicale dans le dos. « Bonsoir, Jonathan. Je suis enchanté de constater ta présence à une fête ! C'est la première fois, n'est-ce pas ? On n'oublie jamais sa première fois ! On ne t'as pas servi un verre ? »

Sans ce prétentieux de Désiré, je ne sais pas si je l'aurais lâché... Pourtant, j'aime Ian, et je peux lui pardonner chacun de ses dérapages avec moi. Mais John... C'est la première fois que je parviens à le convaincre de venir et il s'en prend à lui devant mes yeux. Il sait que je l'apprécie...
Je soupire en attrapant un verre au bar. Je l'avale d'un trait et me tourne vers John. Il ne semble pas traumatisé. Il n'a pas côtoyé mon frère souvent, mais il a l'habitude de ma famille dysfonctionnelle.

Mais évidemment, pour clore le tableau, il ne manquait plus que ce connard de Damon. Je lui souris. Pour faire bonne figure. Il est le seul, dans ce lycée, que je ne peux pas apprécier. Non pas que je le déteste, mais je ne l'aime pas. Le contact de sa main dans mon dos déclenche une décharge électrique dans tout mon corps. À croire qu'il le sait, et qu'il le fait exprès. Je suppose que c'est la ressemblance avec mon père qui me dérange. Lorsqu'il entre dans une pièce, les gens se tournent vers lui, le saluent, l'aiment... Tel un troupeau de moutons derrière le berger qui les mène à l'abattoir. Comme mon père, Damon fera de la politique, et comme mon père, il deviendra l'un des hommes les plus puissants et les plus appréciés d'Angleterre. Le monde a bien de la chance.

"Il ne me semble pas t'avoir invité, Damon, mais je suis ravi que tu aies pu te libérer pour nous faire l'honneur de ta présence."

Gros con. Je n'ai rien à envier à la popularité de Damon. Je préfère être un enfoiré et le montrer, plutôt que faire semblant de n'avoir rien à me reprocher. Damon dirige l'équipe de Foot à la baguette, et il a fait martyriser plus d'élèves que moi pour pouvoir jouer les héros, mais c'est de moi que les profs se souviendront comme du vilain petit canard... Lui, il s'en sortira avec les félicitations. La vie est une pute. Mais mon père m'avait prévenu.
Je l'écoute s'adresser à John avec son petit sourire narquois et son air prétentieux. Il a un don pour faire d'une phrase anodine, une phrase désagréable. Il sait comment faire mal, et il le fait bien.

"Oui, et chien qui aboie, ne mord jamais... Surtout n'hésite pas, si tu as d'autres phrases toutes faites à nous partager, c'est un plaisir de t'écouter dire des banalités... Enfin, ce serait un plaisir si j'avais le temps, et l'envie de discuter avec toi, malheureusement, il y a tant de gens plus intéressants ce soir..."

J'attrape un verre sur le bar et je le tends à John. Je pose une main sur l'épaule de Damon, me rapproche de lui, et je lui souris.

"Je tolère ta présence ce soir, parce que tu es Damon Chatterton, chuchoté-je, mais n'abuse pas de ma patience. Alors sois mignon, et fous-moi la paix."

Sans prévenir, je pose mes lèvres sur les siennes. Provoquant des "Oh" étonnés et amusés autour de nous. Je le lâche et lui fais un clin d'oeil.

"Tu as déjà été mordu par une sangsue ? T'embrasser, ça me fait le même effet, je sais que tu tentes d'aspirer mon sang, mais je ne sens absolument rien.
- PO PO PO !
- Tu vas le laisser dire sans rien répliquer, Damon ?
- Calmez-vous, je plaisantais. Damon et moi sommes en excellents termes, alors montez le son et reprenez un verre.

La foule explose de joie et m'obéit sans réfléchir. Certains membres de l'équipe de foot me fusillent du regard, mais ça leur passera. J'entraîne John sur le balcon, à l'écart de la foule.

"Je suis navré, John... Chaque soirée comporte son lot de sales cons dont on se passerait volontiers. Rien que le fait de voir Damon me donne de l'urticaire. Je ne comprends pas ce que mon frère peut lui trouver, il est encore plus insupportable que notre père."

Il ne s'était pas attendu à ce que Ian possède autant de force et réussisse à le mettre à terre aussi facilement. Il se massa le poignet alors que Ben plaquait son frère contre le mur. Cette soirée allait de surprise en surprise. Voilà que Ben se montrait violent. John ne lui aurait pas donné cette particularité. A y penser, il ne l'avait jamais vu s'en prendre à quelqu'un physiquement. Il usait de ses mots, il les utilisait très bien et savait lesquels piquaient le plus, mais ses poings n'étaient pas son arme principale. John attrapa la main que Ben lui tendit après l'intervention de Désiré dans le conflit et épousseta sa veste après s'être relevé. Ian disparut, Désiré aussi. Ils furent rapidement remplacés par Damon. Une vision bien moins appréciable. Il n'y avait pas que du beau monde, à cette fête.

Damon était le déchet humain par excellence. Un homme charismatique, très intelligent, calculateur et manipulateur. Il profitait des autres, et personne ne s'en rendait compte. Il s'y prenait très bien. Et par-dessus tout, il souriait pour faire avaler ses pilules à tout le monde. Ceux qui ne l'aimaient pas trop n'osaient pas le contredire étant donné sa position sociale et sa position dans le lycée, et les autres l'admiraient, la langue pendante, en rêvant d'être comme lui. Pathétique. Pire que tout : rien ne semblait jamais l'atteindre. Ni les critiques, ni les insultes. Son sourire faisait office de réponse implacable, comme si rien ne pouvait jamais ni l'énerver, ni le peiner. Le portrait type d'un psychopathe. Doublé d'une arrogance imbuvable.

John laissa à Ben le loisir d'étaler sa répartie mais, bien sûr, Damon leur fit à tous les deux un sourire amusé et leva leur verre dans leur direction. John demeura impassible, son propre verre à la main, et se contenta de jeter sur lui un regard froid et dénué de toute émotion sinon d'un peu de mépris. Les personnages comme Damon étaient pathétiques. Que recherchaient-ils, au fond ? La gloire, le succès, l'amour de tous ? L'amusement perpétuel ? C'était un mystère absolu.
Il suivit Ben sur le balcon. L'air frais de la nuit lui fit du bien. Au moins, ils s'éloignaient un peu de cette musique assourdissante. Il posa son verre sur une petite table et son regard se perdit à l'horizon, sur les lumières de la ville.

« Je doute que ton frère soit très heureux de le fréquenter. Ou il se laisse entraîner dans ses filets, comme un petit poisson. Les personnes comme Damon sont bien triste à voir : elles ont l'air entourées mais elles sont seules. Et elles portent un masque sans discontinue. Damon n'est jamais lui-même, il ne le sera probablement jamais. C'est ce qui fait de lui un... "sale con". Les autres l'admirent peut-être pour ça. Cette façade toujours intacte, cette forme de perfection imparfaite que tout le monde aimerait atteindre. Une confiance absolue, qui ne se laisse ébranler ni par les coups, ni par les mots. C'est peut-être ce dont ton frère à besoin. Il aimerait peut-être lui ressembler et ne jamais être atteint, lui aussi. »

Jonathan leva les yeux au ciel. Voilà qu'il se mettait à faire de la psychologie à deux sous. Il détestait ça.

« Enfin, qu'importe. Je parle pour ne rien dire, je n'aime pas ça... Quant à toi, tu n'aurais pas dû prendre ma défense. C'était ma faute : j'aurais dû calculer sa force. Je ne m'y attendais pas, il m'a surpris. C'est ce qui m'a déstabilisé. Ne t'en fais pas pour ça, je suis solide moi aussi même si je n'ai pas les airs arrogants de Damon Chatterton. »

John poussa un léger soupir et but une goutte d'alcool.

« Je vais rentrer. Ce début de soirée m'aura au moins permis de savoir que les fêtes ne sont définitivement pas pour moi. »

Elle ressemblait à ma mère. Le chignon blond, strict. Un regard mesquin. Tout était réuni pour que je m'abandonne à ces pulsions qui me déchirent les entrailles depuis des années. Peut-être que je l'aurais fait, même sans le petit diablotin sur mon épaule. Mais peut-être pas si tôt. Pas devant lui.
Je dépose mon skate près de la porte, et je monte quatre à quatre les marches de l'immeuble.

Le plus difficile, c'est de supporter cette épée de Damoclès au-dessus de ma tête. Je n'ai pas peur, non, cela fait longtemps que la peur a disparu, je suis en colère. Contre ma propre stupidité. Désormais, il sait quelque chose que personne ne doit apprendre et il se fait un malin plaisir à me le rappeler. Comme si l'acte en lui-même l'avait excité plus qu'effrayé. Comme s'il se préoccupait plus de jouer avec moi que de me livrer à la justice. Comme s'il était le pire psychopathe pervers de ce lycée.

"Bien sûr... Quand on parle du loup..."

Damon. Que serait une soirée sans lui ? J'essaie de l'éviter, me mêlant à la foule compacte près du bar.
Imiter les adolescents normaux me semblent bien plus simple depuis que j'ai rompu avec tous les connards prétentieux de l'équipe de foot. Le Diablotin a au moins le mérite de m'avoir ouvert les yeux sur son monde idyllique rongé par les vers. Il est beau à l'extérieur et pourri à l'intérieur, lui et tous ses copains.... mais alors, que devrais-je penser de moi ? Moi qui préfère la compagnie des lycéens paumés, qui jouent les durs mais dont le coeur est tendre. Moi qui suis pourtant aussi malade que Damon...

Je prends un verre et me dirige vers le balcon. Je ne peux pas changer mes habitudes en me renfermant sur moi-même. Ce serait suspect. Je suis obligé de sortir, de me montrer... De parler à mes nouveaux amis plus sympas. J'allume une cigarette avant de croiser le regard de John. John ? À une soirée ? Ce Ben est plus persuasif que je ne le pensais. Ou alors John a beaucoup de fièvre et il ne sait pas ce qu'il fait là... C'est amusant. Je pourrais l'embêter avec ça la prochaine fois que nous nous retrouverons à table tous les deux.

Je n'étais pas le sympathique gars populaire que je laissai paraître. Certains l'avaient compris très vite. Je ne pouvais pas les blâmer d'être intelligent. C'est pourquoi je me contentai de faire un clin d’œil à Benjamin après ses insultes. Je levai également un verre dans sa direction. Trinquons à la vérité. Car si je portais un masque, lui aussi en portait un. Nous étions tous les deux des hypocrites. Mais moi, au moins, j'étais honnête avec moi-même. Pouvait-il en dire autant ? Je me laissai happer par la foule dansante et bus une gorgée d'alcool. Pas mauvais. Quelques camarades de classes m'interpellèrent pour me demander pourquoi je n'avais pas répondu à Benjamin alors qu'il m'insultait devant tout le monde. Je me contentai de leur sourire avec amusement. Selon eux, il fallait se défendre dès que quelqu'un essayait de mordre. Pas nécessairement. Cela était souvent beaucoup plus agaçant de se retrouver face à un sourire et une indifférence totale aux critiques et au venin. Et pour être honnête, j'aimais bien la répartie de Benjamin, pourquoi essayer d'en avoir une meilleure ? Cela n'aurait servi qu'un débat stérile, un combat d'ego et d'orgueil. Laissons l'orgueil à sa place.

Je cherchai un divertissement des yeux maintenant que Ben et John étaient partis prendre l'air sur la terrasse. Désiré m'avait lâchement abandonné et les autres figures présentes ne m'intéressaient guère. Je traînais déjà avec eux au lycée, je n'avais pas forcément envie de m'en affubler lors d'une fête... N'y voyez aucune condescendance, j'avais simplement envie de changer d'air et d'habitudes. C'est là qu'une proie bien plus appétissante fit son apparition. Je pensais qu'il ne viendrait pas, lui devenu soudain si rebelle et méprisant de la classe sociale dont il faisait partie. Je l'observai de loin alors qu'il essayait clairement de m'éviter et bus une nouvelle gorgée d'alcool.
C'est ahurissant comme un simple choix peut changer quelqu'un.
Je m'approchai de lui et posai ma main contre le mur pour qu'il se retrouve face à moi sans autre échappatoire que celle de me tourner le dos et de détaler comme un lapin.

« Tu ne viens pas saluer tes vieux amis ? » je lui souris en coin.

Fut un temps où Nathanaël avait été attiré par moi. J'en avais profité pour mener à bien quelques expériences, connaissant ses penchants pour quelques actions morbides... Il n'avait pas suffit de grand chose pour le pousser à commettre l'irréparable. Mais de lui à moi, nous savions bien qu'il ne regrettait rien. Au contraire. Est-ce que cela agissait comme une drogue sur son organisme ? En redemandait-il ? Plus que tout, je partageais son secret. Ce qui me donnait un net avantage sur toutes les situations, le concernant. Pour l'instant, je ne voyais pas l'intérêt de le dévoiler. Qu'il ne s'en inquiète pas.

« Après tout ce qu'on a partagé, je trouve ça dommage que tu ne prennes même pas le temps de me dire bonsoir. » je fis une petite moue boudeuse. « Ou de m'embrasser...»

Obsédé, c'est le seul mot qui me vient à l'esprit. Il est obsédé par moi. Obsédé par l'idée de pouvoir me détraquer encore plus que je ne le suis déjà. Obsédé comme je l'étais par lui, avant qu'il ne pousse à commettre l'irréparable... Nous ne pourrons jamais être sur la même longueur d'onde en même temps. Dommage.
Je lui fais face. Appuyé contre le mur.
Il s'amuse. Comme d'habitude. Rien ne semble le toucher. Pas même le meurtre d'une innocente jeune femme sous ses yeux. Il traverse la vie en observateur, et parfois, lorsque les choses pourraient être plus drôles qu'elles ne le sont, il intervient. Et il fout le bordel.

"Nous n'avons jamais été amis, Damon."

Je lui souris. Je suis heureux que son charme ne fonctionne plus. L'amour rend stupide... Depuis ce soir-là, l'amour n'existe plus dans mon monde. Pour lui ou pour autre. Son arrogance m'insupporte, mais je ne veux pas le fuir. Ce serait reconnaître que je suis plus faible que lui. J'approche mes lèvres des siennes, et je m'arrête avant de l'embrasser. Je pose une main sur son torse.

"La simple idée de t'embrasser une nouvelle fois me donne la nausée."

Je retire ma main et croise les bras sur ma poitrine.

"Je suppose qu'il n'y a aucune chance pour que tu me laisses tranquille avec cette histoire ? Tu es bien trop heureux de la petite information que tu détiens... Mais si tu imagines qu'elle me forcera à réaliser les moindres de tes désirs pervers, tu te trompes. Plus tu me cours après, et plus l'idée de te pendre avec tes propres intestins me submerge."

Je lui susurre à l'oreille :

"Et tu sais que j'en suis capable."

Elle était parfois un peu maladroite, il ne s'en rendait pas compte. Je le trouvais attendrissant, voire touchant. Il agissait comme un corps étranger qui se mouvait dans une foule trop dissemblable. Comment l'en blâmer ? Ce n'était pas évident d'essayer de se socialiser quand on n'aimait pas ça, quand on ne s'y intéressait pas. Non par méchanceté, mais par simple désintérêt. Il brillait ailleurs, mais il ne fallait pas qu'il oublie de vivre pour autant. Les études, être un garçon bien sage... On ne pouvait pas être parfait tout le temps. Cela allait finir par lui gâcher la vie. Le pire : il ne manquait pas d'une certaine répartie. Il savait parler, il savait converser. Il n'en avait simplement pas envie. Mais au moins, il ne jouait pas. Pas vraiment. Pas comme les autres.

Je saisis mon verre d'eau citronnée et lui fis un grand sourire.

« Tu m'as démasqué...»

Je sirotai mon verre en le regardant du coin de l’œil. Chris l'aimait beaucoup, son petit frère. Normal. Je fis un sourire. Je connaissais Christopher de nom, comme tout le monde ici à peu près. On entendait parler de ses farces, de sa paresse, de ses soirées, de son engouement pour tout ce qui ne touchait pas aux cours et au sérieux. C'était un peu une vedette, à un autre titre que Damon Chatterton. Mais que lui arriverait-il une fois largué dans la vie courante ? Que ferait-il après le lycée, une fois confronté à une vie d'adulte ? Il avait raison de profiter et de vivre, mais malheureusement il ferait aussi face à des responsabilités, non ? Comme tout le monde. Mais Chris n'avait pas l'air de s'en soucier. Il avait ce masque d'innocence. Celui des personnes qui ne se soucient pas de l'avenir. Ceux qui ont la faculté de se préoccuper seulement de l'instant présent. De ne pas faire de projet. Peut-être pas crainte de ne pouvoir réaliser aucun rêve ?

« Ton frère t'aime, c'est pour ça. Je ne pense pas qu'il ait envie que tu changes, il a seulement peur que tu ne profites pas comme lui de l'instant présent... C'est drôle. » remarquai-je soudain. « Vous vous complétez de la manière la plus exacte. Lui prend les choses comme elles viennent, légères, il ne se soucie pas d'autre chose que de vivre et de s'amuser. Et toi tu réfléchis beaucoup, tu penses à l'avenir, tu penses à tes études, à ce que tu vas faire plus tard. Tu te demandes même ce que tu fais à cette soirée sans intérêt pour toi. Peut-être que tu devrais le pousser à se soucier de l'avenir, comme lui te pousse à ne pas t'en préoccuper. » je lui fis un petit sourire gêné. « Enfin j'ai sans doute tout faux, haha ! Ne fais pas trop attention, je pensais à voix haute. »

Ou peut-être pas. Je n'avais pas entièrement faux. Je ne les connaissais pas bien tous les deux, mais je les avais beaucoup observé, comme d'autres au lycée. J'avais observé leur comportement, leur façon d'être. Leurs masques, leurs jeux. J'avais essayé de comprendre ce qu'ils cachaient et pourquoi ils le cachaient.
Je regardai la fille qui vint nous aborder. Elle était jolie. Elle avait l'air gentil. Sans surprise, Matthew refusa. Et s'étonna. Je ne pus m'empêcher d'éclater de rire. Sérieusement, sa maladresse était très touchante !

« Pardon, je ne me moque pas... ! Mais tu n'as vraiment pas compris que c'est avec toi qu'elle voulait danser parce que tu lui plais sans doute beaucoup ? »

Je lui fis un sourire amusé avant de secouer la tête.

« Ah, ce n'est pas grave. Elle s'en remettra, au moins tu as été sincère sans le comprendre et sans le vouloir. »

Mes yeux tombèrent sur Damon et Benjamin. Ils avaient fait régner le silence quelques instants autour d'eux que la soirée ne reprenne.

« Ben le déteste. Damon, je ne sais pas... C'est difficile de savoir ce qu'il pense. Je n'ai jamais réussi à savoir qui il était vraiment. Ben aussi est difficile à comprendre parfois. Nous sommes entourés d'énigmes... Oh, regarde, il sort avec Jonathan sur le balcon. Ils sont devenus amis durant l'été. Avant ils n'étaient pas très proches. En tout cas, Jonathan snobait Ben qui s'intéressait pas mal à lui. Je ne sais pas pourquoi il s'est acharné mais ça a marché. Je ne pensais pas que Jonathan pourrait devenir ami avec lui. Ils se complètes aussi, tous les deux, tu sais ? Ben joue un rôle insouciant, et John le canalise. Je suis sûr qu'ils resteront très proches dans l'avenir. »

Je me demande quand peut-il bien trouver le temps d'analyser ainsi les gens qui l'entourent. Bien sûr, Chris et moi sommes des livres ouverts, facile à interpréter, mais je sais qu'il fait la même chose avec toutes les personnes qu'il croise. Il est un observateur brillant et impartial du Monde. Je lui souris. Je ne suis pas gêné par ses réflexions.

"Ne t'en fais pas, j'aime bien que tu me partages le fond de ta pensée avec honnêteté. Le problème du lycée, c'est que nous ne sommes jamais nous-mêmes, donc tu ne peux pas avoir toutes les cartes en main pour nous déchiffrer. Je ressemble plus à Chris que ce que je voudrais, mais je fais des choix différents..."

Des choix qui sont parfois une véritable torture. Mais je ne peux pas prendre le risque de déplaire à mon père, pour l'instant. J'ai trop besoin de son soutien pour atteindre mes objectifs dans le futur.

"Chris en a assez bavé, il mérite d'être insouciant et joyeux. Je ne peux pas le pousser à se préoccuper de son avenir, je préfère... L'assurer pour nous deux, tu comprends ? Quoiqu'il puisse arriver, je serai là pour lui."

Je n'étais pas obligé de l'expliquer à Morgan, mais il est si facile de lui parler... Et, il est ce qui se rapproche le plus d'un ami à mes yeux.
Un ami sincère.

"Je n'avais vraiment pas compris qu'elle voulait danser avec moi..."

Mince, je me sens coupable de lui avoir répondu aussi sèchement. Je n'ai aucun tact avec les gens, et surtout pas avec les femmes, puisque de toute façon... Je préfère les hommes. Non pas que je sois spécialement attiré par le sexe ou les relations amoureuses, mais si je devais choisir... Cela fait des années que je m'efforce de le cacher. Je n'en ai pas honte, mais si mon père l'apprenait... Je ne peux pas détruire l'image parfaite qu'il a de moi en faisant un Coming Out.

"Tu sais comment j'ai compris que Céleste voulait que l'on sorte ensemble ? Lorsque, par inadvertance, pendant notre sixième session de révision des mathématiques, elle a résolu un problème plus rapidement que moi. Elle m'a avoué qu'elle n'avait pas besoin de mes cours, mais qu'elle aimait simplement ma compagnie... Réflexion des plus étranges, parce que je ne vois pas bien ce que ma compagnie peut lui apporter. Elle est belle, drôle, populaire, encore plus brillante que je ne le suis... Alors qu'est-ce qu'elle fait avec moi ?"

Et qu'est-ce que je fais avec elle ? Je l'utilise pour parfaire ma panoplie du fils idéal ? Non... Enfin, un peu, mais je dois reconnaître que j'aime bien être avec elle. Ce n'est pas de l'amour mais de l'affection... Et puis, même Chris l'apprécie, alors tant que ça dure et que ça fonctionne...
Mes yeux se posent sur Damon et Ben. Bruyants, comme d'habitude. De mon point de vue, ils sont tous les deux des fauteurs de trouble notoires. J'aime Ben autant qu'un frère, lui et Chris ont toujours été là pour moi. Ils m'ont protégé des brutes de l'école lorsque j'étais plus jeune, avant que je ne me décide à grandir et à mesurer 1m90...
Mais Ben adore jouer de son statut de Bad Boy, et il n'est pas rare qu'un élève vienne me voir en se plaignant de ses agissements tyranniques.
Damon est plus subtil, mais il fait pareil. La seule différence, c'est que les élèves ne se rendent pas compte qu'il est tyrannique. Il est une plaie pour le Conseil des élèves. Persuasif et manipulateur, presque aucune décision ne peut être prise sans son aval.
Pour résumer, les deux m'emmerdent.

"Je ne suis pas aussi bon analyste que toi, mais je les fréquente tous les deux et pour la première fois, Ben n'a pas fini en garde à vue pendant ses vacances d'été. Il a besoin de quelqu'un comme Jonathan s'il ne veut pas mourir à 28 ans dans une attaque à main armée. Damon, quant à lui, ne déteste personne, il se contente de déchiffrer les gens, comme toi, et d'appuyer là où ça fait mal. Il sait toujours quoi dire pour faire pencher la balance de son côté..."

Je termine mon verre et souris à Morgan.

"Tu ne les côtoies pas assez pour te faire une idée sur eux. Peut-être que tu pourrais venir me voir jouer au Rugby ? Tu constaterais alors toute la finesse et l'intelligence des membres de l'équipe de Foot qui assistent au match pour critiquer notre sport. Tu pourrais observer les Pompom-girls et découvrir leurs petits secrets... De temps en temps, Damon se montre et nous observe jouer avec son petit sourire en coin et sa troupe de fanatiques à ses pieds."

Sa poigne me coupe le souffle alors qu'il me colle au mur. Je suis désorienté. Je lui lance un regard froid et plein de haine. Il veut me coller une raclée, c'est ça ? Oh. Je vois. J'ai peut-être toucher à son petit-ami. c'est ça qui le met en rogne ? Je le défis avec hargne mais n'ai pas le temps de répliquer. Laisser Désiré intervenir est une insulte. Pense-t-il vraiment que j'ai besoin d'aide, moi ? J'époussette mes vêtements alors que Benjamin me relâche pour aller aider sa petite chérie. Je ne pensais pas que Jonathan Around pouvait être un être dépravé, un pécheur. Il n'en a pas l'air. Cela me dégoûte. Je serre les dents. Par-dessus le marché, Benjamin m'a humilié devant les personnes les plus populaires du lycée. Comme d'habitude, il s'arrange pour m'écraser. J'ai bien fait de ne jamais lui avoir fait confiance. Il a les attentions, les mérites alors qu'il n'est rien, personne. Pourquoi Ian et moi serions inutiles contrairement à lui ? Il n'a RIEN de plus que nous. RIEN. C'est un misérable imposteur. Un moins que rien. Je serre les poings et lance un regard sombre à Désiré. Il ne cherche bizarrement pas à se moquer. Partager notre chambre ne semble pas suffire, il veut également m'importuner.

"Ne t'avise pas de penser à ma place." sifflé-je.

Par courtoisie, car je suis malgré tout l'hôte également, je me dirige vers une chambre d'amis où notre Père stock certains livres. Hors de question de le conduire dans son bureau, c'est une chose interdite en son absence - ou en sa présence. Je pousse la porte et reste à l'entrée en le toisant. Je pourrais l'amener dans ma chambre, mais je ne veux pas le faire entrer dans mon intimité. Il ne le mérite pas. Ce n'est qu'un vulgaire pédant. Aussi hypocrite que le reste de l'humanité.

"Je veux simplement être seul, c'est difficile à comprendre ? Alors laisse-moi tranquille, je dois suffisamment souffrir ta vue à l'internat pour continuer lorsque je suis chez moi."

Je tourne les talons et claque la porte de ma chambre en espérant que cela atténuera le son de la musique. Mais il n'en est rien. Je cligne des yeux. J'ai besoin de me reposer... Mais je ne peux pas... Mes yeux se ferment un instant alors que je me masse la tête. Mon visage se détend...

Comme je suis arrivé ici ? Je me bouche les oreilles. La musique est forte, comment ça se fait ? Je grimace. Encore une fois, j'ai perdu la notion du temps et le sens des réalités. Le docteur Royan ne sera pas content si je lui raconte cela lors de notre prochain entretien à l'hôpital. Je m'agenouille contre la porte de ma chambre. L'environnement familier me rassure mais je ne comprends pas d'où vient toute cette agitation, ni comment je suis rentré chez moi, ou ce que j'ai fait avant. Je me rappelle de quelques cours auxquels j'ai assisté et essayé de comprendre. Je me rappelle de Désiré, ce matin, qui dormait dans notre chambre à l'internat. Mais c'est tout.

"Meg pourquoi tu ne m'as pas laissé passer la journée comme tout le monde..." j'enfouis ma tête dans mes bras. J'ai envie de pleurer. Mais seuls les petits garçons pleurent.

Est-ce que j'ai le droit de sortir de ma chambre ? J'ai peur d'avoir encore un trou de mémoire si je quitte cet endroit familier. Je n'aime pas en avoir. J'ai l'impression de ne rien contrôler. Je me risque à sortir la tête, quand même. Il n'y a personne à l'étage. L'agitation est en bas. Je peux peut-être aller prendre une douche ? Je sors doucement de mon intimité. Je suis encore là. Tout va bien. Je me fige en entendant un mouvement dans la chambre d'amis entrouverte. Je tourne la tête et pousse discrètement la porte. Ah... C'es Désiré. Que fait-il ici ?

"Qu'est-ce que tu fais là ?" lui demandé-je d'une voix intimidée. On ne se parle pas beaucoup à l'internat. Je me souviens si peu de lui. Mais il a l'air intelligent. Comme Ben.