Nathanaël Around - Il n’y a rien de plus beau qu’un égo meurtri sur le visage d’un ange.

Décontracté depuis quelques temps. Jean, tee-shirt... j'évite de ressembler à un adolescent des beaux quartiers.

j'ai des scarifications sur les poignets. Elles sont cicatrisées désormais.

« Je l’ai toujours su. Que je possédais cette part sombre… »

Une entaille. Pour voir le sang couler. Pour calmer cette pulsion qui m’envahit. Pour éliminer la noirceur… Pendant un temps. Rien qu’un instant.
— Nathanaël !
La voix criarde de ma mère me détourne de mon piètre réconfort. Il va me falloir recommencer.
— Viens donc m’aider à choisir une robe pour mon dîner de ce soir, au lieu de t’amuser.
Ses yeux sont braqués sur moi, mais elle ne me voit pas. Quelle étrange capacité que celle de pouvoir s’aveugler.
— D’accord.
Elle sourit. Je range mon couteau dans ma poche, enroule mon avant-bras dans un bout de tissu et la suit. Elle parle. Sans cesse. Je songe à poser mes mains sur son cou.
Pas par colère. Pas par haine. Juste pour apaiser cette flamme qui me dévore. Lui ôter la vie, pour le simple plaisir de le faire.
— Assied-toi, et je veux un avis constructif !
Je m’exécute. Elle disparaît dans son dressing. Elle laisse la porte entrouverte.
— Je te promets de ne pas sortir mes manteaux en fourrure !
— Ce n'est pas parce que je suis vegan que vous devez l'être aussi.
Elle éclate de rire. Chose assez rare pour le noter.
— Deux de mes amies le sont, et elles n'ont de cesse d'essayer de me convertir ! De véritables plaies !
Je souris.
— Je peux me permettre une question, Élisabeth… Pourquoi suis-je là ?
Elle passe la tête dans l’entrebâillement de la porte.
— Mon fils gay est sans aucun doute le mieux placé pour me donner des conseils vestimentaires, n’est-ce pas ?
Je ne sais pas quoi répondre à cela. Elle retourne se changer.
— Ne sois pas si surpris, les mères sentent ces choses-là.
J’hausse un sourcil. L’occasion est trop belle.
— Élisabeth… Je crois que je vais tuer quelqu’un…
Elle sort, rayonnante. Sa robe noire moulante, qui lui va un peu trop bien, me fait comprendre qu’elle se prépare pour un rendez-vous galant… Mais mon père est en Australie depuis déjà deux mois, et à ma connaissance, il n’est pas encore rentré.  
— Qu’as-tu dit ?
Elle m’a entendu, mais elle ne m’a pas écouté. Ignorer les problèmes, pour ne plus en souffrir… Qu’a-t-elle donc appris qui puisse l’avoir traumatisé à ce point ?
— Cette tenue vous va parfaitement.
Comment réagirait-elle si je la poignardais ? Serait-elle surprise ? M’avouerait-elle qu’elle ne m’a jamais aimé ? Me divulguerait-elle son terrible secret ?
— Ne penses-tu pas que c’est un peu… Trop ?
Elle est enjouée. Comme une adolescente avant son premier bal.
— Vous êtes trop belle pour ne pas le montrer.
Elle rougit.
— Pour les chaussures, que me conseilles-tu ?
— Ce n’est pas parce que je suis gay que je suis forcément de bons conseils en matière de vêtements, Élisabeth.
— S’il te plaît ?
— Vos escarpins argentés.
— Tu es un ange !
Elle enfile ses talons, prend son manteau et vient m’embrasser sur le front. Ses phases d’euphorie sont plus longues. Plus inquiétantes. Dommage que le sort de ma génitrice me laisse de marbre.


« J’aurais aimé que l’on m’écoute, juste une fois… Peut-être que tout ceci ne serait pas arrivé. Peut-être que l’on m’aurait enfermé. Peut-être que… »

Damon me rend stupide.
Pourtant, ce que je ressens pour lui n’est pas de l’amour, plutôt une attirance irrésistible. Il me fascine. Alors, lorsqu’il m’a embrassé pour la première fois, et qu’il m’a invité à sa petite soirée privée, comment aurais-je pu refuser ? C’est comme un rêve qui se réalise.

Un rêve qui me rend stupide.
Et imprudent.

L’immense manoir de la famille Chatterton se dresse devant moi.
J’hésite à partir. Je ne ressens pas de peur, mais j’ai la sensation que si je pénètre en ces lieux, je n’en ressortirais pas. Pas tel que je suis.
J’inspire, et tourne les talons. Je ne suis pas prêt.
— Tu comptes réellement me faire faux bond ?
Trop tard. Je fais demi-tour… Damon m’apparaît toujours comme étonnamment lumineux. Face à lui, je perds tous mes moyens.
— Je ne…
— Tu ne feras rien que tu n’as pas envie de faire, Nath. De quoi as-tu peur ?
De faire quelque chose que j’ai très envie de faire.
— Je ne crois pas que…
— Dans la vie, il est rare qu’une opportunité se présente deux fois, si tu ne la saisis pas ce soir…
Ce n’est rien de plus qu’une histoire de sexe.  
— Nous allons juste coucher ensemble, n’est-ce pas ?
Il me sourit.
— Il ne tient qu’à toi de le découvrir.
Il s’écarte, m’invite à entrer. À cet instant, je ne suis plus certain de contrôler mon corps. Je le suis. Dévoré de désir. J’aperçois ses convives dans le salon. La soirée ressemble plus à une orgie qu’à une fête étudiante. Mais il ne me propose pas de les rejoindre.
Il m’entraîne à l’étage, dans une chambre. Il pose ses lèvres sur les miennes, et s’empresse de défaire les boutons de ma chemise.
— Je n’ai jamais…
Son sourire ne le quitte pas. Il m’embrasse à nouveau, et m’allonge sur le lit.

Damon est aussi parfait que je me l’étais imaginé. Tendre. Sensuel. Passionné.

J’aurais aimé que ce moment ne se termine jamais, mais… une jeune femme, à moitié nue, passablement ivre, nous observe. Je ne la reconnais pas.
Loin d’être choquée, la scène semble lui plaire.
En d’autres circonstances, avec un autre que Damon, je serais parti. Mais là, tout me semble si naturel. La demoiselle nous rejoint. Embrasse Damon. Puis pose sa main sur mon membre.

Et si…
À mesure que le plaisir m’envahit, des images m’apparaissent. Du sang. La mort. Mon rythme cardiaque accélère. Elle se tourne vers moi. Je dois partir. Sinon je vais…

Je n’ai pas senti mes mains se poser sur sa gorge. Je ne me suis pas vu monter à califourchon sur elle. Je ne voulais pas serrer. Serrer si fort.

Au plus profond de moi, une porte que je gardais scellée vient de s’ouvrir.
Lorsque la vie s’échappe de son corps, je nais. Une seconde fois.

Je la lâche. À bout de souffle. Une excitation douce et pure me traverse. Je me tourne vers Damon, sans lui laisser le temps de réagir.

J’ai besoin de sexe.


« Cette fille, dont je ne connaissais même pas le nom, ne serait pas morte. »

J’aurais aimé me sentir coupable.
Les choses auraient été plus simples ainsi.

J’aurais pu reporter la faute sur Damon. Sur son aura maléfique.

J’aurais pu tout expliquer à John. Bien qu’il ne soit pas un frère exemplaire, je suis sûr qu’il m’aurait évité la prison, mais il aurait fait en sorte de pouvoir me surveiller jusqu’à la fin de mes jours. Il m’aurait empêché de recommencer.

J’aurais pu avoir une vie normale.

Mais, en vérité…

Je multiplie les activités, et les petits boulots, parce que je brûle de recommencer. J’occupe mon esprit, car chacune de mes pensées me ramène à cette nuit-là. Je songe à la vie qui quitte cette fille. Au corps nu de Damon. À son sourire. À ses yeux.
Pour la première fois, quelqu’un me voyait tel que j’étais. Mieux que cela, pour la première fois, quelqu’un m’acceptait tel que j’étais.

Damon m’a libéré de cette existence terne qui était la mienne. Je n’ai plus besoin de cacher mes failles derrière des entailles. Je peux me montrer sous mon vrai jour. Loin des bonnes manières, et de l’hypocrisie que l’on m’a enseigné toute mon enfance.
Je n’obéis plus qu’à moi, et à moi seul.

Ce soir-là, Damon est devenu mon sauveur, et mon fardeau.